La Fille en Rouge, grande cambriole et coeurs de voleurs

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Un polar-rock de Serge Debono, illustré par Denys Legros

Avec La Fille en Rouge, une nouvelle fois, Cultures Co vous propose de plonger en pleine fiction, dans une short-story entrecoupée de titres musicaux. Aujourd’hui, place au polar, mais côté rock’n’roll, côté gangster. Cette histoire écrite par Serge Debono, et illustrée par le regreté Denys Legros, est inspirée par les détrousseurs Albert Spaggiari, Bruno Sulak et Jacques Mesrine. Mais également par un amour qui se conjugue à l’inconditionnel…

La Fille en Rouge

« Les seuls gens qui existent sont ceux qui ont la démence de vivre, de discourir, d’être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller. » Jack Kerouac.

7 Juin 1984-14h45. Assis sur les docks du port de Marseille sous un tapis de nuages, je me grille une vingtième et dernière cigarette. Pas le temps d’aller chercher un paquet. Évidemment, avec les 300 mille francs que j’ai dans mon sac de sport, je pourrais en acheter des cartouches… Mais je préfère feuilleter mon livre et profiter une dernière fois de cette brise chaude qui me fouette le visage. Je repense à tous ces étés passés au bord de la mer Méditerranée. Elle va me manquer. Le Ferry Corsica est à quai, mais toujours pas de Noëlla…

La Fille en Rouge
Illustration Denys Legros

Je me sens un peu nerveux mais ce n’est rien comparé à cet homme faisant les cent pas sur le trottoir d’en face. Depuis son arrivée je ne l’ai pas lâché du regard. Son apparence est trop banale pour être honnête. En temps normal, je ne l’aurais même pas remarqué, mais le type a le visage trop lisse, les cheveux trop courts, et un petit quelque chose d’officiel dans son allure générale qui ne laisse rien présager de bon. En plus, cela fait cinq minutes qu’il feint clairement de ne pas me voir, planqué derrière ses Ray-Ban. Et Noëlla qui n’arrive toujours pas…

Charlélie Couture – Tu m’as pas dit d’où tu venais (La Fille en Rouge)

Dire qu’il y a encore deux semaines de cela, j’étais un modeste préparateur de commandes dans une scierie de la cité phocéenne. Rentrant chaque jour à la même heure dans l’appartement de mes parents, j’y trouvais refuge et réconfort, et une sécurité qui confinait parfois à l’ennui. Seules mes longues visites chez Lino, le libraire, avaient le don de m’enthousiasmer, d’éveiller en moi cette petite étincelle de vie que chacun possède en son for intérieur et qui ne s’enflamme qu’en présence de la passion. Jusqu’ici, je n’avais jamais éprouvé le besoin de vivre avec quelqu’un, et la perspective de finir seul ne m’inquiétait pas outre mesure. J’aspirais au calme, à la sérénité. Entre mon travail, mes livres et des parents vieillissants, je m’estimais plutôt satisfait de mon sort. Enfin, tout ça, c’était avant de croiser la route de Noëlla. Et de son frère Antoine…

Il y a quinze jours, sans doute pour rompre la monotonie de l’habitude, j’ai délaissé ma ville le temps d’un week-end, afin de me rendre sur la côte Vendéenne. Au Casino Pierre Ferret de Royan. En arrivant sur les lieux, je suis resté un long moment à contempler cette splendeur calée entre les plages et le port. Sa rotonde sur le front de mer mêlant verre et béton armé était inspirée de l’architecture brésilienne.

A l’intérieur, je me laissais tenter par une ou deux parties de roulette et un bref passage sur les machines à sous, avant de m’installer au bar devant un Daiquiri fraise.

C’est là que je vis Noella pour la première fois, dans une robe aussi rouge que mon cocktail.

Sa chevelure d’ange couvrait partiellement la peau de nacre de ses épaules dénudées pendant que ses yeux noisette cherchaient désespérément une réponse dans le miroir du bar. Elle semblait attendre quelque chose, ou quelqu’un. Son visage trahissait une certaine gène mêlée d’impatience, mais sa beauté rendue fragile n’en était que plus éclatante.

Trois tabourets nous séparaient, pourtant je pouvais presque sentir son cœur battre comme s’il était près du mien. Un autre détail crucial attira mon attention. Elle tenait un livre à la main. Sur la route, de Jack Kerouac. Mon livre de chevet. Mon guide. Ma bible !

 

La Fille en Rouge

Alors, perdant tout contrôle, je sentis mes jambes se mettre en branle pour me porter auprès d’elle. Noella fut d’abord surprise par ce rapprochement cavalier. Puis, amusée par mon air timide et désemparé, elle m’invita à m’asseoir.

