Derrière le succès de l’album Imagine et de son titre éponyme, se cache un message trop souvent galvaudé. En 1971, le rêve hippie est passé, mais John Lennon n’a pas renoncé à ses idéaux…
Imagine: l’oeuvre la plus populaire et la plus vendue de John Lennon.
Il s’agit de son deuxième album depuis la séparation des Beatles. Le travail du producteur Phil Spector y est plus léché que sur le premier exercice “Plastic Ono Band” dont le son brut faisait la force, et s’accordait parfaitement aux textes directs de son auteur. Pourtant, comme le confirmait John Lennon, sous ses dehors harmonieux, « Imagine » dissimule la même poésie à vif, et le même venin.
Un album de cœur, et d’esprit
Une lettre adressée par Lennon à la reine Elizabeth et retrouvée récemment, en dit long sur les intentions qui animaient l’artiste au début de la décennie 70. Même si, quel que soit son sentiment de révolte ou son degré de militantisme, il ne peut s’empêcher de donner une tournure comique à sa missive royale…
«Votre Majesté, je vous renvoie cette MBE (distinction Membre de l’Empire Britannique) pour protester contre l’ingérence britannique dans le conflit qui oppose actuellement le Nigeria au Biafra, contre le soutien que nous apportons à l’Amérique dans sa guerre menée au Vietnam, et aussi contre le fait que ma chanson « Cold Turkey » dégringole dans les charts. Avec amour.»
Signé John Lennon of bag .
Mais ne vous y trompez pas, l’ex-Beatles vit la période la plus sérieuse de son existence. L’album « Imagine » est là pour en attester. Le titre “Crippled Inside” met dans l’ambiance. En effet, sur un air de piano country au tempo particulièrement entraînant, Lennon évoque ses propres névroses. Il se projette également dans l’esprit des minorités ciblées par les discriminations, ou les sarcasmes…
John Lennon – Crippled Inside
Tout album de John Lennon comporte généralement un rock primal ou un blues-rock. « It’s So Hard » évoque la peine qu’éprouve l’artiste à surmonter les épreuves de l’existence, ne trouvant réconfort que dans les bras de son amante. Le titre fut publié en face B du single « Imagine »… comme l’envers du rêve ! Ou comment donner corps à une utopie tout en conservant sa dimension humaine…
John Lennon – It’s So Hard
Le ton est toujours aussi direct sur le titre antimilitariste “I don’t wanna be a soldier Mama”. Altruiste, Lennon n’est plus concerné par une incorporation. Pourtant, il se fait sciemment la voix de millions de jeunes craignant de finir leurs jours sur le front vietnamien.
« I don’t wanna be a soldier mama, I don’t wanna die. »
Comme sur le reste de l’album, John peut compter sur le renfort de plusieurs pointures venant donner du crédit à son message. A commencer par son compère des Beatles, George Harrison (guitare). Le bassiste Klaus Voormann (Manfred Mann) et le pianiste Nicky Hopkins (Kinks, Jeff Beck, Rolling Stones). On peut également entendre le batteur Alan White (Yes), et jouir des derniers enchantements du saxophoniste King Curtis (Buddy Holly, Aretha Franklin, Jimi Hendrix). La sympathie et le respect qu’inspire Lennon ne sont pas étrangers à ces prestigieuses contributions. La présence de Phil Spector également.
« I don’t wanna be a soldier » est le seul titre de l’album où le mage de la production utilise son fameux « Wall of Sound »…
John Lennon – I Don’t Wanna Be a Soldier Mama
“How do You Sleep ?” est un véritable réquisitoire, en bonne et due forme, contre son ancien complice Paul McCartney. Mais de toute évidence la double casquette d’icône rock et de figure emblématique du mouvement pacifiste agite gravement John Lennon. Au point de faire de ses deux premiers albums, des œuvres enragées, tout autant que thérapeutiques.
