Le second chef d’œuvre des frères Reid
SAUVEURS (1984 – 1985)
On ne le dit jamais assez mais Jesus And Mary Chain sauve le Rock Anglais au milieu des années 80. A coup de singles radicaux et avec leur premier album Psychocandy en 1985, les frangins boudeurs, Jim et William Reid, secouent Albion. On objectera : et les autres petits nouveaux, les Smiths, ou Lloyd Cole And The Commotions etc…? Oui bien sûr, mais ça manque d’électricité et de mise en danger. “Gimme danger…” chante Iggy Pop. Justement, avec leur dégaine de fans du Velvet Underground et des Stooges passés par la case Cure, le duo de Glasgow ramène les guitares au premier plan, même sur leurs pochettes.
DES GUITARES
Des grosses guitares demi-caisses, achetées d’occaz, dont tout le monde ou presque se fiche à cette époque où dominent les nouveaux synthés et les guitares Steinberger. Pourquoi ces antiquités ? Pour le look et parce qu’une guitare demi-caisse branchée sur une distorsion, au hasard une Big Muff, ça larsenne dans tous les azimuts !
Le larsen, le bruit banc, la saturation, les deux frangins les mettent en avant, au premier plan sur disque et sur scène, cachant volontairement dans ce brouillard sonique des merveilles de mélodies. Il suffit de distinguer la ligne vocale de Jim Reid, marquée par le chant des Beach Boys. Car c’est bien là leur but : mélanger bruitisme électrique et perfection Pop.
The Jesus And Mary Chain – Never Understand (1985)
EN LIVE
Quant aux concerts, ils relèvent de la performance : amplis à fond, réverbération au maximum sur la voix. Sur scène, à la batterie minimale, Bobby Gillespie, – leader de Primal Scream – debout comme Moe Tucker, basse sourde et monolithique de Douglas Hart, puis William à droite, irradiant des ondes subsoniques de sa guitare noire, tandis que Jim, au centre, déclame ses textes, l’air de faire la gueule, tout en tapant accessoirement sur le premier rang avec son pied de micro (Souvenirs du rédacteur…). Tout ça pendant 10 à 40 minutes maxi ! En option, destruction du matos et bagarres dans la salle. Électricité et mise en danger l’on disait…
L’album Psychocandy résume parfaitement cette époque. Il fait l’unanimité des critiques et du public, avec un phare, Just Like Honey. Plus important, ce disque donne à nouveau envie à des tas d’ados de jouer de la guitare, d’où les vagues de groupes qui vont suivre : Noisy-Pop, Dream Pop, Shoegaze… C’est le premier grand disque de Jesus And Mary Chain.
The Jesus And Mary Chain – Just Like Honey (1985)
CANDY (1986)
En 1986, le quatuor déjà culte réalise le EP Some Candy Talking, une autre pépite velvétienne. Les paroles jouent encore sur la confusion entre allusions aux drogues – très prisées dans le gang – et ode à une amoureuse ou à une créature de la nuit warholienne. L’interdiction sur les ondes de la BBC renforce la légende de cette magnifique chanson. On remarque que le brouillard de feedback s’éclaircit. Bobby Gillespie quitte le groupe peu après pour son projet Primal Scream, suivi par Douglas Hart.
The Jesus And Mary Chain – Some Candy Talking (1986)
PRÉMICES (1987)
En duo, les frangins décident de ne pas recourir à un autre batteur ou à un bassiste. Ils investissent dans une boîte à rythmes et assurent la 4 cordes. Autre choix radical : alors que la maison de disques espère un Psychocandy II, ils choisissent d’épurer leur son pour n’en garder que les voix et les mélodies. Les guitares seront acoustiques ou si électriques, sans le boucan de l’opus précédent, les fuzz à 1 donc, et plus à 11 (Dixit Neil Young…).
De même, ils virent rapidement les producteurs proposés par la firme pour se débrouiller seuls, aidés de Bill Price.
