Jean-René Huguenin, le destin foudroyé

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Huguenin, un talent reconnu par ses pairs

Dernière édition
Huguenin

Jean-René Huguenin, une plume habile et sans concession avait séduit des grands noms de la littérature, tels que François Mauriac, Louis Aragon, Julien Gracq dont il fut l’élève. Le destin a fauché ses rêves…
François Mauriac écrit à son sujet :

« Il était venu me voir, peu de temps avant sa mort. J’avais projeté de l’entraîner dans mes promenades à Bagatelle. Ce jeune vivant faisait déjà pour moi figure de revenant : il était le frère de ceux que j’avais aimés à vingt ans, pareil à eux, pareil à moi. Il les a rejoints.»

Pour certains, exister c’est brûler de l’intérieur et cette flamme se révèle en écrivant. Jean-René Huguenin est considéré comme l’un des écrivains les plus prometteurs de sa génération. Très tôt l’auteur laisse apparaître un réel acharnement ; il s’impose la tenue d’un journal et en parallèle commence à écrire des romans qu’il achèvera plus tard.
L’ardeur effrénée ne quittera jamais Huguenin. Une lettre du 11 juin 1962 adressée à Jean-Jacques Soleil en témoigne :

« Écris-moi vite et dis-moi tes projets. Pour moi, j’en fais beaucoup, surtout à partir de mai 1963, date probable de ma libération [service militaire]. Je t’y associe. Je t’en parlerai. Mille choses à faire et à faire renaître ! … Jeunesse pas morte.»

Jean-René Huguenin est-il un romantique désenchanté lorsqu’il écrit ces mots le 21 avril 1959 dans son « Journal » :

« IL est clair, ultraclair aujourd’hui, que je n’ai pas ma place dans ce monde, parmi ma génération, au sein de cette civilisation. Je vais écrire quelques romans, et puis j’éclaterai comme un feu d’artifice et j’irai chercher la mort quelque part. La pensée de mourir est finalement ce qui me console le mieux de tout.»

La côte sauvage

La côte sauvage
La côte sauvage

Huguenin n’a publié qu’un seul roman « La côte sauvage » en 1960.
L’action se déroule dans le cadre des vacances ; l’insouciance, l’ennui et l’oisiveté se conjuguent sous la lumière de Bretagne. Des tragédies se jouent sous l’aspect frivole du moment… Le roman est bien accueilli. De nombreux lecteurs encensent la brillante maitrise du style.
« Mon roman démarre, ce sera le délire ou rien.» clame Huguenin !
Il explique l’implacable discipline qu’il s’impose pour l’écriture de son roman.

« Nouveaux atermoiements, doutes, faiblesse physique. Mais je suis sûr que je ne souffre pas en vain, mon roman me torture pour mieux me chérir, tout ce que j’ai fait ou vécu de bon est toujours venu d’une douleur dominée. L’essentiel était d’en finir avec la paresse et l’ennui et je crois que maintenant la lie est bue…»

Dans sa préface, Michka Assayas exprime la rigueur de l’écrivain :

« Dans son « Journal », il décrit l’intransigeante discipline qu’il s’imposait. Si, tel jour, telle semaine, il n’avait pas voué le nombre d’heures prévues à son roman, il se morigénait et se fustigeait. Il maudissait les sollicitations amicales et amoureuses, les invitations qu’il était incapable de décliner, les soirées aux plaisirs dérisoires et les retours honteux au petit matin. Jean-René Huguenin plaisait, mais il se haïssait de plaire. Il vivait tous ses succès comme une honteuse facilité parce qu’il avait mieux à faire : écrire. »

Jean-René Huguenin « journaliste »

Huguenin fait entendre sa voix en rédigeant de nombreux articles, notamment pour le journal « Arts » et le magazine « Réalités ». De sa plume acerbe l’écrivain explore nombres de sujets ; la littérature, la politique, les faits sociétaux sont commentés.
L’auteur est l’inverse d’un réactionnaire, dans son texte « Aimer la vie, vivre l’amour » il dénonce l’émergence d’un monde nouveau et irrationnel. Il expose la vision d’une existence similaire à la sienne peuplée d’angoisses et de désillusions.
Nous pouvons dire que cette révélation d’un monde déchaîné ressemble étrangement à celui qui est le nôtre aujourd’hui :