La discussion se limita d’abord au choix de nos cocktails respectifs, mais dévia rapidement sur notre passion commune… Sur la route. Déjà sous le charme, je fus très vite conquis par les idées développées par Noella. Elle disait que ce voyage initiatique était une sorte de guide universel pour les jeunes en quête de découverte. Elle semblait très heureuse de notre rencontre. Je crois que nous aurions pu échanger ainsi toute la soirée, si Antoine n’avait fait irruption dans le bar…

Sanford Clark – It’s Nothing to Me (La Fille en Rouge)

Je ne l’ai pas reconnu immédiatement. Dix ans s’étaient écoulés depuis notre dernière rencontre. Antoine représentait une vie lointaine avec laquelle j’avais définitivement rompu. Au milieu des années 70, les cités vivant au rythme des exploits de Jacques Mesrine, nous étions nombreux à rêver de grande cambriole mais très peu à mettre nos idées en pratique. Des coups réussis avec panache, en usant de postiches, de fausses barbes et de fausses cartes de Police. Antoine était un personnage inventif qui ne manquait ni de courage, ni d’audace. Quant à moi, je n’avais pas mon pareil pour percer les coffres les plus récalcitrants.

Jacques Mesrine

Ensemble, nous formions une équipe très complémentaire qui délesta quelques unes des plus prestigieuses banques et bijouteries du sud de la France. Bon nombre de nos méfaits furent attribués, à tort, aux ténors du moment, Mesrine et Spaggiari. Profitant sans vergogne de notre réussite insolente, nous allions fréquemment dépenser notre butin dans les restaurants de la Riviera italienne et les boîtes de nuit de la Costa Blanca espagnole, mais jamais nous n’avons été inquiétés.

Bernard Lavilliers – Le Voleur (La Fille en Rouge)

Une année venait de s’écouler, ayant mis un petit pactole de côté, j’estimai avoir assez abusé de ma chance et décidai de mettre entre parenthèses ma carrière de braqueur. Je m’envolai pour Key West (Floride) les poches pleines de fric et la tête pleine de projets, plus dingues les uns que les autres.

Pour au final, revenir un an plus tard complètement fauché. J’avais fait l’erreur de confier mes affaires à un type véreux, le reste s’était dissous dans un voilier de seize mètres sur lequel j’avais organisé de multiples soirées arrosées de champagne en compagnie de jolies filles très intéressées. J’étais tellement sur la paille, que je dus demander un mandat à mes parents pour pouvoir rentrer au bercail. Mais j’avais appris une chose importante, le plus dur n’était pas de se procurer l’argent, encore fallait-il savoir le dépenser…

Patti Smith – Free Money (La Fille en Rouge)

Même si j’étais heureux de revoir Antoine, je n’étais pas totalement remis de ma désillusion floridienne et n’avais aucune intention de reprendre du service. Tout ce que je désirais, c’était poursuivre ma conversation avec Noella. Le problème, c’est qu’Antoine avait un plan pour détrousser le Casino de Royan. Pour ma défense, je dois vous dire qu’Antoine n’employait jamais le mot “plan” à la légère. Quand l’affaire n’était pas juteuse, il se contentait d’évoquer un “coup”. Si c’était risqué, il parlait carrément d’un “truc”. Non, un “plan” dans sa bouche, c’était le jackpot assuré, et sans risque.

Il tenait de source sûre que la bâtisse devait être détruite l’année suivante. En 1980, la plupart des Casinos avaient opté pour un système d’alarme ultra-sophistiqué, une chambre forte placée sous vidéo-surveillance et reliée au commissariat le plus proche.

Personne n’étant encore au parfum de sa fermeture prochaine, la direction de l’établissement avait imprudemment décidé de lésiner sur les dépenses liées à la sécurité.

Le Casino de Royan ne possédait pas de chambre forte. Juste un coffre-fort. Un vieux Silvermann, ma spécialité. Enfermé à l’interieur d’une simple armoire, dans le bureau du directeur.

Antoine avait bien préparé son affaire, mais en réalité, ce genre de plan n’est qu’une question d’audace. Comme Mesrine, Antoine était partisan du “Plus c’est gros, et moins ça se voit”. Pour lui, c’était du cinéma. A chaque braquage, il entrait dans un personnage pour n’en sortir qu’une fois l’ouvrage terminé. Et il n’avait pas tort. Nos fausses barbes étaient crédibles, et même si pour Antoine les costumes laissaient à désirer, “un peu trop classe pour des fonctionnaires de l’état“, nous étions surtout armés d’une grande conviction. Plus un Beretta dans la chaussette, au cas où…

George Baker – Little Green Bag

A peine arrivé devant l’entrée du Casino, Antoine fit glisser ses lunettes à miroir sur son nez et fustigea du regard les deux agents de sécurité, brandissant sous leurs yeux crédules une fausse carte d’Agent de Répression des Fraudes. Le truc, c’est de ne pas attendre leur approbation. Faire comme s’il s’agissait d’une formalité et s’engager dans l’entrée. La plupart de ces gars ne sont peut-être pas très malins, en revanche ils sont aussi entêtés que des chiens de chasse shootés à la coke. Si un truc les dérange dans votre attitude, si vous marquez ne serait-ce qu’une seconde d’hésitation, le doute s’insinue dans leur tête et vous êtes cuit.

Ces deux-là n’étaient pas des rigolos, ils nous avaient repérés bien avant qu’on se retrouve face à face.

