Grant Lee Buffalo (Fuzzy), histoire d’une sombre beauté folk-rock

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Le sacre éphémère de Grant Lee Phillips

Derrière le groupe Grant Lee Buffalo, il y a un grand créateur. Grant Lee Phillips est ce genre d’artisan talentueux et discret ayant contribué à entretenir la richesse du folklore américain. Dans un pays qui n’aime pas se retourner sur son passé, malgré les modes successives, le règne des majors, et une technologie galopante, ce descendant des natifs amérindiens a choisi de cultiver son jardin, n’effleurant “la grande prairie” qu’une seule fois, avec son groupe Grant Lee Buffalo et l’album Fuzzy.

Grant Lee Buffalo

En réécoutant cet opus phare de l’année 1993, on y trouve des légendes modernes et des ballades crépusculaires. On peut aussi y voir fleurir les roses sombres d’une Americana striée par les guitares électriques, sans doute moins ensoleillée que par le passé, mais tout aussi captivante…

Grant Lee Buffalo – Stars n’ Stripes

Tout commence le 1er septembre 1963, dans une ville au doux nom de far-west… Stockton (Californie). Né d’une mère d’origine Creek, et d’un père descendant direct de John Ross (chef de la nation Cherokee), Grant Lee Phillips grandit au son du folk-rock de Dylan et Neil Young. A l’adolescence, inévitablement il s’initie à la guitare. Un instrument sur lequel il excelle, et qui lui fournit un décor idéal pour sa voix grave de conteur.

Grant Lee Phillips

Grant Lee a 19 ans lorsqu’il décide de parcourir les 500 kilomètres le séparant de Los Angeles. Là-bas, perché sur les toits, il exerce le métier de goudronneur afin de financer des cours du soir à l’UCLA (Université de Californie). C’est alors qu’il retrouve Jeffrey Clark, un ami de Stockton. Ce dernier est chanteur. Avec le renfort d’un batteur et d’un bassiste, ils forment Shiva Burlesque, formation oscillant majoritairement entre post-punk et folk-rock. Ils publient deux albums encensés par la critique, à la fin des années 80.

Shiva Burlesque – Mercury Blues

Durant les années 90, de l’autre côté de l’Atlantique, trois courants dominent les débats.

Au nord-ouest, la ville de Seattle est le théâtre inattendu de la résurrection du rock. Puisé dans le cynisme lucide du punk et la puissance du hard, le rock grunge de Nirvana et Soundgarden vomit son désespoir sur le grand écran de la Paramount déployé sur les douces années 80. Il ramène l’Amérique à la réalité), et marque son époque avec son chant rageur, ses cheveux gras, et ses jeans déchirés…

Nirvana – Heart Shaped Box

Dans le même temps, le rap vit sa première mue et voit la culture hip-hop dans son ensemble, se populariser sur deux pôles, New York (East-Coast) et Los Angeles (West-Coast). Wu Tang Clan, Notorious Big et Nas imposent leur flow urbain et désenchanté au coeur de la Grosse Pomme. Pendant que NWA, Tupac Shakur et Cypress Hill enflamment la Cité des Anges.

Cypress Hill – Insane in the Brain

Si la brit-pop de Oasis, Blur et The Verve se fraie un chemin au Billboard, elle a bien du mal à s’installer et n’influence que très peu les productions américaines. Reste celui que l’on appelle “R’n’B” mais n’en a que le nom, la soul et le groove étant délaissés au profit de prouesses vocales souvent chargées d’esbrouffe, mais dont le grand public raffole. Pourtant, à cette époque, il y a bien plus de musique noire dans un seul album des Red Hot Chili Peppers (Blood Sugar Sex Magic) que dans l’œuvre complète de Mariah Carey.

Fort heureusement pour Grant Lee Buffalo, il existe une dernière frange d’auditeurs, pas très à l’aise avec la modernité, et regrettant la chaleur des musiques folk. En 1993, quand l’album Fuzzy porté par son single éponyme, vient concurrencer “la soupe” et la fureur avec ses ballades hantées, on réalise qu’ils sont plus nombreux qu’on ne le pensait.

