Le premier album des Doors, une porte ouverte sur la gloire

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«Si les portes de la perception étaient nettoyées, toutes choses apparaîtraient à l’homme telles qu’elles sont vraiment : infinies.»

Le 8 juillet 1965, après le récital légendaire de “Moonlight Drive” sur la plage de Venice Beach, c’est avec cette citation de Aldous Huxley que Jim Morrison parvient à convaincre Ray Manzarek de former un groupe de rock. Un groupe qu’il baptise logiquement les Doors, et dont rien ne laisse présager la fulgurante réussite…

publié le 4 janvier 1967
pochette “The Doors” premier album

Ayant fait leurs armes sur la scène du London Fog, et plébiscités par Frank Zappa, les Doors se produisent au Whisky a Go Go sur le Sunset strip de Los Angeles. La beauté et le lyrisme de Jim Morrison fascinent les jeunes artistes en herbe de West Hollywood. Mais pas Jack Holzman, patron d’Elektra Records. Ce dernier le qualifie de “sous-Jagger éructant une poésie merdique”. Il faut l’intervention d’Arthur Lee, leader du groupe Love, pour qu’un soir après une version subversive de “The End”, le patron de la firme soit enfin conquis. Leur premier album, sobrement intitulé “The Doors”, sort le 4 janvier 1967.

The Doors, un opus aux diverses influences

“Break on through”, avec son tempo brésilien, sa guitare bravache et son chant sauvage, ouvre le bal. Mais cette ode à la défonce, à peine déguisée, n’est pas du goût de tout le monde en ce mois de janvier 1967. De nombreux programmateurs refusent de la diffuser. Boudé par les radios, le single ne décolle pas…

The Doors – Break on through

“Soul Kitchen” est souvent comparé à “Gloria” (Them) pour son crescendo vocal et son tempo cadencé. En réalité c’est un hommage au Olivia’s, un petit restaurant bon marché de Venice Beach, où Jim Morrison avait ses habitudes avant d’intégrer le groupe. L’endroit servait de la soul food (cuisine afro-américaine du sud des Etats-Unis).

Le poète, alors livré à lui-même, jeune souvent. Ayant rarement de quoi payer, il se fait régulièrement mettre dehors par la propriétaire. Jim évoque pourtant dans le texte, un établissement agréable, où il se sent bien et souhaiterait passer la nuit…

“Well, the clock says it’s time to close now

I guess I’d better go now

I really like to stay here, all night”

En effet, ce lieu semble avoir été pour lui le théatre d’une révélation. Jim passait chaque jour de longues heures à l’interieur, observant la rue à travers la vitrine. Suivant les préceptes de Rimbaud, c’est lors d’une de ces journées passées chez Olivia’s qu’il décida de brûler tous ses premiers écrits afin de faire peau neuve.

Même si le double-sens laisse penser à une rencontre amoureuse ( “Let me sleep all night in your soul kitchen”), c’est bien une purge de l’âme et de l’esprit dont il est question. Un nouveau départ, une manière de rompre avec son enfance et les mauvais souvenirs qui l’accompagnent.

“Learn to forget, learn to forget…” (apprendre à oublier)

The Doors – Soul Kitchen

« The Crystal Ship » est une ballade amoureuse et mélancolique, écrite par Jim en guise d’adieu, en songeant à Mary Werbelo, son premier amour laissé en Floride. On peut y entendre notamment sa voix plus claire que jamais, et tout le talent de Ray Manzarek au piano…

The Doors – The Crystal Ship

« Twentieth Century Fox » est un pied de nez adressé aux jeunes filles un peu hautaines traversant les rues de Los Angeles, et prêtes à se damner pour se faire une place au soleil sur la colline d’Hollywood…

The Doors – Twentieth Century Fox

« Alabama song » tiré de « l’Opéra de quat’sous » écrit par le dramaturge Berthold Brecht et le compositeur Kurt Weill est une bizarrerie pour l’époque. Tout en affichant ses références européennes et marginales, Jim Morrison commence à se construire son personnage de « Clochard Céleste » puisé dans les écrits de Jack Kérouac. Un personnage qui éclipsera lentement celui du jeune poète beatnik contestataire, et finira malheureusement par le consumer…

