LA MORT DU ROCK, une histoire de Serge Debono

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La Mort du Rock : une short-story imaginée par Serge Debono, et illustrée par Denys Legros

La Mort du Rock c’est l’histoire d’un choc insolite de générations, ou comment un agent de rocker, d’ordinaire intraitable, tombe sur un os le jour de l’anniversaire de la mort du King…

La Mort du Rock
 Illustration © Denys Legros

16 août, fin de journée, il arrive à New York. Comme dans chaque aéroport qu’il a traversé aujourd’hui, c’est la musique du King qui rythme les pas des voyageurs. Après être allé à Austin (Texas) sur l’air de All Shook Up dans la matinée pour ravitailler cette sale gosse de Pimkie, il s’est ensuite rendu à Tucson (Nevada) sur les promesses de One Night With You, où il a signé deux nouveaux contrats pour Grave Records, avant de sauter dans un avion pour Los Angeles (Californie) avec les regrets de Suspicious Minds, finaliser un accord avec un groupe de métal.

Une journée somme toute banale pour Larry Shaw qui retrouve le tumulte de New York sans enthousiasme…

Cumulant les casquettes de manager, d’agent, et d’imprésario pour des artistes allant de la Pop la plus bubble au métal hardcore le plus intransigeant, il se moque éperdument des étiquettes. Les inspirations, l’univers musical, Larry s’en contrefout. Aussi sensible à la musique qu’un bûcheron à la couture, il a néanmoins d’autres cordes à son arc. Il sait mieux que personne, amadouer ces jeunes artistes souvent hautains et capricieux, et souhaitant par-dessus tout préserver l’intégrité de leur œuvre. Généralement, il parvient à dissiper leurs doutes en faisant venir quelques filles, et en remplissant le sucrier… Mais si le besoin s’en fait sentir, il n’hésite pas à mettre la main à la poche, en se fendant d’un billet aller-retour pour la Jamaïque, ou les Bahamas.

Sa profession lui assure des revenus confortables, et sa psychologie et son sens des affaires font qu’il jouit d’une certaine crédibilité dans le milieu. Marié à une ex-mannequin californienne, il est le père d’un grand et beau garçon, et d’une jolie petite fille, le chien dans le jardin complétant le tableau de la parfaite petite famille américaine.

En fait, tout va pour le mieux dans la vie de Larry Shaw quand il débarque pour régler un problème de dernière minute aux Studios Electric Lady de Greenwich Village…

—  Ah Larry ! Te voilà enfin. Leur concert est dans quatre heures, et ces petits cons refusent de partir.

— Quel est le problème ?

— Le problème ? C’est la mort du rock, voilà ce que c’est !

—  Ok, je m’en charge.

—  Attends. Il faut que je te dise. En apparence, c’est le topo habituel, gueules pré- pubères, beuglements préhistoriques, et dégaines de Metallica. Sauf que, quand ils causent on dirait plutôt les Pink Floyd… Tu vois l’genre ?

—  Qui ? Ah oui… bien sur.

Il pousse la porte pour découvrir quatre jeunes hardos avachis sur un canapé, éclairés par un cercle de bougies enflammées, observant un silence de mort dans une fumée épaisse. Bien que ce spectacle lui soit familier, Larry a soudain comme un mauvais pressentiment en constatant qu’il s’agit de quatre frères. Des quadruplés… Hormis cette désagréable impression d’avoir en face de lui un gars cloné trois fois, il sent que ces jeunes chevelus vont lui causer du souci…

—  Salut les gars ! Désolé d’interrompre votre cérémonie mais vous avez un concert à Boston dans quatre heures.

—  On ne prend pas l’avion aujourd’hui.

—  Quoi ? Mais c’est jeudi, c’est pas shabbat !

—  On n’est pas juif Mister Shaw. On ne prend pas l’avion aujourd’hui, c’est tout.

—  Pourquoi ? C’est à cause de la mort du King ! La nation fête les 40 ans de la mort de ce gros lard à rouflaquettes, la belle affaire !

