MONEY, l’histoire de Barrett Strong et du premier tube Motown

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A la mémoire de Barrett Strong disparu le 28 janvier 2023

Money ! Le nerf de la guerre. La cause de tous nos tourments. L’argent, et la nécessité de s’en procurer, alimentent le répertoire de la musique populaire depuis des lustres.

Barrett Strong - Money

Barrett Strong, binôme de Norman Whitfield avec lequel il a écrit des standards tels que I Heard it Through the Grapevine (Gladys & The Pips, Marvin Gaye), War (Edwin Starr) ou Papa Was a Rolling Stone (The Temptations), connaissait bien le sujet. Bien qu’étant le compositeur de la partie instrumentale de Money (Thats What I Want), il dut se rendre au tribunal afin de récupérer ses droits d’auteur. En 1987, ils lui sont restitués. Puis retirés à nouveau l’année suivante, le talentueux et cupide Berry Gordy, fondateur et directeur de la Motown, niant son implication.

Les prémices de l’école Motown

En 1959, c’est donc avec un Berry Gordy alors peu fortuné, et Janie Bradford (auteure-compositrice), que Barrett Strong coécrit et interprète le titre Money (that’s what I Want). En 1959, sans le savoir, il représente la première étincelle de l’école Motown, et en tant qu’artiste de couleur, sait mieux que personne, combien il est difficile de gagner sa vie sur le sol américain. D’autant que la concurrence est rude…

Barrett Strong - Money

Le fameux Billboard Hot 100 est accaparé par Elvis Presley, Buddy Holly, Ricky Nelson et Eddie Cochran. Chuck Berry et Little Richard sont les seuls rockers noirs à s’y faire une place. Sam Cooke et Ray Charles, eux, trustent les sommets des charts R&B.

Compositeur et producteur, Berry Gordy rachète une vieille demeure dans le cœur de Détroit. Elle portera bientôt le nom de « Hitsville USA », en tant que premier studio et siège social de Tamla Records (future Motown).

Barrett Strong et Berry Gordy improvisent un boogie au piano, quand ils sont rejoints par le batteur Benny Benjamin. De passage, le compositeur Brian Holland (Holland-Dozier-Holland) attrappe un tambourin. Dans la rue, deux jeunes passent devant la maison. Guitariste et bassiste, ils entrent et demandent à jouer. Voilà comment le premier tube de l’histoire de la Motown voit le jour…

Barrett Strong – Money (That’s What I Want) / 1959

Money est publié en Angleterre l’année suivante, mais ne rencontre pas le même succès. C’est chez NEMS, magasin de disques de Brian Epstein (pas encore manager des Beatles), que John Lennon, George Harrison et Paul McCartney font sa découverte. Lennon est totalement électrisé par ce morceau.

The Beatles (1960)

Les Beatles l’interprètent une première fois avec Pete Best (batterie) en 1962, pour leur audition chez Decca Records. Figurant régulièrement dans leur setlist de concert, ils l’enregistrent définitivement en 1963, sur l’album With The Beatles. Inutile de préciser que leur notoriété fournit un écho retentissant aux productions Motown déjà florissantes. Par la suite, Lennon reprend fréquemment Money sur scène, notamment au Festival de Toronto (1969).

The Beatles – Money (That’s What I Want) / 1963

Concert d’anthologie, le Live au Star Club de Hambourg de Jerry Lee Lewis est un disque légendaire. Le plus sulfureux des rockers, le premier bad-boy, saisi au sommet de son art, et en pleine furia. Il est alors blacklisté aux Etats-Unis et en Angleterre. Jerry Lee est en train de retomber dans l’oubli et il est amer. On raconte même qu’il tourne aux amphétamines…

Possible, mais si les amphets donnaient des doigts de fée, et une telle virtuosité, il y aurait un paquet de camés sur notre planète. Ce soir-là, à Hambourg, le Killer réclame l’argent qu’il ne gagne plus (Money !!!). Il fait trembler le Star Club comme personne ne l’avait jamais fait auparavant. Attention, cet album donne des regrets. Au moins un. Celui de ne pas y avoir assisté…

Jerry Lee Lewis – Money (That’s What I Want) /Live au Star Club de Hambourg / 1964

Si vous aimez les ambiances cuivrées façon juke joints, avec saxo frénétique, voix soul, et cris survoltés du public, cette version de Junior Walker & The All Stars, devrait vous séduire…

Junior Walker & The All Stars – Money (That’s What I Want) / 1966

Personne n’ignore les talents de guitariste de Buddy Guy. Certainement l’une des plus fines lames des années 60-70. A cette époque sa voix possède une douceur ineffable, et une sensualité rare. Sur des reprises comme Fever, ou Money (That’s What I Want), il parvient à conserver un peu du tempo originel de Détroit, tout en y incorporant son blues de Chicago…

Buddy Guy – Money (That’s What I Want) / 1968

Sous les influences blues, pop et garage, on en oublierait presque que les Doors avaient également des accointances avec la soul et le rythm & blues. Concernant Money, leur reprise publiée sur le tard est enregistrée en 1970, alors que le groupe s’immerge dans un blues gras et marécageux (Morrison Hotel). Le boogie de Manzarek soutenu par Densmore, et les saillies bravaches de Krieger et Morrison, rythment donc cette version piano-bar jubilatoire…

The Doors – Money (That’s What I Want) / 1970

Money est un titre tellement bien fichu, qu’il fallait que quelqu’un le désosse. D’ailleurs, c’est sans doute la meilleure chose qui puisse arriver à un standard. Qu’un audacieux ose l’éplucher et en extraire le jus premier, pour le mélanger à un breuvage dangereux. C’est un peu ce que Iggy Pop et les Stooges se sont attachés à faire. Une version presque totalement punk…

The Stooges – 1973

Après le Roi Lézard et l’Iguane, inévitablement c’est le tour des Flying Lizards. Groupe de new wave expérimentale, ils devaient avoir une oreille sur les productions des Stooges. N’importe comment, on est en 1979, et le punk-rock a semé la graine de la poésie directe, et du fait maison. Une vague minimaliste irrévérencieuse à l’esprit rock gagne même les milieux arty.

The Flying Lizards

Contre toute attente, à l’orée des 80’s, Money redevient un tube sous des allures robotiques. Une version singulière, et en apparence assez éloignée de l’originale, mais qui prouve qu’un grand standard peut se renouveler au fil du temps.

The Flying Lizards – 1979

Le malheureux et talentueux Barrett Strong fut donc évincé des crédits de Money (That’s What I Want) par le peu scrupuleux Berry Gordy. Ce dernier étant coutumier du fait, autant dire qu’il n’a pas souvent vu la couleur de l’argent que son talent générait. Doté d’un nom de famille (strong=fort) incitant à s’accrocher, il a séjourné un moment dans une modeste maison de retraite, avant d’acquérir une demeure grâce à un reliquat de ses droits d’auteur. Barrett Strong nous a quittés le 28 janvier 2023, à l’âge de 81 ans.

Barrett Strong - Money

En espérant que l’Histoire de la Musique et le grand public retiennent enfin son nom. Barrett Strong, Barrett Strong, Barrett Strong

Serge Debono

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