The Doors – Alabama Song

« Light my fire » écrite par Robby Krieger à la demande de Jim, est le plus gros tube du groupe à ce jour. A l’époque, comme le 45T présente une version écourtée du morceau, dans leurs interviews, les membres du quatuor s’évertuent à inciter leur public à « triper » sur la version longue de l’album. Fort d’une intro d’anthologie au piano électrique Fender Rhodes, ce titre possède une forte teinte psychédélique. Fait notable, la présence d’un cinquième membre, le bassiste Larry Knechtel. En effet, sur scène, toutes les lignes de basses sont jouées au clavier par la main gauche de Ray Manzarek. C’est l’une des grandes particularités du groupe…

The Doors – Light my Fire

A l’origine, « Back Door Man » est une composition de Willie Dixon pour Howlin’ Wolf. Jim et sa bande vont se réapproprier ce standard du Chicago Blue. Au point d’en faire une pièce maîtresse de leurs spectacles. Un titre osé puisque le « back door man » évoque dans une forme argotique l’amant fuyant par la porte de derrière à l’arrivée du mari… Il semblerait que son utilisation par Jim et les adeptes de l’argot de Laurel Canyon (Californie) soit encore plus sexuelle, celle-ci évoquant carrément le coït anal… Par la suite, Robert Plant en fera le même usage sur un standard de Led Zeppelin (Whole Lotta Love)…

The Doors – Back Door Man

« End of the night » est un titre planant, parfaitement orchestré autour du texte. Jim cite les vers du poète William Blake :

« Certains naissent pour le délice exquis, d’autres pour la nuit infinie ».

Une sublime poésie, qui sera rythmée trente ans plus tard par Neil Young et orchestrée par Jim Jarmush, dans son film Dead Man

The Doors – End of the Night

Morrison écrit « Take it as it comes » juste après une entrevue avec le gourou Maharishi Mahesh Yogi. Il s’agit d’un carpe diem revu à la sauce beatnik sur lequel Manzarek déroule un nouveau solo d’anthologie aux sonorités latines. En outre, c’est un titre fondateur, puisque les trois premiers membres des Doors, Ray, Robby et John ont fait connaissance au cours d’une séance d’initiation à la méditation transcendantale, chez le fameux gourou…

Take it as it Comes

THE END, ou les débuts du prog-rock

“The End” est le point d’orgue d’un premier album ambitieux. Je vous propose de découvrir dans quelle condition fut enregistré ce titre de légende, et quel sens profond recèle son texte à la poésie étrange…

“The End” et When the music’s over, sont les deux titres phares ayant permis aux Doors, de créer une atmosphère unique lors de leurs concerts. Gagnant du même coup le cœur des critiques, tout en conservant l’appui du public. Ces deux titres clôturant les deux premiers albums ont été élaborés au fil du temps. Mais également au gré de leurs improvisations lors de concerts donnés au London Fog et au Whisky a GoGo de Los Angeles. Si “When the music’s over”, synthétise parfaitement la conjugaison de ces talents uniques qu’étaient les quatre membres du groupe, et met en valeur, la prose lyrique et engagée de Morrison, “The End” reste le fleuron avant-gardiste d’un rock qui allait par la suite se libérer définitivement de son format 3 minutes, et de son carcan “filles et surprises-parties”.

D’ailleurs, à l’origine, c’était une ballade romantique de trois minutes ! Ce n’est qu’au fil du temps que les Doors en ont fait un raga indien épique de 12 minutes et le bouquet final de leurs concerts. Un titre annonciateur du prog-rock à venir.

L’enregistrement : début septembre 1966

Tous les membres d’Elektra présents dans le studio lors de la séance, en gardent un souvenir impérissable. Le groupe est rodé. Le reste ne tient qu’à l’inspiration versatile de son chanteur…

illustration des tourments de Jim Morrison évoqués dans le titre "The End"
Jim Morrison par José Correa

“Tuer le père, c’est éliminer en vous tout ce qui vient de l’extérieur, ce qui n’est pas vous-même”

Le premier soir, Jim a pris du LSD, impossible d’enregistrer. Le deuxième, il disparaît très vite… Finalement, on le retrouve quelques heures plus tard dans l’église catholique du quartier, un missel à la main. De retour au studio, il en déchire les pages, une à une, en marmonnant une sorte de mantra… « Kill the father, fuck the mother… Kill the father, fuck the mother… » [Tuer le père, baiser la mère… Tuer le père, baiser la mère…]

