SPARKS – Casino de Paris / avril 2022
Vers 19h30, lorsqu’on pénètre dans la salle, Thomas VBD et un copain DJ assurent l’ambiance. Un premier moment d’inquiétude se dissipe très vite car leur animation figure à des miles de celle d’un David Guetta. En matière de musique, les platines envoient des groupes et artistes foncièrement influencés par Sparks. Mais d’où sortent-ils ? Même s’il fut en son temps rédac chef de Rock Sound, que Mr Vandenbherg connaisse autant de formations ayant des accointances avec les têtes d’affiche du soir en dit long sur l’amour qu’il lui porte. D’ailleurs, avant de quitter la scène, il nous livre un petit speech très « stand up » où il l’affirme, Sparks ne peut pas être considéré comme : « Sparks ? Ah oui ! C’est un groupe sympa », mais bien telle une entité unique et sanctifiable, une véritable œuvre d’art. Le concert à suivre va-t-il confirmer la possibilité d’un tel engagement ?
Après une attente un rien longuette (surtout lorsqu’on est debout dans la « fosse »), une intro orchestrale de type péplum ouvre le ban. Les membres de Sparks arrivent au grand complet noyés dans une nappe de fumée. Nous distinguons d’abords des ombres qui prennent place en arrière scène puis Ron Mael tout de noir vêtu s’installe derrière son clavier. Cette entrée teintée d’humilité s’accompagne pourtant d’une bronca générale. Et lorsque Russell Mael débarque, malgré le smog, on ne peut pas le rater ! Il porte un magnifique ensemble coordonné jaune canari, la pièce du haut laissant libre ses bras gainés de noir.
SPARKS – So May We Start
C’est tout naturellement que Sparks démarre son show avec « So May We Start ». Sparks ou un duo ? Les deux. Ron et Russell Mael sur le devant, rien moins qu’un bassiste, un second clavier, un batteur muni d’une double grosse caisse (!) et deux guitaristes juste derrière. Les frères nous ayant parfois réservé des prestations « minimalistes », nous sommes rassurés quant à l’épaisseur du son qui, ce soir, sera accordée aux chansons.
« La playlist, la playlist ! ». Aligner des titres à l’image d’une liste de courses ou d’un empilage de cubes … Précisons plutôt que toutes les époques, et quasiment tous les albums, sont visités. Adepte du grand-écart, faisant fi de la moindre chronologie, quelque part dans l’enchainement des titres, on passe de « Tips For Teens » (1981) à « Suburban Homeboy » (2002), de « Wonder Girl » (1972) à « Edith Piaf (Said It Better Than Me) » (2017), d’une résurgence de FFS, « Johnny Delusional » (2015), à « Never Turn Your Back On Mother Earth » (1974), de « The Number One Song In Heaven » (1979) à « We Love Each Other So Much » entremêlé d’un « Aria (The Forest) » extraits d’Annette et chanté en duo par Russell accompagné de la ravissante Catherine Trottmann ; chanteuse lyrique et sociétaire à l’opéra national de Paris, et ainsi de suite.
Under The Table With Her
A noter, deux « vieilleries » jubilatoires sont excavées d’Indiscreet (1975) pour nous être livrées dans leur costume et tonalité d’origine, « Get In The Swing » et « Under The Table With Her ». Qu’à 74 ans Russell Mael continue à atteindre les sommets vocaux qu’il pratiquait à 27 ans, âge fatidique pour les membres du célèbre « Club », ne laisse pas de nous surprendre. Un exemple d’hygiène de vie !… Pour le moins côté cordes vocales.
SPARKS – We Love Each Other So Much + Aria (The Forest)
Si d’autres incontournables sont joués, du mélodieux « When Do I Get To Sing My Way » (1994) au répétitif « My Baby’s Taking Me Home » (2002), phrase assénée une centaine de fois (!), une rare beauté nous est servie avec « I Married Myself » (2002). Sparks nous ayant habitué à jouer presque en intégralité leur dernier Lp, on s’étonne de la moindre place accordée à A Steaddy Drip, Drip, Drip (2020) dont nous retenons le détonnant « Stravinsky’s Only Hit » et « All That » qui clôt le concert. Evidemment, le must du must, le one hit wonder, ne pouvait manquer, et c’est sous un tonnerre de feu orchestré par le public que « This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us » est accueilli.
This Town Ain’t Big Enough For Both Of Us
Une prestation live de Sparks, c’est un moment hors du temps, bienveillant, où public et groupe communient d’un seul élan. Quel que soit le morceau délivré, l’engouement est identique, chacun dans la salle appréciant au moins une des différentes périodes du groupe ; même les moins célébrées.
Ron Mael, depuis Ronald, dans sa veste trop large, trône tel un Jedi (les oreilles de Yoda ne sont pas loin !). Il conserve cet air énigmatique et figé qu’on lui connait. Pourtant, par moment, lorsqu’il écoute son frère présenter en français le titre qui va suivre, un sourire retenu lui échappe. Ses 77 ans ne l’empêchent pas de venir « pogoter » à l’habituel sur le devant de la scène ; cette fois-ci à l’occasion du pont musical et central de « The Number One Song In Heaven ».
Russell, sans pour autant cabrioler, arpente la scène avec entrain, délivre quelques pas de danse et invite le public à taper dans ses mains à de multiples occasions. Contrairement à moult autres prestations d’autres formations rock, où le « clap your hands » est boudé, celui-ci répond à la demande sans rechigner. Plongé dans le show, n’en perdant pas une miette malgré les éternels « géants » qui vous bouchent la vue, à la limite du torticolis, les minutes s’égrainent telles des secondes.
SPARKS – The Number One Song In Heaven
https://www.youtube.com/watch?v=NkSDDgXh7-M
Lorsque les lumières se rallument, que la musique fait place au plébiscite, Ron et Russell ne quittent jamais les lieux sans présenter leur backing band ainsi que chaleureusement remercier leur public. A chaque fois, ils délivrent un petit discours où ils rappellent leur gratitude à l’encontre de celles et ceux qui les soutiennent contre vent et marée depuis toujours. Ron parle de cinéma, de Jacques Tati … Russell, quant à lui, précise que s’ils ne sont pas français, ils ont quand même remporté un César. A cet instant, un sourire gourmand apparaît sur le visage des deux frères, la fierté d’être enfin parvenu à inscrire leur travail sur grand écran.
Et puisque pour revenir il faut partir, le duo nous quitte en annonçant la venue prochaine d’un nouvel album ceint d’un autre film musical. Quand on aime …
All That
« Il n’y a si bons amis qui ne se quittent… », alors adieu, et à demain … Peut-être. Si la vie nous épargne, assurément !
Thierry Dauge