(I Can’t Get No) Satisfaction, un standard non désiré

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Un rêve, un riff… et une référence

L’histoire de Satisfaction, célèbre titre des Rolling Stones, est celle d’un standard non désiré. Pourtant, les reprises pullulent depuis sa sortie, il y a bientôt 60 ans.

En 1965, Keith Richards se remet d’une soirée mouvementée, lorsqu’un riff de guitare vient perturber son sommeil. Il se lève en pleine nuit, joue le riff en question sur sa guitare folk, enclenche son magnétophone afin de ne pas l’oublier, puis se recouche, laissant la bande enregistrer ses ronflements…

Satisfaction
Keith Richards et Mick Jagger (1965)

Le lendemain, il est tout près de l’effacer quand il réalise que son riff ressemble à celui de Dancing in the Street (Martha & The Vandellas). Mais le truc plaît à Mick Jagger. Allongé au bord de la piscine d’un hotel de Floride, le chanteur se fend d’un texte résumant parfaitement les nouvelles aspirations des enfants de la guerre. Une critique de la société de consommation, et la quête d’une sexualité épanouie…

« C’est la chanson qui a vraiment fait les Rolling Stones. Nous sommes passés d’un simple groupe de plus, à un groupe énorme, monstrueux… Un titre captivant. Un riff de guitare captivant. Et un super son de guitare, ce qui était original à l’époque. Enfin, ce titre capture l’esprit de l’époque, ce qui est très important dans ce genre de chanson… L’aliénation ! »

Mick Jagger

Un thème délicat qui va freiner sa sortie en Angleterre (publié dix semaines après les USA), et obliger les fans à l’écouter sur des radios pirates.

Si le Kief pond des riffs de légende en dormant, il n’est pas visionnaire. En effet, il ne mise pas une seconde sur ce titre. Il s’oppose d’ailleurs fermement à sa publication, en raison d’une trop forte ressemblance avec le titre des Vandellas. Celle-ci s’effectue sans son accord, alors que le groupe est en tournée.

Le futur son du rock

Le son fuzz du riff amené à redéfinir le rock dans les années à venir, n’a pas les faveurs de Keith Richards. Il souhaiterait qu’il soit joué par des cuivres. Quant au rythme martial martelé par Charlie Watts, il le voudrait plus chaloupé, façon rythm & blues. En entendant la version d’Otis Redding, Keith Richards trouvera celle du soulman bien plus proche de son idée originelle.

Satisfaction

Mais le manager Andrew Loog Oldham et l’ingénieur du son Dave Hassinger ont saisi l’aspect révolutionnaire du morceau. En effet, si les Kinks avaient utilisé le même type de son sur le titre You Really Got Me, c’était de manière artisanale, en lacérant leur ampli. (I Can’t Get Know) Satisfaction est le premier titre utilisant une pédale fuzz. Son succès est tel que cette pratique s’étend à l’ensemble des productions rocks à venir, amorçant non seulement l’ère du psychédélique, mais également celle du hard rock et du métal.

The Rolling Stones – (I Can’t Get No) Satisfaction (1965)

Durant l’été 1965, malgré son physique mature, Otis Redding n’a pas encore 24 ans lorsqu’il enregistre sa propre version. Il ne fait donc pas partie de cette génération frustrée d’avoir été pillée par le monde blanc. D’ailleurs, son troisième opus plébiscité, Otis Blue, en plus de la reprise des Stones, contient trois adaptations de titres de Sam Cooke, une de B.B King, et une autre de Smokey Robinson.

Satisfaction“La musique est un bien commun”, Otis est en paix avec cette idée de partage, et en phase avec son époque. L’année suivante, il reprend le Day Tripper des Beatles, pendant que son homologue Al Green délivre une reprise de Light My Fire (The Doors). Après que le rock british ait revendiqué ses influences rhythm & blues, c’est au tour des jeunes soulmen d’établir un pont entre les deux mondes…

Otis Redding – (I Can’t Get No) Satisfaction (1965)

Durant le même été 65, un certain James Marshall Hendrix traîne ses guêtres du côté de New York. Après avoir joué pour Sam Cooke, il est remercié par Ike Turner (lassé de ses improvisations), et congédié par un Little Richard craignant d’être éclipsé par son talent.