Grant Lee Buffalo – Fuzzy

Il a suffi d’une faille dans le système, d’une porte entrouverte, d’un instant béni, pour que le trio Grant Lee Phillips (chant et guitare), Paul Kimble (basse, clavier et production) et Joey Peters (batteur) parviennent à se frayer un chemin inattendu sur la scène internationale. Unis par une solide culture rock, folk et soul, ils ne cachent par leur intérêt pour le courant alternatif des 80’s, ou pour des groupes énigmatiques comme Echo & The Bunnymen et The Cure.

Grant Lee Buffalo

Le titre Fuzzy fait un malheur en France et aux Pays-Bas, mais surtout, il permet au label Slash de renflouer les caisses. Si ces derniers ont révélé des groupes comme The Gun Club, Misfits, L7 ou Violent Femmes, produire du rock alternatif en cette période est un choix intègre mais pas toujours lucratif. Deux nouveaux albums de Grant Lee Buffalo verront le jour au sein du label.

Grant Lee Buffalo – The Shining Hour

De l’album Fuzzy émane un désenchantement serein, comme une douce perte d’innocence. La jeunesse s’envole avec ses rêves, mais aussi ses illusions.

“There’s one thing I tell you friend
I don’t believe in supermen
Who fly thru the clouds above the rest
I don’t believe in the best”

Grant Lee Phillips ne croit peut-être pas en grand-chose, pourtant sa voix à la pouvoir de nous emmener bien au-delà d’un paysage sombre et désertique. Les ballades, aussi simples soient-elles, possèdent cette magie indicible et pure, propre à Neil Young et Lou Reed. Dans l’écho d’une guitare folk, une grâce minimaliste soutient le chant, vibrant, majestueux…

Grant Le Buffalo – The Hook

Grant Lee Phillips possède toute la panoplie de l’artiste incontournable. Un univers riche et varié, générateur d’histoires aux décors contrastés. Une voix au délicieux timbre grave, à la fois angélique et méphitique, évoquant les grandes heures de Jim Morrison et Eric Burdon, et capable de s’aventurer avec aisance vers les cimes aiguës de David Bowie. L’instrument idéal pour un conteur d’histoires.

Grant Lee Buffalo – Jupiter and Teardrop

A sa naissance, ses parents pensaient sans doute le rendre soluble dans une société américaine divisée par le communautarisme, en l’affublant des patronymes des généraux de la Guerre de Sécession (Grant et Lee).

Grant Lee Phillips renouera plus tard avec ses racines amérindiennes (sur ses albums en solo). Pour l’heure, il ressuscite et réinvente les légendes de l’ouest américain. Avec pour toile de fond, un folk voyageur où se manifestent des éruptions rock semblables aux orages dans le désert.

Grant Lee Buffalo – Soft Wolf Tread

Il aurait pu connaître le destin d’un artiste maudit, façon Sixto Rodriguez ou Jackson C. Scott. Ou bien une reconnaissance tardive comme Jeffrey Lee Pierce (The Gun Club). Heureusement, en 1993, avec Grant Lee Buffalo et l’album Fuzzy, le monde entier a pu jouir de son talent de compositeur, et de sa voix ténébreuse. Un opus mélodieux quasi parfait, et taillé pour le grand public.

Grant Lee Buffalo – You Just Have to Be Crazy

Pas boudé par la profession, l’album Fuzzy reçoit les éloges de Michael Stipe (leader de REM). Quant à Noël Gallagher (Oasis), il confie s’être inspiré du single éponyme pour écrire Some Might Say.

Après quatre albums publiés en cinq ans, le groupe Grant Lee Buffalo se sépare à l’aube du troisième millénaire. Grant Lee Phillips poursuit une carrière discrète, et pourtant riche de douze nouveaux opus truffés de trésors cachés…

Grant Lee Phillips – Buried Treasure

Lorsque l’on est capable de restituer la culture folk américaine et les images qui l’accompagnent, avec autant de force, de finesse, et de modernité, on mérite d’être mis en lumière de son vivant. Grant Lee Phillips aura eu cette chance. Avant de retourner dans son jardin ombragé, faire pousser de nouvelles fleurs seulement connues des initiés.

Serge Debono

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