« Longtemps je me suis senti seul. Ou plutôt : isolé. La solitude, chacun l’éprouve pour peu qu’il aime ou qu’il désire aimer, pour peu qu’il existe. Mon isolement me paraissait plus injuste et plus douloureux, pareil à celui des sourds, des étrangers. J’étais en exil dans mon époque. Il me semblait que personne de ma génération ne partageait mes colères ni mes désirs. Et les mots que j’aimais le mieux, que j’employais le plus souvent – volonté ou tendresse, ou honneur – me fermaient les cœurs que je voulais gagner. Des jeunes gens raisonnables me répondaient : lucidité, lucidité, lucidité. La lucidité est une valeur dangereuse si l’on s’en contente ; elle nous rassure trop facilement ; nous croyons racheter nos faiblesses par la conscience que nous en avons. Parfois ils ajoutaient : objectivité. Et je me souvenais de ce mot de Nietzsche : « objectivité : manque de personnalité, manque de volonté, incapacité d’aimer ».

La mort d’une étoile filante

Deux jours avant sa mort, Huguenin écrit ces mots ultimes dans son Journal :

« Voici un an que je recule – idée intolérable ! Tout ce que j’écris est mauvais, ma morale est en lambeaux, mes croyances métaphysiques plus vagues que jamais. Je vis sans appétit, sans goût, rien ne m’inspire. Même mon amour pour Marianne est en ce moment un amour de faible, un refuge de pleutre.
Le plus urgent est de durcir ma vie : il me faut deux cents heures de travail dans les trente jours qui viennent. Enquête sur Arts, un ou deux articles, puis mon roman dont le poids retenu me déchire.
Ecrire mon ouvrage de morale. Fonder, conformément à cette morale, une aristocratie d’âmes fortes.
Avant toute chose, retrouver ma puissance et mon cœur. L’enfer, c’est d’agir malgré soi. Je suis fatigué des hantises, des scrupules, des arrière-pensées, des retours en arrière qui me divisent. Je suis fatigué de me remettre en question. J’ai envie d’attaquer.
Ne plus hésiter, ne plus reculer devant rien. Aller jusqu’au bout de toute chose, quelle qu’elle soit, de toutes mes forces. N’écouter que mon impérialisme.»

Ce sont les dernières lignes testamentaires du Journal de Jean-René Huguenin.
À 26 ans l’écrivain rencontre la mort le 22 septembre 1962 sur la route, comme Roger Nimier six jours plus tard et Albert Camus en janvier 1960.

La voiture de Huguenin
Voiture (Mercedes 300 SL Papillon de 1955) dans laquelle Jean-René Huguenin trouva la mort le 22 Septembre 1962

L’écrivain François Mauriac lui rend hommage :

« Jean-René Huguenin finit comme Albert Camus, mais Camus avait eu le temps de nous dire pourquoi il était venu. De Jean-René il nous reste un seul livre, cette ‘’Côte sauvage’’ où il ne savait pas quelle barque l’attendait. Ce jeune homme ne reniait pas ceux qui étaient venus avant lui. Je le sentais très proche d’eux : il ressemblait aux amis de ma jeunesse, à ceux qui sont partis avant l’heure. Il était marqué du même signe, il les a rejoints. Je ne le sépare pas d’eux dans mon cœur, dans ma prière.»

Dernière édition de son œuvre

Jean-René Huguenin
Jean-René Huguenin

Le 20 août 2015 Jacqueline Huguenin-Bastide, sœur de l’auteur, fait don de l’ensemble des archives de l’écrivain à la Bibliothèque nationale de France.
C’est le dépôt de nombreux articles, de manuscrits, des feuillets en vracs, des ébauches de romans, écrits par Jean-René Huguenin.
L’édition du volume établie par Olivier Wagner, avec une préface de Michka Assayas, chez « Bouquins » La collection, offre « La Côte sauvage », le « Journal », « Feu à sa vie », des articles écrits pour le journal « Arts » et des romans inédits.

« Une place toute particulière doit être donnée à « Prochain Roman », ce texte sur lequel Huguenin travaillait au moment de périr accidentellement. La maitrise, l’extrême construction de ces images ne peuvent que donner l’idée de ce qu’aurait pu devenir l’auteur s’il avait pu poursuivre.» écrit Olivier Wagner.

Huguenin a réalisé un travail d’écriture considérable malgré sa vie brève ; sa voix résonne encore intensément…

Nic Blanchard-Thibault

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