Après deux opus parus durant la prolifique année 1967, les Doors entament une longue tournée européenne. Bien que le groupe souhaite s’atteler à la création d’un nouvel album concept, en leur absence, le producteur Paul Rothschild va opter pour une compilation de titres inédits.
Waiting for the Sun voit le jour le 3 juillet 1968. L’industrie musicale vit alors depuis un an son troisième essor. Miroir de la jeunesse et de la contre-culture américaine, le rock a élargi ses horizons. Il s’est mis des fleurs dans les cheveux et s’est allié à la cause pacifiste. The Jimi Hendrix Experience, Janis Joplin et les Doors sont les figures de proue d’un mouvement qui rassemble toute la jeunesse et va permettre à l’art de faire son incursion dans la pop. Le rock soudainement devenu crédible, est alors un produit consommé tout aussi bien par les classes populaires que par l’élite de la société. Ce fait n’a pas échappé aux vénaux producteurs. Ces derniers imposent un rythme effréné à leurs poulains. Des tournées interminables ayant parfois raison de leur inspiration…
Voilà pourquoi, cet album reste si singulier dans la discographie des Doors. Un genre de compilation faite de chutes des deux premiers albums et de quelques créations fulgurantes. « The Doors » et « Strange Days » furent enregistrés en un temps éclair. Il faudra douze mois au groupe pour finaliser « Waiting for the Sun ». Et pourtant, même si ce liant entre les morceaux les faisant flirter avec l’album concept sur Strange Days est absent de cette exercice, la qualité des titres est indéniable. Et ce, presque de manière croissante…
Un album fait de classiques
Jim Morrison rédige « Hello I love You » en 1965, lors d’une jam-session avec le groupe de Ray Manzarek (Rick & Havens). Bien que le poète y ajoute un brin de cynisme pervers, il s’agit sans doute de l’une des compositions les plus légères du groupe. Après Light My Fire, elle devient le deuxième titre des Doors à grimper sur la première marche du billboard américain. Elle sera attaquée pour plagiat par Ray Davies (leader des Kinks) et sa maison de disques, en raison d’une trop forte ressemblance avec le titre “All Day and All of the night”.
The Doors – Hello I Love You
“Love Street” est une ode à Pamela Courson, sa compagne, ainsi qu’à Laurel Canyon, fief des artistes hippies de Los Angeles. Les deux amants coulaient des jours heureux dans une maison accueillante et un quartier “peuplé de cheveux longs”…
The Doors – Love Street
Not to Touch the earth est le crime de lèse majesté de Paul Rothschild. Ce producteur de génie est également le confident de Jim Morrison. En prenant la décision d’amputer The Celebration of the Lizard de ses plus beaux passages, pour ne laisser que « Not to Touch the Earth » (titre réduit de 14 min à 2 min 30 !), il va rompre le lien l’unissant au jeune poète.
En effet, même si le texte figure en bonne place sur la pochette intérieure de Waiting for the Sun, beaucoup le considèrent comme le chef d’oeuvre de Jim Morrison. De plus, le projet du groupe était d’intituler l’album « The Celebration of the Lizard ». Les Doors comptaient faire de cette complainte surréaliste, la face B de leur troisième opus. Le but étant de combler le manque de nouvelles compositions, tout en donnant un aspect conceptuel proche de l’album Strange Days. Peut-être trop proche, s’est dit Paul Rothschild…
The Doors – Not To Touch The Earth
« Summer’s Almost Gone » est une ballade nostalgique et désespérée où le timbre de baryton et la plume de Jim font merveille. Un titre que Ray Manzarek qualifie de « bolero latino avec un pont façon J.S Bach ».
« Morning foud us calmly unaware
Le matin nous a trouvés calmement inconscients
Noon burn gold into our hair
Le midi a brulé l’or de nos cheveux
At night we swam the laughing sea
La nuit nous avons nagé dans les flots riants
When the summer’s gone, where will we be
Quand l’été sera passé, où serons-nous
The Doors – Summer’s Almost Gone
Jim Morrison et Robby Krieger composent Wintertime Love dans la villa du guitariste. Les valses autrichiennes ont inspiré la partie clavier de Ray Manzarek. Sans doute le titre le plus enlevé de l’album. Avec « We could be so good together », il a presque tendance à donner un aspect positif à l’ensemble. Même si la joie est de courte durée (1:54)…
The Doors – Wintertime Love
The Unknown Soldier est le deuxième titre extrait de l’album « Waiting for the Sun » et fera leur popularité en Angleterre. Une poésie antimilitariste dont le slogan final “War is Over” sera repris par les jeunes pacifistes américains. La légende raconte que l’Amiral Morrison (père) entrait dans Saïgon à la tête d’une flotte américaine, le jour même où le titre de son fils atteignait les sommets du billboard…
The Doors – The Unknown Soldier
Spanish Caravan est l’occasion pour Robby Krieger de faire étalage de ses talents de guitariste-flamenco. Un titre emprunté au classique “Asturias” de Isaac Albéniz, et qui initialement était une oeuvre pour piano. Les Doors ont la bonne idée de scinder le titre en deux, offrant une deuxième partie démoniaque en opposition à la pureté angélique de la première. Le texte, également signé Krieger, est simple mais de belle facture.
