Leonard COHEN : La Prière de l’Absent

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La Prière de l’Absent : Rencontres et Spiritualités chez Leonard Cohen

« Hineni, hineni, I'm ready, my lord » :

… plus du murmure outre-tombesque que du chant.

Leonard Cohen devant son Créateur pressent son prochain départ. Et il est prêt ! Enfin…

Quelques mois plutôt, il faisait déjà ses adieux à Marianne Ihlen, la femme de sa vie, ou peut-être, l’une des femmes de ses multiples vies, sa muse, souffrant comme lui de leucémie, mais plus avancée :

Dearest Marianne, I’m just a little behind you, close enough to take your hand. This old body has given up, just as yours has too. I’ve never forgotten your love and your beauty. But you know that. I don’t have to say any more. Safe travels old friend. See you down the road. Endless love and gratitude.

Ce chemin s’est effectivement ouvert pour les deux amants qui se sont connus sur l’île d’Hydra en Grèce en 1960. Mais le chemin s’est ouvert sur deux voies, chacun ayant tracé son sillon, et écrit son histoire. Même si une partie de cette histoire a été écrite par les deux.

Leonard Cohen – So long Marianne

L’histoire de Cohen est restée fidèle à lui-même et à l’art. Il a écrit des chansons et des poèmes pas toujours accessibles. Il a fait de la musique et des rencontres qui ont conduit à des chansons. Nico, son impossible amour, sa déception, et passez-moi l’expression : son râteau.

Janis Joplin (a-t-on dit), qui recherchait l’acteur Kris Kristofferson dans l’ascenseur du Chelsea Hotel de New York. Leonard Cohen réussissant à se faire passer contre toute vraisemblance (le chanteur-acteur dominant Cohen d’une bonne demie tête) pour Kristofferson, malgré un bref instant de lucidité de Pearl avant que la chanson « Chelsea Hotel N° 2 »  relate la suite.

Suzanne Elrod (la deuxième du prénom et la mère de ses enfants Adam et Lorca Cohen), Dominique Issermann, Joni Mitchell, Rebecca de Mornay, Anjani Thomas qui faisait les chœurs sur Various Positions et qui sera sa non-veuve.

Des vinyles, dont certains acoustiques et dépouillés.

Son premier album Songs of Leonard Cohen paru en 1967 avec ses morceaux-phares «Suzanne» , écrit pour Suzanne Verdal, avec qui il vécut une « union spirituelle » est inoubliable. Il s’agit d’un de ses plus grands succès duquel il ne perçut strictement rien, ayant cédé sans le savoir les droits de la chanson à un arrangeur peu scrupuleux.

Suzanne

Il y eût aussi «So Long Marianne» qui au départ se voulait une photographie de son histoire avec Marianne Ihlen et qui à la fin a plutôt consacré leur rupture.

Des vinyles. C’était le format à l’époque et nous avons rêvé sur Various Positions en 1984. Notre naïveté de jeune étudiant nous laissait le fantasme d’un Kâma-Sûtra délirant… Et nous ne nous étions pas trompé. C’était effectivement un Kâma-Sûtra, mais de l’âme à travers ces «Various Positions».

La prosternation et la contemplation : «If it be Your Will»  avec Jennifer Warnes en contrechant et à l’unisson pour cette prière à deux, «Hallelujah» et son chœur entêtant.

La solitude avec «Heart with no companion» ou l’amour avec «Dance me to the End of Love»  une de ses plus belles chansons ou encore «Coming back to You»…

Leonard Cohen – Dance me to the en d of the Love

Des Rencontres

Comment ne pas évoquer ses voyages, et notamment celui à Cuba en pleine effervescence révolutionnaire castriste. Arrêté par l’armée cubaine alors qu’un groupe de contre révolutionnaires avait attaqué l’aéroport de La Havane. Puis, arrêté une nouvelle fois lors de l’attaque de la Baie des Cochons, il quittera l’île et ses désillusions romantiques par un coup de chance !

Des Personnes

Sharon Teresa Robinson sa «collaborator» comme il aimait à la présenter, chanteuse, choriste, compositrice et productrice. On avait découvert ses talents d’écriture dans les chansons «Everybody Knows», «I’m Your Man» et «Waiting for the Miracle». Elle élargira la palette avec l’album Ten New Songs dont elle sera co-auteure et co-productrice. Elle y jouera de tous les instruments, excepté la guitare sur «In My Secret Life» tenue par le fidèle Bob Metzger. Ce morceau bien que le plus connu de l’album,  aura pourtant bien du mal à cacher d’autres moments d’intense émotion  («You have Love Enough»).

Elle partagera par ailleurs la photo de l’album avec Leonard Cohen même si sa présence sera moyennement appréciée des puristes de Cohen, qui déplorèrent son influence dans l’usage de synthétiseurs et programmateurs.

Mais ce virage Cohen l’avait pris tout seul à partir de 1984 (Various Positions), et définitivement en 1988 avec l’album I’m Your Man (c’est vrai que Robinson y avait co-signé « Everybody Knows ». Mais c’est tout !). Il continuera sur la même veine dans ses prochaines productions notamment avec Pat Leonard (entre autres producteur de Madonna).

Nous sommes très loin des morceaux dépouillés des débuts. Sa voix devenue caverneuse est murmurée sur une nappe discrète de synthés, entrecoupée par un chœur féminin  souvent effectué par les brillantes Webb Sisters, Jennifer Warnes, Dana Glover et encore Sharon Teresa Robinson.