Curtis Knight & The Squires

Jimi rejoint alors un groupe local peu connu, Curtis Knight & The Squires. La voix et le charisme du chanteur, alliés aux prouesses du divin gaucher, leur permettent de remplir quelques clubs. Et même d’enregistrer un disque, qui contient cette cover des Stones, et sera par la suite une source d’ennuis juridiques constante pour le guitariste. Le son n’est pas extraordinaire, mais on peut déjà sentir les velléités psychédéliques de Jimi Hendrix…

Curtis Knight & The Squires – (I Can’t Get No) Satisfaction (1965)

Que le monde de la soul et du blues se rue sur ce titre dès sa sortie est déjà une petite révolution. Mais que dire de l’intérêt soudain des jazzmen pour le rock garage. Des artistes cross over comme Nina Simone et Screamin’ Jay Hawkins avaient déjà fait un pas dans cette direction. Mais lorsque cette cover instrumentale signée Quincy Jones paraît en fin d’année 1965, c’est un signal fort envoyé à l’élite de la critique musicale, avec ses bâtisseurs de murs et ses dresseurs de cloisons. L’organiste Don Patterson l’imite l’année suivante.

Quincy Jones – (I Can’t Get No) Satisfaction (1965)

J’aime bien Mr Eddy. Sa culture ciné, son talent d’acteur, mais aussi sa voix splendide, son flegme, et son phrasé qui fait sonner le français plus rock’n’roll. Mais là…

L’entame, pour commencer. Emprunter le timbre nonchalant de Mick Jagger n’était pas forcément une bonne idée. Enfin, l’aspect subversif du texte a totalement disparu pour laisser place à une bluette sans saveur. Pourquoi l’intégrer à cette chronique, me direz-vous ? D’abord parce qu’il a senti tout le potentiel du morceau en l’adaptant l’année de sa publication. Et qu’une fois passée l’intro, Eddy enflamme le titre et fait un peu oublier le texte. Mais surtout, parce que l’instrumental alimenté par les deux gâchettes de studio que sont Jimmy Page (guitare rythmique) et Big Jim Sullivan (solo), offre un moment pionnier de rock psyché de haute voltige…

Eddy Mitchell – (I Can’t Get No) Satisfaction (1965)

Après Otis Redding, Mary Wells publie une deuxième cover soul en 1966. Mary Wells est la première star du label Motown. Elle possède tout ce qui fait la grandeur des productions de Berry Gordy, élégance, douceur et une classe à toute épreuve. Pour ceux qui ont l’ouïe fine, au milieu de la chanson, la chanteuse glisse un petit clin d’oeil à Ray Charles

Mary Wells – (I Can’t Get No) Satisfaction (1966)

Tout le monde cherche à se le réapproprier, c’est dire si ce titre parle à son époque. En 1966, l’orchestre de Manfred Mann ou celui du grand James Brown en délivrent chacun une version instrumentale dominée par l’orgue hammond. L’année suivante, c’est la Queen of Soul, Aretha Franklin, qui s’en empare pour clamer son insatisfaction…

Aretha Franklin – (I Can’t Get No) Satisfaction (1967)

Les membres de Blue Cheer sont les premiers à tenter de fusionner la version des Stones et celle d’Otis Redding. Avec une touche non négligeable de psychédélique…

Blue Cheer – (I Can’t Get No) Satisfaction (1968)

La même année Sandy Shaw en livre également une bonne version avec des arrangements façon Motown.

