SUMMERTIME, le tube de l’été ayant bercé le 20ème siècle

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Histoire et chronologie d’un maillon essentiel de la musique populaire

Le titre Summertime, composé par George Gershwin et Dubose Hayward en 1933, est un maillon reliant tous les genres, et toutes les époques. Avec plus de 70 000 reprises officielles, il semblerait qu’il soit le plus grand tube du 20ème siècle, et sans doute le premier de l’histoire de l’humanité. Même si cela ne s’est pas fait en un jour…

Summertime
Janis Joplin au Festival de San José durant l’été 1968

Si le nom de George Gershwin est relativement connu, spontanément on ne penserait pas à l’associer à ceux de Leiber et Stoller, Holland-Dozier-Holland, Lennon et McCartney, ou encore Bob Dylan.

George Gershwin

Et pourtant, son empreinte laissée dans l’histoire de la musique populaire n’est pas contestable. Et ce, en raison d’un seul titre…

“Summertime, and the livin’ is easyFish are jumpin’ and the cotton is highOh, your daddy’s rich and your ma is good-lookin’So hush little baby, don’t you cry”

Plus de trente ans avant l’éclosion de Janis Joplin, en décembre 1933, Gershwin âgé de 35 ans, démarre l’adaptation d’un poème coécrit par son frère Ira et l’auteur DuBose Heyward, destiné à un opéra en trois actes intitulé Porgy and Bess. L’histoire se déroule durant la Grande Dépression dans un quartier afro-américain de Charleston (Caroline du Sud).

Compositeur de jazz symphonique, Gershwin opte alors pour des sonorités venues du blues et du gospel. Summertime est une berceuse. Un titre résolument positif, dans lequel les auteurs soulignent la joie de vivre de la communauté noire, jouant, chantant, et dansant malgré la misère.

“One of these mornings, you’re goin’ to rise up singin’And you’ll spread your wings and you’ll take the skyBut ’til that mornin’, there’s a-nothin’ can harm youWith daddy and mommy standin’ by”

Une perception sans doute faussée par leur condition privilégiée et un certain goût pour l’exotisme, et qui serait sans doute assimilée à un énorme cliché de nos jours. Mais à l’époque, les paroles de Summertime sonnent comme bienveillantes et progressistes.

Summertime
Abbie Mitchell (Clara) en 1933

Durant la représentation, la chanteuse Abbie Mitchell qui incarne le personnage de Clara, l’interprète à quatre reprises pour bercer son enfant. Le 19 juillet 1935, elle l’enregistre sur un 78 tours, soutenue par Gershwin au piano.

Abbie Mitchell & George Gershwin – Summertime (1935)

Billie Holiday et son sublime désespoir s’en empare dès l’année suivante. Une reprise fondamentale dans l’avenir glorieux de Summertime. Il s’agit de la première à être cadencée par le rythme du jazz et narrée par un chant populaire.

Billie Holiday – Summertime (1936)

Il ne faut jamais renoncer à explorer l’œuvre d’un virtuose. Non pas pour briller en société, mais parce qu’un génie est un genre de père noël. Il possède le pouvoir de délivrer des cadeaux à chacun de nous, si on reste réceptifs. Si je vous dis ça, c’est que je sais combien l’œuvre du saxophoniste Charlie Parker peut s’avérer déroutante. Peut-être le chant du rossignol saura-t-il vous séduire avec cette version ô combien mélodieuse…

Charlie Parker – Summertime (1949)

Vous l’aurez compris, le jazz a récupéré le titre, au point d’en faire un fleuron du genre. Sidney Bechet (1939), Chet Baker (1955), Duke Ellington et John Coltrane (1961), ou encore Stan Getz (1964), tous l’ont intégré à leur répertoire. Quant au maestro de la trompette, Mile Davis, il délivre tout un album adapté de l’opéra Porgy and Bess. Les arrangements sont signés Gil Evans.

Miles Davis – Summertime (1958)

En 1958, Ella Fitzgerald et Louis Armstrong constituent le duo vocal le plus attractif des Etats-Unis. Ils reprennent à leur tour l’opéra de Gershwin.

Ella Fitzgerald & Louis Armstrong – Summertime (1958)

A l’instar d’Elvis Presley, il n’existait aucun standard que Sam Cooke ne puisse reprendre. Le père spirituel de la soul possédait une aisance, une pratique du gospel et une sensualité à même de révolutionner une oeuvre de manière subtile. Son Summertime est à la fois céleste et intriguant…

Sam Cooke – Summertime (1957)

La dose de sensualité injectée par Sam Cooke ouvre la porte à une autre musique trublionne. J’en arrive à Gene Vincent, premier rocker ayant osé se l’approprier. La voix du rocker est alors célèbre pour avoir entonné les prémices de la révolution sexuelle avec le sulfureux Be Bop A Lula. A l’écoute des nouvelles influences latines venues d’Amérique du Sud et des Caraïbes, il décide d’appliquer un tempo frénétique et fiévreux au Summertime de Gershwin.

