L’année 1978 voit l’avènement d’une artiste pop au talent précoce, et singulier…
Kate Bush pourrait être classée au rayon variété ou expérimental, cela ne changerait rien au phénomène. L’oeuvre de cette artiste hors normes découle essentiellement d’un don naturel pour la musique, et d’une insatiable créativité.
Le choc Ziggy Stardust
Catherine Bush dite Kate Bush voit le jour le 30 juillet 1958 dans le sud-est de Londres. Fille d’une infirmière irlandaise, et d’un médecin anglais pianiste à ses heures. Son enfance est bercée par le classique, et rythmée par le folk-rock des sixties qu’écoutent ses deux frères aînés. Elle s’initie au piano et commence à composer dés l’âge de 11 ans. Par la suite, Kate se passionne aussi pour le cinéma et la littérature, lesquels auront une influence considérable sur son œuvre.
Le 3 juillet 1973, elle assiste à un concert de David Bowie à l’Hammersmith Odeon. Un concert de légende où le roi du glam-rock décide de supprimer sur scène son alter-ego, Ziggy Stardust. Kate n’a que 15 ans mais entrevoit déjà son avenir.
Très déterminée, elle délaisse les études pour le piano, et se lance dans l’élaboration de titres inspirés par ses lectures et films de prédilection.
Sa voix couvre quatre octaves. De plus, Kate possède déjà un univers musical extrêmement visuel, et aux influences variées (Beatles, Bowie, Nina Simone, Paganini). Son tempérament fera le reste…
Un parrain nommé Gilmour
Impressionné par les talents précoces de sa jeune sœur, Jay Bush fait appel à un ami travaillant pour le label Transatlantic Records. Ce dernier envoie une maquette du prodige à plusieurs maisons de disques. Malgré l’évidente maturité des œuvres présentées, personne ne semble prêt à miser sur une si jeune artiste. D’autant plus que son écriture traduit déjà un fort désir d’indépendance.
Le membre de Transatlantic décide d’en parler à un ami musicien, à la renommée florissante. L’altruiste David Gilmour, surfant sur le succès du disque au prisme légendaire, Dark Side of The Moon, se montre très intéressé. Il décide d’aller voir le phénomène par lui-même. Rapidement conquis par cette adolescente, qu’il définit déjà comme une véritable artiste, il finance ses premières maquettes.
En 1975, devant les refus des maisons de disques, Gilmour décide faire entrer à nouveau Kate Bush en studio, aux cotés de l’ingénieur Geoff Emerick. Cette fois le directeur de EMI records est séduit, et propose de racheter ses droits par le biais d’un contrat de quatre ans. En échange du financement des prochains enregistrements, qui ne débuteront qu’après ses 18 ans.
Entre temps, elle découvre le mime et chorégraphe Lindsay Kemp, qui a tant inspiré Bowie. Elle décide de se mettre à la danse.
The Kick Inside
Les séances studio de The Kick Inside s’étalent sur deux ans. A première vue, on croit avoir affaire à l’artiste pop lambda, jolie voix, et physique agréable. Mais le rossignol enchantant nos oreilles fait glisser la gamme sur une portée asiatique, créant une atmosphère intrigante et enchanteresse, sombre et confortable. Les prémices du mystère « Bush »…
Kate Bush – Moving
Sa musique sensuelle, sa voix haut perché, ses textes sentimentaux, habités et évocateurs, tranchent avec la vague disco et la déferlante punk de l’époque.
Quelques années auparavant, le courant glam a permis une féminisation du rock. En 1978, Patti Smith, The Runaways, Siouxsie & The Banshees, Nina Hagen ou Blondie en récoltent les fruits. Dans leur sillage, Kate Bush s’essaie au rock avec une déconcertante facilité…
Kate Bush – James and the Cold Gun
Un titre que son producteur souhaitait extraire en tant que premier single. La jeune artiste, soucieuse d’affirmer son style et de ne pas tromper le public, s’y oppose fermement. Intuitive, Kate Bush mise sur un certain « Wuthering Heights »…
Wuthering Heights
Kate l’écrit un soir après avoir visionné une adaptation de la chaîne BBC du roman de Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevents (Wuthering Heights). Fascinée par ce défi à la morale religieuse et victorienne, mais aussi par le romantisme de cette fiction gothique, elle entame le roman dans la foulée et découvre qu’elle partage avec l’auteure, le même jour de naissance… Détail futile ? Pas pour une jeune fille de 18 ans férue d’univers oniriques.
Dans tous les cas, son intuition s’avère payante. Dés sa diffusion, le disque promotionnel explose en radio. Il fait de Kate Bush, la première auteure-compositrice-interprète à atteindre la plus haute marche des charts anglais.
Une mélodie complexe et une succession d’accords élaborés font la force de ce titre. Enregistrés en une seule prise (!), le piano et la voix qui l’accompagnent, tutoient les anges dans un écho de cathédrale. Quant au solo du guitariste Ian Bairnson (Alan Parsons Project), il ponctue ce titre céleste dont la féérie perdure encore aujourd’hui.
Kate Bush – Wuthering Heights
Evidemment les aspiritions d’une fille de 18-19 ans (au moment de l’écriture) n’évite pas les bluettes amoureuses. Mais là encore, Kate Bush se distingue par des mélodies tortueuses, et des arrangements singuliers.
Le titre « Saxophone Song » narre l’histoire d’une rencontre avec un saxophoniste dans la ville de Berlin. Le saxo charmeur de Alan Skidmore, et les claviers déroutant de la jeune sorcière du son, dote ce titre pop, d’une légère teinte expérimentale.
Kate Bush – The Saxophone Song
Dans la même veine, elle délie des mélodies vaporeuses et des instrumentaux mainstream dans des variations audacieuses sur les titres « Feel It » et « Strange Phenomena ». De même, la jeune compositrice ne se refuse aucun plaisir, et s’aventure en terrain caribéen, avec un reggae teinté d’humour (« Kite »). Un titre hallucinogène qui ressemble à s’y méprendre à un délire sous acide…
Kate Bush – Kite
Enfin, elle fait à nouveau preuve d’une étrange maturité lors de l’écriture du deuxième tube extrait de « The Kick Inside ». Un titre racontant l’histoire d’une femme amoureuse d’un homme à l’âme d’enfant. Sa prose volontairement naïve témoigne d’un recul précoce.
Son enregistrement s’effectue avec l’aide d’un orchestre complet. C’est une première pour Kate. Terrifiée, elle parvient à surmonter sa peur sous la direction de David Gilmour.
Kate Bush – The Man With The Child In His Eyes
Le 17 février 1978, l’album « The Kick Inside » déboule dans les bacs. Le succès des deux premiers singles, Wuthering Heights et Moving a bien préparé le terrain. En l’espace de quelques mois, Kate Bush va être propulsée au rang de star internationale.
Trop lucide pour en profiter, son succès prématuré lui causera bien des tourments, et l’incitera à se tenir loin des médias. Préservant ainsi son intimité, autant que son sens artistique, lequel fournira quelques unes des plus belles créations de la décennie à venir.
Serge Debono