The Doors – Spanish Caravan
My Wild Love est une incantation a cappella, où le chant est soutenu par des tambourins et des choeurs formés par le groupe et l’équipe technique. Ce titre chamanique est fortement influencé par la fascination qu’exerce alors la culture amérindienne sur Jim Morrison…
The Doors – My Wild Love
We Could be so Good Together, boogie psyché, enflammé par l’orgue de Ray Manzarek, fut écrit un an plus tôt, lors de l’enregistrement de Strange Days. En témoigne le vers : « The time you wait substracts from joy » (le temps passé à attendre se soustrait au plaisir). Si Jim Morrison avait en 1967 quelques accointances avec l’idéal hippie, ce n’est plus vraiment le cas au moment de l’enregistrement de Waiting for the Sun.
The Doors – We Could Be So Good Together
A l’instar de « Wintertime Love » et « Summer’s almost Gone », « Yes the River Knows » délaisse complètement les racines garages du quatuor de Venice. En revanche, cette ballade met en évidence la complémentarité existant entre les riffs tressés de Robby Krieger et l’esthétique soignée des claviers de Manzarek.
« L’interaction entre le piano et la guitare est absolument magnifique. Je ne pense pas que Robby et moi ayons déjà joué ensemble avec autant de sensibilité. » Ray Manzarek
Sur ce tapis sonore, remarquablement mixé par Bruce Botnick et Paul Rothschild, la voix de Jim Morrison est de velours, et se fait même rassurante…
The Doors – Yes The River Knows
Waiting for the Sun se termine en apothéose avec le titre Five to One. Jamais on a lu de texte américain plus subversif au sein de la pop musique, même au cours des années 60.
Le brûlot du Roi Lézard
Si certains souhaitant exploiter le fait que Jim Morrison s’est toujours défendu d’appartenir à un quelconque bord politique, affirment que ce texte est une critique du mouvement pacifiste, ce n’est que pour mieux détourner l’attention du lecteur de sa véritable nature. “Five to One” est un chant révolutionnaire. Un titre insurrectionnel et incendiaire, où Jim égratigne en effet la cause, car il pressent que les mots ne suffiront pas à vaincre le puritanisme et les réfractaires au changement. Il énonce clairement les choses :
“They got the guns, but we got the numbers, gonna win yeah, we’re taking over, come on !”
Ils ont les armes mais nous avons le nombre, nous allons gagner, prendre le dessus, allez !
Un titre cadencé par un rythme martial, et où Robby Krieger délivre un solo d’anthologie. Il figure parmi les productions live les plus réussies du groupe.
Jim l’affectionne, même dans ses mauvais soirs. La légendaire insolence du Roi Lézard prend un malin plaisir à faire monter la sauce face à un public survolté, en ajoutant du grain si nécessaire. Poète ivrogne pour certains, prédicateur shizo pour d’autres, dans ses grands soirs, Jim Morrison était peut-être tout simplement le plus grand des chanteurs de rock…
The Doors – Five to One
Le titre « Waiting for the Sun » ne figure pas sur l’album du même nom. Il fut écarté et intégré dans l’album Morrison Hotel, paru deux ans plus tard.
Même si toutes les productions du groupe ont connu un succès commercial, l’album « Waiting for the Sun » est le seul à avoir décrocher la première place du Billboard américain. Il est également le premier opus des Doors à intégrer le haut des chart anglais.
La fin d’une amitié
Quand il sort dans les bacs, l’ambiance au sein du groupe n’est plus ce qu’elle était, et les accrochages entre Jim et le reste du groupe sont fréquents. Il faut dire que les trois autres membres ont profité d’une énième escapade du poète pour conclure un accord visant à exploiter Light my Fire dans une publicité faisant la promotion d’une marque de voiture. Même si son retour empêche l’irréparable, désormais, Jim n’aura plus la même considération pour ses partenaires. Ironisant sur la chose, il déclare :
“ A partir d’aujourd’hui je n’ai plus d’amis, seulement des associés…”
La fin d’une amitié qui aurait pu coïncider avec la fin du groupe. Pourtant, l’alchimie reliant les quatre musiciens perdurera. Les Doors trouveront l’énergie pour enregistrer encore trois albums. Morrison Hotel, The Soft Parade, et l’indémodable L.A Woman.
Serge Debono