Quand je vis le plus trapu dodeliner de la tête en détaillant mon costume bordeaux, je crus que notre affaire était mal engagée. Fort heureusement, le verre fumé de mes lunettes dissimulait mon inquiétude, pendant qu’Antoine jaugeait leurs regards décontenancés et entrait dans son personnage. Plein d’assurance et d’autorité, tel un agent du F.B.I débarquant sur les lieux du crime. Passant derrière lui, j’eus le temps de lire sur leurs visages un léger désaccord. Peut-être même l’ombre d’un doute, mais ils ne firent rien pour nous arrêter.

Je n’étais pas à mon aise, mais de toute évidence comme l’avait prédit Antoine, la sécurité semblait légère. Un molosse essaya bien de s’interposer dans l’escalier, mais Antoine brandit à nouveau sa carte. Il le gratifia d’un sourire et d’une tape amicale en le complimentant pour son sérieux, ajoutant d’un air paternaliste que ses patrons devaient en être fiers. J’avais beau le connaître, j’étais toujours impressionné par son aplomb. Un peu comme la Force dans Star Wars, le culot et la verve d’Antoine étaient capables d’influencer les esprits faibles. Il faisait preuve d’une telle aisance. Je ne peux me défaire de cette image, en plein braquage il avait le sourire d’un gosse déguisé pour Carnaval. Mais il osait et ça marchait.

En fait, il nous fallut à peine plus d’une minute pour atteindre les bureaux de la direction…

Le dernier rempart, un agent posté devant le bureau du directeur, fut plus regardant. Après avoir examiné nos cartes sous tous les angles, il nous détailla lentement, l’air suspicieux. Le baratin d’Antoine n’avait pas l’air de prendre sur lui. C’est alors que je le vis glisser la main dans sa poche. Geste anodin, sans doute, vu que son talkie et son arme étaient apparents. Toujours-est-il qu’Antoine dégaina son silencieux et lui logea une balle dans l’épaule droite. Quand le pauvre gars essaya de se relever, il reçut un coup de Beretta en plein visage qui l’envoya directement au pays des rêves.

Dans la foulée, Antoine enfonça la porte du bureau sans ménagement. Nous touchions presque au but. Il ne nous restait désormais qu’à faire taire le directeur. Ce qu’Antoine fit d’une manchette, pendant que de mon côté je m’acquittais de ma tâche en libérant le butin du vieux Silverman, en un temps record…

The Living End – Hold Up (La Fille en Rouge)

14h55, aucun signe de Noëlla. Pas d’Antoine, non plus. Le Ferry va partir. Le gars sur le trottoir d’en face, s’agite de plus en plus. Mais je vois quelqu’un qui approche. Il marche péniblement.

C’est lui. Antoine. Il est blessé. Sa jambe saigne. Je m’apprête à me lever pour le rejoindre quand je vois le gars aux Ray-Ban me devancer. Ce dernier sort une arme et hurle à Antoine de s’allonger sur le sol. Antoine hésite, évite de me regarder, puis se couche. Je ne peux rien faire. Impuissant, je le regarde se faire arrêter.

Je sens mon cœur qui tente de transpercer ma poitrine. Je dois rester calme mais mes yeux… Mes yeux ne peuvent se détacher d’Antoine plaqué sur le bitume… Son regard insistant ne m’a pas échappé. Un regard dirigé de l’autre côté de la rue… Je finis par le suivre… Et soudain, comme si le ciel s’était ouvert pour laisser passer le soleil, là-voilà qui apparaît. Noella ! Dans une Mini Cooper rouge, la vitre passager baissée, elle m’attend. Je n’ai pas le choix. Je dois y aller. C’est ce qu’Antoine voudrait, je le sais. Mon dernier regard sur Marseille est pour lui. Je m’engouffre dans la voiture.

Sniff’n The Tears – Driver’s Seat (La Fille en Rouge)

Elle porte des lunettes de soleil aux montures rouges, d’où s’échappe une larme. Je plaque ma main contre la sienne pour l’aider à enclencher la première. Noella démarre lentement. Je pose mon cadeau sur le tableau de bord, un autre livre de Kerouac, Les Clochards Célestes. Tandis que j’ôte mon déguisement de docker, je ne peux m’empêcher de la contempler. Dans un rayon de soleil, ses cheveux attachés laissent apparaître la blancheur de son cou délicat. Noëlla est vêtue d’une capeline rouge et blanche, et ses gants assortis finissent harmonieusement ses mains posées sur le volant.

Elle est si merveilleuse qu’on peinerait à croire qu’elle souffre d’un mal incurable. Un mal qui dévore lentement son être et notre avenir. Un mal que certains prétendent combattre contre une somme à cinq zéros. Ce sera peut-être en pur perte. Mais pour elle, je suis prêt à dépenser jusqu’à mon dernier centime. Alors ce soir, nous embarquerons pour Montréal. Le Canada ! J’aime ce pays, même si l’hiver y est rude. J’aime ce pays, car il offre une chance à Noella.

Neil Young – Helpless (La Fille en Rouge)

Serge Debono

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