Gene Vincent – Summertime (1958)

Éduquée au classique, déflorée au jazz, et adepte des melting-pot musicaux, la grande Nina Simone ne pouvait passer à côté de ce standard. Si sa version vaut surtout pour la partie piano, la liberté prise avec le chant saura guider vers la lumière quelques années plus tard, une certaine sirène cosmique

Nina Simone – Summertime (1959)

Pour l’anecdote, en 1960, les jeunes et encore méconnus John Lennon, Paul McCartney et George Harrison tentent de se faire un nom à Hambourg (Allemagne). Ils font la connaissance d’un bassiste membre du groupe Rory Storm & The Hurricanes, nommé Lu Walters. Ce dernier rêve d’être chanteur et invite les trois gars de Liverpool à venir enregistrer une version de Summertime chez Akustik, un studio où la clientèle vient généralement graver des messages sur 78 tours. Lu Walters emmène avec lui le batteur de son propre groupe. Un certain… Ringo Starr. Il existait six copies de cet enregistrement réunissant pour la première fois les Beatles au complet. Hélas, toutes ont été égarées.

Sans doute inspiré, voir décomplexé, par la version de Gene Vincent, Ricky Nelson en offre une fabuleuse version, très rock’n’roll, et teintée de rhythm & blues. L’hallucinante partie de basse proto hard exécutée par Joe Osborn et faisant la singularité de cette reprise, profitera huit ans plus tard au groupe Deep Purple en devenant le célèbre riff du titre Black Night (non-crédité au bassiste).

Ricky Nelson – Summertime (1962)

Après le proto-hard de Ricky Nelson, le proto punk aux accents ska de Vince Taylor. Ecoutez donc, j’exagère à peine…

Vince Taylor – Summertime (1965)

Paradoxalement, si The Zombies sont bien plus dans la tendance que Vince Taylor en cette année 1965, ils optent pour une reprise plus sage. Néanmoins, pour un premier album, le chant délicat de Colin Blunstone et la maîtrise jazz du groupe en laissent plus d’un pantois…

The Zombies – Summertime (1965)

En 1966, Big Mama Thornton en délivre une grande version strictement blues. Il y a fort à parier qu’une fan comme Janis Joplin s’en soit inspirée…

Big Mama Thornton – Summertime (1966)

On ne présente plus le blues-flamenco-électrique de Janis Joplin & Big Brother and The Holding Company. Une version d’anthologie ayant sans doute permis à la fabuleuse Janis Joplin d’entrer au panthéon de la musique.

Summertime
Big Brother and The Holding Company

Il faut dire que supplanter d’immenses chanteuses comme Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Nina Simone sur leur propre terrain n’est pas donné à tout le monde. Ce tube de l’année 1968 permet également à Big Brother, excellent groupe de garage-ppsyché, de ne pas être totalement oublié.

Janis Joplin & Big Brother and The Holding Company – Summertime (1968)

Le succès de la version Joplin redonne au titre une seconde jeunesse, et parvient du même coup à toucher celle qui défile dans les rues. Le groupe Ten Years After en livre une très belle version bluesy. Sur scène, les Doors intègrent fréquemment les deux premiers couplets dans leur impro centrale sur le titre Light My Fire.

Dans la beauté et l’élégance, celle de Love Sculpture, vient flirter avec la magnificence des Moody Blues.

Love Sculpture – Summertime (1969)

Dés ses débuts, Al Green avait le don de tout rendre érotique et divin. Même une berceuse…

Al Green – Summertime (1969)

En 1972, Doc Watson ramène le titre Summertime aux origines du folk américain. Si vous aimez le bluegrass, les interprétations sobres et néanmoins prenantes, ça devrait vous plaire…

Doc Watson (1972)

En 1973, le reggae vit peut-être son apothéose dans la mouvance roots. BB Seaton, prince du ska jamaïcain, se laisse tenter par les influences soul et les crépitements de guitares électriques popularisés par les Wailers. Du coup, rien d’étonnant si Summertime se fait chalouper de si belle manière…

BB Seaton (1973)

La version publiée par Peter Gabriel au milieu des années 90, fait partie d’un album hommage à l’harmoniciste Larry Adler. Ce dernier apporte une touche bucolique à une version particulièrement solennelle.

Peter Gabriel & Larry Adler (1994)

A l’opposé, les Dum Dum Boys n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Une version très électrique et chargée de reverb, qui a le mérite d’oser chambouler le standard, sans le dénaturer pour autant.

Dum Dum Boys (1995)

Pour une version influencée par le raggamuffin et le hip-hop, je me tourne vers les californiens du groupe Sublime

Sublime (1996)

A ce stade, il est bon aussi de redécouvrir le titre dans toute sa pureté. Ballade mélancolique folk, bien exécutée par les Stereophonics.

The Stereophonics (1997)

Enfin, le titre figure dans une légion de films. De Il était une fois en Amérique (Sergio Leone), à Once Upon a Time in Hollywood (Quentin Tarantino).

Rares sont les titres ayant connu des reprises de cette qualité dans des styles aussi différents. Opéra, jazz, folk, soul, blues, reggae et les nombreux courants rock l’ont célébré. Summertime est un maillon essentiel de la musique moderne car il puise sa source dans le mélange des genres et des cultures. 70 000 versions ! Je vous laisse le soin de dénicher les autres. En attendant, vous avez de quoi bercer votre été.

Serge Debono

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