Le studio est plongé dans la pénombre avec pour seuls éclairages les voyants des VU-mètres et quelques bougies disposées près de Jim. Le Roi Lézard est inspiré, Ray, John et Robby en profitent. Le producteur Paul Rothchild raconte :

«Quand la prise fut terminée, on s’est aperçu que la bande tournait toujours : Bruce (Botnick), l’ingénieur du son, était envoûté par la chanson… exactement comme nous. A croire que la Déesse de la Musique était dans la pièce ce soir-là. On se retrouvait cantonnés au rôle de simple public. Les machines se réglaient d’elles-mêmes ! A la moitié du morceau, j’ai eu des frissons des pieds à la tête. J’ai dit à Bruce : « Tu sais ce qui se passe là ? En ce moment, c’est l’histoire qui s’écrit. » A un moment, pendant la séance d’enregistrement, Morrison, inquiet, très ému, presque en larmes… s’est mis à crier dans le studio : « EST-CE QUE QUELQU’UN ME COMPREND ? » Et j’ai répondu: « Oui, moi.»

S’en suivit une longue discussion entre les deux hommes sur le sens de l’expression : «Tuer le père, baiser la mère ». Quelques mois plus tard, lors de la sortie de l’album, Paul Rothchild expliquera la symbolique du fameux passage Œdipien aux journalistes du fanzine Crawdaddy :

«Tuer le père, c’est éliminer en vous tout ce qui vient de l’extérieur, ce qui n’est pas vous-même. Ces concepts étrangers qui ne sont pas les vôtres doivent disparaître. Je vous parle de révolution psychédélique. Et baiser la mère, c’est retourner à l’essence des choses. La mère, la Mère de toutes choses, la matrice, la réalité tangible, qu’on peut toucher, saisir, sentir. La mère c’est la nature, le réel, elle ne peut pas vous mentir. Comme dans la pièce Œdipe roi, The End (La Fin) représente la fin des notions qui nous sont extérieures. Le début d’une réflexion personnelle. Revenir à la réalité, sa propre réalité, se retrouver un peu avec soi-même.»

The End

Porté par le tube Light my fire, le groupe explose sur la scène internationale durant le fameux Summer of Love de 1967

La musique unique de ceux que l’on surnomme “les bâtards de Venice” doit beaucoup à la richesse de ses influences et au parcours de chaque musicien. En effet, Ray Manzarek est un pianiste de formation classique rodé au rock avec son groupe Rick & the Ravens. Robbie Krieger, un guitariste de flamenco pratiquant la guitare électrique depuis seulement six mois.

John Densmore est batteur de jazz, et Jim un poète érudit sans aucune formation musicale mais doté d’un talent naturel de mélodiste et de chanteur. Ces quatre étudiants beatniks nourris de blues, de jazz et de rock’n’roll puisent même parfois leur inspiration dans le folklore européen (Alabama Song). Les textes incantatoires de Jim, truffés de références littéraires séduisent et intriguent la jeunesse américaine autant qu’ils dérangent les puritains et conservateurs du pays. Bien que la poésie soit généralement destinée aux érudits, celle de Jim, essentiellement sonore et visuelle, fait mouche sur ce public en quête de liberté spirituelle.

Leur musique que Jim qualifie de «rivière de son hypnotique», fait de leurs concerts des messes noires, où le poète officie tel un prédicateur. Certains évoquent une atmosphère de cirque macabre, entraînant la foule dans une transe-rock jamais entrevue auparavant. Plus tard, de nombreux spécialistes soutiendront l’idée que “The Doors” est le meilleur premier album d’un groupe pop dans toute l’histoire de la musique.

Dans le communiqué de presse qui précédait sa sortie on pouvait lire :

«Sur scène, ils semblent évoluer dans leur propre monde. Les chansons des Doors sont comme l’espace, elles sont ancestrales. On dirait une musique de carnaval. Quand elle cesse, il y a une seconde de silence. Quelque chose de neuf a pénétré dans la salle.»

Par ses compositions audacieuses et ses textes à la sexualité exacerbée, cet album va changer le paysage de la pop de manière significative. Au sommet de son art, le groupe s’offrira le luxe de publier la même année, Strange Days, un deuxième opus encore plus audacieux.

Serge Debono

Si vous souhaitez lire du même auteur, une version développée et une analyse approfondie du premier album des Doors, cliquez sur le lien suivant : The Doors : une notice d’écoute

 

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