Mais le fameux riff central fait des émules jusque dans la frange rock du reggae naissant. Avec Bob Marley & The Wailers et Toots & The Maytals, le jeune Ken Boothe est un membre actif de cette nouvelle vague jamaicaine. En entendant cette cover, on réalise que le thème s’intègre parfaitement au rythme ska. Avec une production roots signée par le producteur sino-jamaicain Leslie Kong, un riff doublé par l’orgue, et un chant soul plein de conviction, on retrouve la révolte originelle du titre…

Ken Boothe – (I Can’t Get No) Satisfaction (1970)

CCS (Collective Consciousness Society) est un groupe fondé par le producteur Mickie Most et le directeur artistique John Cameron. On y retrouve notamment le pionnier du blues anglais Alexis Korner, ainsi que le guitariste Alan Parker et le saxophoniste Ronnie Ross. CCS est souvent considéré comme un groupe de prog-rock. Pourtant, leurs titres, s’ils mettent en avant le talent de leurs instrumentistes, restent mélodieux et relativement courts. Fortement influencés par les big band jazz, leur courte existence (3 ans) au début des 70’s, les a vus reprendre bien des standards de rock. De Johnny Kidd à Led Zeppelin. Leur maîtrise enjouée évoque un peu le band de Frank Zappa, l’humour en moins…

CCS – (I Can’t Get No) Satisfaction (1970)

Le groupe suivant, originaire de Detroit, et quelque peu retombé dans l’oubli, possède quelque chose de particulier. On croirait entendre une fusion entre le Spencer Davis Group, les Vandellas et Sweet Smoke. Là encore, on ne s’ennuie pas. Tempo relevé par les percus, chœurs soul, et des relances à tire larigot. Mais tout ce qui vient de Detroit est souvent digne d’intérêt…

The Stuart Avery Assemblage – (I Can’t Get No) Satisfaction (1971)

Les Troggs, célèbres pour leur titre Wild Thing, ont eu une influence considérable sur le garage et le punk rock. Ayant émergé en Angleterre à la même période que les Stones, sans doute les ont-ils influencés également. La réciproque est vraie, puisque en 1975 The Troggs permettent au standard de retrouver son odeur de stupre. Car ne l’oublions pas, au-delà d’une critique du consumérisme, Satisfaction exprime l’ennui et la quête de sensations fortes. Au moins par le biais du sexe…

The Troggs – (I Can’t Get No) Satisfaction (1975)

L’année suivante, en plein mouvement punk, la version horrifique (à faire pâlir Black Sabbath) et totalement déjantée de The Residents, brille surtout par son originalité. Ainsi qu’un clip animé tout aussi dingue que leur cover…

The Residents (1976)

En 1978, le minimalisme de Devo se devait de reprendre ce tube aux allures rudimentaires. Une cover efficace rythmée par une basse coulissante et un chant taillé au couteau, que l’on retrouve dans la bande son du film Casino (Scorsese)…

Devo (1978)

Quand je vous dis que tout le monde s’y est essayé, je veux vraiment dire tout le monde ! Je vous épargne la version mi-rock fm, mi soul 80’s de Samantha Fox paru en 1987, j’ai souffert pour vous… Je plaisante, c’est pas si mauvais. Bien meilleure que la version Britney Spears saturée d’effets et parue en l’an 2000.

Je préfère donc m’attarder sur la cover gothique (1988) du groupe Alien Sex Fiend. Car si on doit faire dans le synthétique et l’artificiel, autant y aller à fond. Anxiogène, mais intéressante et novatrice. Notamment dans l’utilisation du riff…

Alien Sex Fiend (1988)

J’aurais aimé vous en proposer une version rap, tant le texte se prête aux revendications des artistes du genre à la fin des années 80, mais l’adaptation de Vanilla Ice, déjà auteur d’un emprunt discutable à Queen et Bowie (Under Pressure) pour son tube Ice Ice Baby, ne m’a pas convaincu.

Je préfère amorcer la fin de cette chronique en beauté, avec un duo comprenant deux des artistes féminines les plus inventives des années 90. Un crescendo punk hallucinant, qui intrigue et prend aux tripes…

PJ Harvey & Bjork (1994)

Une version ralentie et acoustique manquait à cette chronique. Cat Power en délivre une assez fascinante, amputée du refrain, et exprimant toute sa lassitude, sans pour autant lasser…

Cat Power (2000)

Pour boucler la boucle, voici une version teintée de garage-rock par des pionniers du genre. Ici, soutenue par un son d’orgue très sixties, la guitare a repris le dessus, et le rock’n’roll ses droits.

Question Mark & The Mysterians (1999)

Serge Debono

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