—  Un peu de respect pour Monsieur Presley, je vous prie.

—  Pardon ?

Des métalleux avec plus de deux mots de vocabulaire montrant autant d’estime pour les vieilles institutions, Larry n’en avait encore jamais croisés…

Ils vouaient pour la plupart, un culte à Ozzy Osbourne, Alice Cooper et Marilyn Manson, et crachaient ouvertement sur le reste. A commencer par Elvis.

— Mais ce n’est pas tout. Il y a une chose que vous semblez ignorer. Aujourd’hui, nous fêtons les 80 ans de la disparition de Robert Johnson.

—  Quoi ? Celui qui fit un pacte avec le diable?

—  Oui, Mr Shaw. Mais ce ne sont que des médisances propagées par la majorité blanche. Néanmoins, en 1938, Robby ouvre le bal du club des 27, et on ne badine pas avec la Malédiction.

—  Ah… Je vois. Et vous rendez donc hommage à cette malédiction en ne prenant pas l’avion. C’est vraiment la mort du rock…

—  Pas du tout. L’avion, c’est à cause de Buddy Holly et Ritchie Valens. Le crash en 1959.

—  Quel rapport ?

—  22 ans et 17 ans. Vous appelez ça comment ?

—  Ouais… Mais ils n’avaient pas 27 ans ?

—  Mes frères et moi, nous pensons que la malédiction touche tous ceux qui embrassent la voie du Rock, que ce soit par le biais d’une apparition, ou d’un truc mystique.

—  Et c’est votre cas ?

—  Non, nous, on a juste fait un rêve. Mais en simultané ! Reconnaissez que ce n’est pas commun ?! Depuis, nos créations sont devenues… comment dire… dantesques ! Nous ne prendrons pas l’avion Mister Shaw. Aussi à cause d’Otis Redding. Et Ricky Nelson, c’est le pire…

—  Pourquoi ça ?

—  Ricky Nelson est mort dans un avion appartenant à Jerry Lee Lewis. Vous saisissez ?

—  Non, je m’en fous. Vous ne prenez pas l’avion ?

—  C’est ça. La voiture non plus.

—  Quoi ?

—  Eddie Cochran est mort dans un taxi, à Londres. Il avait notre âge, 21 ans. Pas de moto non plus.

—  Ah ?

—  Duane Allman et Berry Oakley, membres des Allman Brothers. Ils se tuent sur le même carrefour, à un an d’intervalle. C’est pas dingue ?

—  Si, si, bien sûr… Mais dîtes-moi les gars, vous me semblez bien angoissés. Vous savez ce que je vous propose ? Ce soir, après le concert, on ira tous ensemble dans une villa chez des amis. Il y aura des filles, de l’herbe, de la coke…

—  Ah nan, mec. Je t’arrête tout de suite. Ca non plus, on aime pas trop.

—  Quoi, vous voulez rire ?

—  Ben nan ! Janis Joplin, Jim Morrison, Sid Vicious, Amy Winehouse… La liste est aussi longue qu’un solo de Jerry Garcia, mec !

— Mon dieu, c’est pas possible… C’est vraiment la mort du rock…

— D’ailleurs, en parlant de guitar-hero, on ne fera pas la même erreur que Jimi Hendrix. Aucune confiance en notre manager !

—  C’est quoi encore cette histoire ?

Mike Jeffery, il avait des accointances avec la mafia, et le FBI. On raconte qu’il aurait fait supprimer son gratteux aux mains d’or, de peur qu’il ne renouvelle pas son contrat.

— Bon, ok ! Si je comprends bien, la perspective de mourir vous inquiète beaucoup. Et il semblerait que votre profession vous rende superstitieux. Seulement, une question me taraude. Pourquoi avoir choisi The Satanists of the Death That Kills (Les Satanistes de la mort qui tue) comme nom de groupe, et nommé votre premier album « Life is a Cemetery » (La vie est un cimetière) ?

—  …

FIN

Metallica – Master of Puppets

Serge Debono

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