Son Public

cohen leonard
Neal Preston/Corbis ©

A 73 ans, Leonard Cohen reprendra les routes et les concerts. Son séjour paisible au Mount Baldy Zen Center, ne l’avait pas été pour ses finances. Live in London en retrace les meilleurs moments dans un show brillant, interactif et plein d’humour. Trois heures de best of revisité, avec des moments intenses comme «I Tried to Leave You» , véritable jam-session de ses musiciens, introduits l’un après l’autre par un Cohen jubilant en arrière-plan. Seul bémol déploré par les fans, le prix exhorbitant des places : Jusqu’à 350$ pour certaines d’entre elles.

Leonard Cohen :  I tried to leave you

L’Immanence et la Spiritualité

Un appel, et la rencontre avec Siddhârta Gautama. Le poète est devenu moine Bouddhiste, se retirant pendant cinq ans au Mount Baldy Zen Center, un monastère de Los Angeles. Tellement éloigné des contingences matérielles, son manager en aurait profité pour le tondre, lui qui n’avait déjà plus de cheveux durant son séjour en ces saints lieux comme on peut le voir sur la fameuse photo de Angelica Sarkisyan

leonard cohen
Angelica Sarkisyan ©

Sous la conduite de Maître Joshua Sasaki dont il a été l’assistant, Leonard Cohen, ou plutôt Jikan s’est plié comme tous les autres membres au rituel des travaux de corvée qui consistaient à nettoyer et couper des légumes, effectuer toutes les tâches ménagères, le jardinage, etc. Il sera ordonné Moine Zen le 9 août 1996.

Un appel.

Et la rencontre avec son Créateur.

La religion a toujours été présente dans la musique de Cohen, même dans les titres qu’on n’aurait jamais soupçonné de prime abord. Ainsi de la chanson «Anthem» et son fameux :
«There is a crack, a crack in everything, That’s how the light gets in» qui selon certains exégètes hébraïques, relève de l’allégorie de la Chevirat haKelim connue sous l’appellation de «la brisure des vases» telle que systématisée par Isaac Ashkenazi Louria, rabbin du XVIème siècle et fondateur de l’école kabbalistique de Safed, qui est passé à la postérité pour l’un des plus grands théologiens mystiques juifs.

Leonard Cohen tenait ce penchant de son éducation familiale.

Certes, Nathan Cohen, son père était dans la vente des vêtements. Leonard Cohen le lui a bien rendu par son extrême élégance et son côté chic, voire dandy : l’homme à la fédora. Du côté de sa maman Masha, c’est une longue lignée de rabbins qui remonterait jusqu’au prophète Aaron. Mais la figure tutélaire serait peut-être celle de son grand-père, le rabbin Solomon Klonitsky-Kline qui lui a tout enseigné du livre d’Isaïe. Il est à noter que Leonard Cohen a côtoyé dans sa vie, la religion chrétienne et particulièrement catholique à maintes reprises.

Leonard Cohen Hallelujah

Même s’il n’a pas été dévot et prosélyte, la présence de Dieu est indéniable : «Hallelujah», «If it be Your Will», «Amen», «You Want it Darker». Il en est de même des figures bibliques et quelques icônes de la chrétienté qu’il a évoquées à travers ses chansons : Jésus, sa mère la vierge Marie, Samson, Adam, David, Marie-Bernade dite Bernadette Soubirous, Jeanne d’Arc, Isaac, etc. En même temps, on est en droit de se demander pourquoi une telle incursion dans le bouddhisme, mouvement religieux qui se singularise par l’inexistence de Dieu. Siddhârta Gautama n’étant ni Dieu, ni fils de Dieu : juste un homme face à son destin. Entre Religion et Spiritualité, quel fut son choix ?

Religion et Spiritualité

Pour l’enregistrement de son dernier disque anthume, Leonard Cohen a fait venir le Chœur Shaar Hashomayim, chorale de la plus ancienne congrégation Ashkénaze du Québec. Un retour aux sources en quelque sorte. L’homme était prêt, aucun doute à ce propos! Dans sa chanson «You Want It Darker», la proclamation «Magnified, sanctified, Be the holy name» traduite de l’araméen (langue du Christ) est en fait l’invocation d’ouverture du Kaddish, liturgie juive souvent prononcée lors des funérailles. Cette proclamation a d’ailleurs été lue à ses funérailles. La suite de la chanson est plus que logique et cohérente ! L’horizon était plombé, mais sereinement plombé :

«Hineni ! Hineni !».

Le disque a été publié le 21 octobre 2016. Quelques jours plus tard, le 07 novembre précisément, Leonard Cohen s’éteint dans sa 82ème année. L’annonce de son décès le 10 novembre suivant sur Facebook, s’est faite alors qu’il avait déjà été inhumé auprès des siens : Mission terminée. Place à la légende et quelques regrets…

Alors qu’on commémorait il y a peu le sixième anniversaire de sa disparition, peut-on penser qu’il ait rencontré son Créateur ?! Il n’est plus là pour nous répondre, c’est vrai, mais il a laissé des indices. À chacun d’en faire sa religion ou sa spiritualité, tout en sachant qu’il était prêt, voire tout près…

Hineni, hineni
I'm ready, my lord

La Prière de l’Absent…

GBK-M

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