En prémices de l’album, les gars avancent deux singles issus des sessions d’enregistrement. Le premier pour les Pâques de 1987…
The Jesus And Mary Chain – April Skies (1987)
Quel beau titre ! L’un des meilleurs morceaux des années 80 : voix, interprétation, écriture – très romantique – , guitares superbes. Même la boîte à rythmes programmée par les frérots a les honneurs . D’ailleurs, à l’époque, on s’y perd un peu, boîte ou vrai batteur ? Effectivement sur la vidéo, il y un vrai tambourineur et même un bassiste, en fait de circonstances et pour les live. Le clip s’avère un modèle du genre, économie de moyens et grands effets. La chanson cartonne en tête des charts en Grande-Bretagne. Oui, ça change d’actuellement…
Sa mélopée jumelle arrive quelques mois après et annonce la fin de l’été.
The Jesus And Mary Chain – Happy When It Rains (1987)
Encore un bel extrait, à nouveau amoureux, une sorte de Chantons Sous la Pluie du Rock Indé.
DARKLANDS (1987)
Le LP Darklands paraît le 31 Août 1987. Il contient 10 morceaux. La pochette – iconique – reprend les images des vidéos.
Ceux qui n’avaient pas écouté les singles tombent des nues : pas ou peu de délires soniques mais des thèmes dépouillés, souvent déconcertants par leur apparente douceur mélancolique. Comme l’ouverture éponyme de ce voyage dans les ténèbres, chantée par William Reid…
The Jesus And Mary Chain – Darklands (Version vidéo – 1987)
On n’avait pas ressenti une telle atmosphère depuis le 3e Velvet, celui avec Candy Says justement, ou le Transformer de Lou Reed. Immédiatement suivi par une autre merveille d’écriture, Deep One Perfect Morning. Sonorités des guitares magistrales, comme dans tout le disque.
Deep One Perfect Morning
Les gars s’agitent un peu plus avec la reprise de Happy When It rains et poussent les potars – ça les démangeait – pour Down On Me et sa montée d’accords irrésistible.
Down On Me
Conclusion de la 1re face, il pleut encore sur la guitare de William, de retour au chant. Les ballades vénéneuses des Stones, vous connaissez ? « All my time in Hell was spent with you… Ouh Ouh…»
Nine Million Rainy Days
On retourne le vinyle. Introduction avec le Hit April Skies. Puis nouvel excès d’énergie avec le thème Fall, annonciateur par son groove de la tendance Shoegaze, et le plus proche de Psychocandy.
Fall
Retour aux bluettes sentimentales. Jim parle de sa Cherry. On s’incline devant sa mélodie de chant et son timbre vocal. Les chorus du grand frère William, penché sur sa demi-caisse, accompagnent le frérot. Le gars ne déborde pas de virtuosité mais quel toucher ! Comment font-ils ?
Cherry Came Too
Puis le même William raconte son cauchemar, il est comme l’horloge sur le mur. Pattern de machine, fuzz sur la basse, voix grave, ambiance trouble. Les premières secondes évoquent Suicide, l’un des fétiches du duo. Jim chante parfois à l’unisson. La beauté singulière des deux voix : un autre de leurs points forts.
On The Wall
Il faut d’ailleurs comparer avec la démo parue sur la cultissime compilation de singles et faces B Barbed Wire Kissies (1988). Certains préfèrent cette version de travail… Avec la pluie et les gouttes de larsen.
The Jesus And Mary Chain – On The Wall (Demo)
Final : une vignette acoustique, une dédicace susurrée par le Jim avec un solo pudique de William, dernière touche au cœur.
About You
Qu’ajouter de plus ? Avec Psychocandy, l’album Darklands constitue le Diptyque parfait et indispensable de Jesus And Mary Chain.
ET DEPUIS…
The Jesus And Mary Chain reviendra vite au feedback avec parfois des pauses acoustiques. Après cinq autres disques incontournables et quelques années de bouderie, les frères Reid se sont réconciliés à l’occasion de la création de l’excellent album Damage And Joy (2017). En concert, le duo joue toujours aussi fort mais les sets durent plus de 10 minutes.
Ps : Et n’oublions pas Sofia Coppola…
Sofia Coppola – Lost In Translation (2003)
Bruno Polaroïd.