DUANE ALLMAN, la perle du sud

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L’histoire d’un chevalier de la six-cordes

Duane Allman

Duane Allman, le seul maître-guitariste de son époque à n’avoir pas été starifié. Les années 60 ont vu fleurir de nombreuses fines lames. Jimi Hendrix, Jimmy Page, Eric Clapton, Jeff Beck, Rory Gallagher ou Carlos Santana, pour ne citer que ceux-là. Duane Allman, lui aussi, fait partie du grand cercle des chevaliers de la six-cordes. Certains l’incluent même dans un fameux top 3 fort subjectif, et auquel je ne me risquerai pas. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que “Skydog” n’avait pas grand chose à envier à ses homologues…

Duane Allman – Steal Away

Enfant du sud, il voit le jour à Nashville (Tennessee). Son frère Gregg arrive un an plus tard. La famille déménage ensuite en Virginie. Alors qu’il n’a que trois ans, son père, militaire, meurt durant une permission. Tué par un autre soldat américain complètement ivre. Sa mère, comptable, peine à concilier travail et éducation. Elle finit par envoyer à leur tour les deux garçons dans une académie militaire. Mais Duane et Gregg ont déjà un goût prononcé pour la musique, et un dégoût équivalent pour l’uniforme. Suite à un nouveau déménagement en Floride, ils intègrent un lycée public à Daytona Beach.

Gregg & Duane

Durant les étés passés chez leur grand-mère à Nashville, mecque de la six-cordes, les deux frères s’initient à la guitare. De retour en Floride, Gregg réclame une guitare à sa mère et finit par se voir offrir une Teisco Silvertone fabriquée au Japon. Duane est gaucher. Ayant dû s’exercer sur une guitare de droitier, il ne croit pas en ses chances et préfère demander une moto à sa mère. Jusqu’au jour où les deux garçons découvrent véritablement le blues !

Ils tombent en amour pour le genre, après avoir assisté à un concert de BB King. Duane dit à Gregg :

“Nous devons entrer dans le vif du sujet !”

En quelques mois, Duane Allman fait des progrès phénoménaux, et se révèle plus doué que son frère.

Duane Allman – Goin’ Down Slow

Pendant que Greg termine ses études, Duane quitte l’école pour se consacrer à la guitare. Il se lance sur les routes avec le groupe The Escorts. En 1965, ils se produisent en première partie des Beach Boys.

The Escorts – Turn On Your Love Light

Mais le groupe The Escorts est rapidement dissous. Duane et une partie de ses membres forment The Allman Joys. Ils sont rejoints par Gregg Allman, alors fraîchement diplômé.

C’est le compositeur John D. Loudermilk (Tobacco Road) qui fait leur découverte. Un soir de 1966, il entre dans le Briar Patch de Nashville, et assiste à l’une de leurs prestations.

John D. Loudermilk

Persuadé qu’il s’agit d’une formation rock comme il en fleurit partout sur le territoire américain, il se surprend à être happé par leur musique. Le chant angoissé et les parties de slide-guitar retiennent son attention. Il décide de les présenter à Buddy Killen, membre de Dial Records.

Écouter les débuts des Allman Brothers, c’est un peu comme faire la découverte du premier Creedence. On a beau se dire que c’est du blues classique, du Willie Dixon repris une énième fois par un groupe de rockers blancs. On sent dès le premier couplet que ces gars ont le mojo. Il y a dans la voix et le riff, un supplément d’âme qui ne trompe pas.

The Allman Joys – Spoonful

Après une période d’initiation à St Louis (Missouri), Dial Records envoie le groupe enregistrer à Los Angeles. Épaulés par les excellents Pete Carr (basse) et Paul Hornby (claviers), les frères Allman se rebaptisent Hour Glass, et publient deux albums chez Liberty Records entre 1967 et 1968. Ils se rôdent sur la scène californienne en ouvrant le bal pour The Doors et Buffalo Springfield. Gregg Allman délivre déjà quelques compositions de blues prometteuses, où le toucher de Duane commence à s’affirmer…

Hour Glass – It’s Not My Cross to Bear

En 1968, le groupe périclite à nouveau, cette fois sous la pression de Liberty qui souhaite les voir donner une tournure plus pop à leurs compositions.

Duane Allman

Le 20 novembre, Duane Allman fête ses 22 ans. Souffrant d’un rhume, et blessé au coude après une chute de cheval, le jeune homme est mal en point. Afin de le réconforter, son frère Gregg passe le voir, et dépose devant sa porte un exemplaire du premier album de Taj Mahal. Ainsi qu’un flacon de Coricidin pour traiter son mal. Fasciné par le jeu de slide du bluesman, Duane réalise que le flacon contenant les comprimés possède la taille idéale pour lui servir de bottleneck. Il le vide sur le lit, introduit son doigt à l’intérieur, et commence à le faire glisser sur le manche, pour jouer Statesboro Blues

Duane Allman – Statesboro Blues (Live at Fillmore East)

Gregg Allman revient deux heures plus tard, et trouve Duane en extase, et maîtrisant déjà l’effet glissando. Il affirme que son frère n’avait jamais joué de slide avant ça. Ce style va devenir sa marque de fabrique. Au point que le flacon de Coricidin est aujourd’hui dupliqué et vendu, les usagers aimant le son vitreux qu’il procure.