Quelques mois plus tôt, Lennon s’était lui-même senti attaqué dans le titre « Too Many People » publié par McCartney. Il est important de préciser qu’à cette époque, John est plongé dans une phase dépressive. Dans cette période difficile, si elle nourrit une certaine rancœur à l’égard des Beatles, Yoko lui est d’un grand soutien. Auquel il faut malheureusement ajouter celui du manager méphitique Allen Klein. D’ailleurs, « How Do You Sleep » est une réponse extrêmement vindicative, co-écrite avec ce dernier. Une texte que John regrettera par la suite. Peu de temps avant sa mort, il s’efforcera de mettre un terme définitif à la polémique générée par « How Do You Sleep ? »:
« Comme dit Dylan, quand on écrit des trucs pareils, ce sont des choses qu’on écrit sur soi-même. Il n’y a vraiment aucune querelle entre moi et Paul. J’ai utilisé mon ressentiment contre lui… pour créer une chanson, pas cette vendetta horrible et vicieuse »
Prince de la pirouette, John ajoutera d’un air malicieux que le titre « est plutôt bon ». Venu nourrir la légende des Beatles, on ne peut lui donner tort, le morceau reste accrocheur. La sincérité qui s’en dégage donne le frisson, tout comme son riff envoûtant signé… George Harrison !
John Lennon – How Do You Sleep
Car c’est bien une nouvelle fois le point fort de cet opus. Sa sincérité transpire sur chaque morceau. Alors évidemment on succombe. Même à cette ballade aux sonorités venues d’Asie, dans laquelle Lennon délivre une délicieuse bluette amoureuse à Yoko Ono…
John Lennon – Oh My Love
Cette faculté à toucher l’auditeur dès les premières notes, dès les premiers mots d’une chanson, n’est pas donnée à tout le monde. Si ses compositions n’ont rien de complexes, elles possèdent l’énergie et l’authenticité faisant la force d’une grande oeuvre. Quand on écoute John Lennon, on se retrouve dans la position privilégiée du confident. Et on comprend que la star reste un homme accessible à travers ses créations, plus que par toute autre chose…
Jealous Guy
Bien sur, le titre “Imagine” dépasse largement le cadre du standard ou du tube.
« Imagine all the people, living life in peace »
Il est devenu un hymne de paix internationale. Excepté peut-être aux Etats-Unis, où il fut interdit de diffusion au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et où le “no religion too” provoque souvent malaises et discussions. Pourtant, et c’est là encore une similitude criante avec le premier album. “Imagine” est un appel à l’amour, une tentative désespérée d’éveiller en chacun de nous, l’étincelle de lucidité qui pourrait nous unir dans la paix.
Imagine
John Lennon ne se pose pas en prédicateur, ni en sauveur, mais son message et ses intentions sont louables. En particulier sur des titres célébrant la vie, ou celle qui fait battre son cœur.
Yoko Ono n’a jamais fait l’unanimité, ou alors contre elle… Néanmoins, on ne peut que respecter la lumière qu’elle générait dans certaines des créations de l’ancien Beatles.
Oh Yoko !
A sa sortie, même si la production de Spector est jugée délicate et subtile, Lennon reconnaît avoir adouci son oeuvre afin de toucher un maximum de personnes. Il explique que l’essentiel réside dans le titre éponyme. Selon lui, l’urgence est réelle, et le message crucial. Ce dernier ne peut être éclipsé par des considérations artistiques.
« Imagine est le meilleur truc que j’ai jamais fait. »
« Imagine all the people, living life in peace », c’était le souhait formulé par John Lennon en 1971. Deux ans après l’effondrement du rêve hippie, et au sortir d’une décennie ayant vu l’assassinat de Martin Luther King, des frères Kennedy, mais aussi la mort de millions personnes au Vietnam, il était l’un des rares artistes à ne pas avoir baissé les bras. Quarante ans après sa disparition, John Lennon n’a toujours pas été exaucé, mais son rêve est devenu celui de milliards d’êtres humains.
Serge Debono
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