Sweet Smoke : le chaînon manquant entre le rock psychédélique et le rock progressif.
Sweet Smoke, c’est la rencontre de cinq musiciens de Brooklyn (NY), en 1967, année fleurie et dorée du rock psychédélique. C’est aussi l’histoire éphémère d’un groupe dont l’existence prend fin seulement sept ans après sa formation. Sans qu’il y ait de véritables désaccords internes, ni la moindre overdose. Juste une lassitude inhérente au show biz, après avoir enregistré trois excellents albums.
A la fin des sixties, tandis que le gouvernement Nixon durcit la répression contre les consommateurs de drogues en tout genre, Sweet Smoke affirme son penchant pour la marijuana. D’abord par son nom, mais aussi par ses textes explicites et sa musique planante. En 1968, voguant de bars en clubs sur le territoire américain, ils sont très vite catalogués en tant que “junky band”, et contraints de rejoindre l’Europe.
Du coup, c’est l’Allemagne qui sert de terre d’asile à ce groupe à la créativité foisonnante. En 1970, dans un studio de Godorf (Cologne), ils donnent naissance à un premier opus nourri par l’écoute de Cream et de Jefferson Airplane. Une œuvre également influencée par l’univers de John Coltrane. Ainsi que par le dernier album de Miles Davis, “Bitches Brew”, véritable manifeste de jazz fusion.
“Just A Poke” représente une transition tangible entre le rock psychédélique et le courant émergeant du rock progressif en passe d’inonder les ondes.
Just a Poke
Le disque se divise en deux plages de 16 minutes occupant chacune une face de l’édition vinyle. Si l’improvisation est le maître mot du groupe, la première face offre un titre somptueux. Et plus structuré qu’il n’y paraît…
“Baby Night” est un trip de seize minutes. Un acid rock mélodieux, aventureux, et aérien. Chaloupé par le groove du guitariste Steve Rosenstein, la basse frénétique de Andy Dershin, ce titre est bercé par le phrasé savoureux du soliste Marvin Kaminowitz. Le chant délicat du leader Michael Paris se pose délicatement dessus. Ce dernier multiplie les prouesses, tour à tour, flûtiste, chanteur, puis saxophoniste.
« Nous ne faisions qu’un, et nous entendions cette musique dans nos têtes. » Michael Paris
L’entame au crescendo harmonieux, trouve un exutoire dans une reprise admirable de “The Soft Parade”. Même si le texte est un peu escamoté, « Baby Night » constitue l’un des rares hommages rendus aux Doors du vivant de Jim Morrison…
Sweet Smoke – Baby Night
Les deux titres s’étirent et s’insinuent dans l’oreille de l’auditeur de manière obsédante. Sans joutes pompeuses et très éloigné de la puissance du hard rock naissant, Sweet Smoke revendique son héritage jazz et son intérêt pour le krautrock allemand. Ils cultivent un esthétisme sonore et des thèmes accrocheurs, parfois nichés au cœur d’une jam-session généreuse.
Sur la deuxième plage, Jay Dorfman, batteur et percussionniste, offre un moment de bravoure et d’anthologie.
Sweet Smoke – Silly Sally
Si l’héritage expérimental de leurs compatriotes Hendrix et Zappa est indéniable, leur musique invite surtout au voyage intérieur. La présence aux manettes de l’ingénieur du son Conny Plank (Devo, Kraftwerk, The Damned) n’y est pas étrangère. Son travail permet à “Just a Poke” de passer aisément l’épreuve du temps, rivalisant avec les meilleurs albums de Pink Floyd ou de Genesis.
Pochette
Une fois encore, le message est clair. Le feuillet intérieur comporte ainsi quelques notes, encourageant l’auditeur à essayer le haschich. Quant au visuel conçu par le néerlandais Jan Fijnheer, il présente un sage du Moyen-Orient, fumant avec passion, un joint orné d’étoiles et de rayures. Une superbe pochette à l’esthétisme poussé, et dont on peut simplement regretter qu’elle soit aujourd’hui plus célèbre que l’œuvre qu’elle abrite.
Darkness to Light
A l’automne 1972, Sweet Smoke retourne en studio, cette fois aux Pays-Bas, afin d’accoucher d’un nouvel opus. Même si l’expérimentation se poursuit avec le jazz pour moteur, “Darkness to light” marque un retour aux racines du folk américain.
Sweet Smoke – Just Another Empty Dreams
Certains titres clament encore les idéaux de la Beat Generation, et le désir brûlant de vivre pleinement, avant de disparaître…
Sweet Smoke – I’d Rather Burn Than Disappear
Un nouvel élément fait son apparition, la musique éthnique. Les cinq hommes ont ramené de leurs voyages de nouvelles sonorités s’imbriquant parfaitement dans leur démarche artistique, basée sur la fusion et la quête de sérénité.
Sweet Smoke – Kundalini
En 1974, ces virtuoses jouent une dernière fois lors d’un concert épique à Berlin, avant de s’éloigner définitivement de la machine à broyer de l’industrie musicale.
People Are Hard
Disons les choses franchement, l’assortiment musique planante, textes envoûtants et pochette tentatrice, donnerait des envies de griller un joint d’herbe au plus sain des vertueux. Pourtant, il faut savoir que l’option est facultative. L’oeuvre de Sweet Smoke se suffit à elle-même, et trouve sans peine le chemin conduisant aux zones du cerveau dévolues au plaisir.
Serge Debono