Duane Allman

En 1968, virtuose très prisé, Duane Allman est déjà musicien de sessions depuis deux ans. Il devient le principal guitariste des Studios Muscle Shoals (Alabama). Et collabore aux albums de Clarence Carter, Delaney & Bonnie, King Curtis et Johnny Jenkins. Il alimente également la furia du grand Wilson Pickett, avec lequel il livre deux covers d’anthologie. Hey Jude (The Beatles) et Born to be Wild (Steppen Wolf)…

Wilson Pickett & Duane Allman – Born to be Wild

En 1969, après bien des péripéties, The Allman Brothers Band voit enfin le jour. Gregg Allman (chant et compositions), Duane Allman (guitare solo), Berry Oakley (basse), Dickey Betts (guitare) et Butch Trucks (batterie) le composent.

The Allman Brothers Band

En novembre, le groupe vient de passer des mois à écumer les scènes du sud des Etats-Unis. Il entre en studio pour Capricorn Records (label de chez Atlantic Records). Le premier opus ne contient que sept titres, dont cinq compositions. Comme le fameux Whipping Post

The Allman Brothers Band – Whipping Post

Les Allmans sont un groupe sans leader, et totalement démocratique. Chacun apporte sa contribution. Dickey Betts amène plusieurs joutes instrumentales qui leur permettent d’improviser en live. Quant à Duane Allman, il continue d’alimenter le groupe en riffs mélodieux et soli délicieux…

The Allman Brothers Band – Don’t Keep Me Wondering

En moins de deux ans, ils vont devenir la première référence de rock sudiste américain. Entraînant dans leur sillage des groupes comme Lynyrd Skynyrd, Black Oak Arkansas ou ZZ Top. On considère généralement leur concert au Fillmore East de 1971 comme le sommet du genre.

The Allman Brothers – Live at Fillmore East (1971)

En parallèle, Duane Allman poursuit son travail dans les studios Muscle Shoals. Il oublie parfois de récupérer son cachet, et n’est jamais crédité sur les pochettes, mais il s’enivre de jouer avec les plus grands.

Duane Allman & Boz Scaggs – Loan Me a Dime

Une reine, aussi incontestable soit-elle, peut manquer de discernement. La Queen of Soul n’échappe pas à la règle. Aretha Franklin était bien plus qu’une grande chanteuse. Son talent de compositrice et d’arrangeuse est souvent éludé.

Duane Allman
Duane Allman et Aretha Franklin

Mais il est notoire qu’elle faisait subir ses humeurs à ses collaborateurs, et imposait dans les studios une hiérarchie très marquée. Alors quand ce jeune guitariste blondinet de 22 ans se pointe pour l’épauler sur un titre soul, Sister Aretha s’esclaffe, et émet des doutes sur ses capacités. Il ne faut que quelques minutes à Duane Allman pour les dissiper…

Aretha Franklin & Duane Allman : It Ain’t Fair (1970)

C’est en écoutant la reprise de Hey Jude de Wilson Pickett que Eric Clapton découvre le talent du jeune guitariste. Duane Allman est alors sollicité pour l’enregistrement de l’album de Derek & The Dominos. Les atomes crochus sont nombreux entre les deux fines lames qui échangent leurs licks, et ne se lâchent plus durant les sessions. Clapton a d’ailleurs déclaré par la suite :

“Il était le frère musical que je n’ai jamais eu.”

La contribution à l’album Layla and Other Assorted Love Songs reste légendaire. En particulier grâce au titre Layla, devenu un véritable standard de la musique rock.

Derek & The Dominos – Layla (1970)

Duane Allman que l’on surnomme Skydog, est un guitariste instinctif et spontané. D’un naturel réservé et lunaire, ses séances studios sont singulières. En effet, le guitariste ne s’adonne au solo que dans la fulgurance. Il n’effectue généralement qu’une seule prise. Selon lui :

“Si une seconde est nécessaire, c’est que le moment est passé. Autant remettre ça au lendemain.”

Duane Allman – No Money Down

A l’image de Rory Gallagher, Duane Allman possédait un talent d’une grande pureté, jouant plus pour le trip que pour le gain. Comme Jimi Hendrix, avant de se lancer, il avait perfectionné son apprentissage avec beaucoup d’humilité, en tétant le blues du sud, et le talent de grands artistes. Et comme Peter Green (Fleetwood Mac), il était l’anti-esbrouffe incarnée, et préférait faire sonner une note divinement, que dix mal alignées. Il aurait pu nous régaler encore longtemps de ses saillies humbles et magiques, sur du rock, du blues ou de la soul. Et devenir un ambassadeur de la belle culture artistique du sud des Etats-Unis…

Mais à cette époque où les étoiles tombent du ciel pour ensuite retourner précocement à la terre, Duane Allman, voit dès l’âge de 24 ans, s’interrompre sa carrière, et son existence. Le 29 octobre 1971, sa moto est percutée sur un carrefour de Macon (Georgie). En l’espace d’un an, les talents de Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et Duane Allman rejoignent donc le panthéon du rock. Jamais la mort n’avait frappé le monde de la musique avec autant de cruauté depuis The Day The Music Died.

Duane Allman & Berry Oakley par Denys Legros
Duane Allman & Berry Oakley sous l’oeil de Papa Legba, par Denys Legros©

Un an plus tard, le bassiste des Allman Brothers, Berry Oakley, connaît le même sort que son acolyte, deux carrefours plus loin. Il n’en faut pas plus pour exhumer la légende de Papa Legba, esprit vaudou et pactisant des carrefours, souvent rattaché à La Légende du Crossroads de Robert Johnson.

Serge Debono

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