DOMINIC SONIC : Cold Tears

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Du sang et des larmes.

Dominic Sonic en concert
Dominic Sonic, sur la scène de l’Aéronef (Photo : Hervé Leteneur)

Septembre 1990, à l’Aéronef de Lille, rue Colson. C’est un vieux théâtre fin du XIXe siècle, en bois et métal, avec des coursives, quelques rangées de sièges pour les Rockers fatigués et une très belle scène. L’une des meilleures salles de France à l’époque, rien à voir avec la cage en béton actuelle. Le gars arrive, dandy et frêle, avec sa superbe guitare demi-caisse rouge. Puis le groupe. On reconnaît Pierre Corneau, alors bassiste émérite de Marc Seberg, un batteur, Jean-Claude Herry (Splassh), et un autre guitariste avec d’abord une guitare acoustique, Vincent Sizorn. Les trois entament un tempo moyen mais implacable, le tambourineur tape sec et mécanique comme une boîte à rythmes humanoïde.

Oh Yesterday, I had a friend
And now, he’s all alone

déclare le chanteur d’une voix nasillarde. Alors il balance quelques accords de guitare avec un son surpuissant digne d’une répète des frangins Reid (The Jesus And Mary Chain), comme ça, l’air de rien avant d’entonner le refrain. Plus tard, il fait vriller nos tympans en glissant le bottleneck sur sa guitare. Et l’on remarque un léger sourire tandis que ses stridences nous atteignent. Il porte bien son nom celui-là : Dominic Sonic !

Dominic Sonic – When My Tears Run Cold – Cold Tears (1989)

Pour les rares connaisseurs, Dominique Garreau alias Dominic Sonic, n’en est pas à son premier coup d’essai. Originaire de Dinan en Bretagne, il a vite rejoint l’un des projets fondateurs du Punk Breton, les Kalashnikov, un gang formé à Lamballe en 1979. Dominic y assure le chant, en fan absolu d’Iggy Pop et des Stooges. Après un mini LP en 1984 et une multitude de concerts (400 d’après les sources) – dont des premières parties de Johnny Thunders, The Lords Of The New Church, et Dogs -, le quatuor se sépare en 86.

Kalashnikov – Too Late – A Train Song (1985)

 

Rouge – Noir – Blanc

Dominic Sonic n’en reste pas là. Il prépare une maquette de plusieurs titres avec le guitariste Vincent Sizorn. Lui-même sort la 6 cordes et se met aux claviers et à la boîte à rythmes. Finalement, c’est sous son nom que le projet est signé par le label belge, Crammed Discs, à la longue réputation de découvreur de talents. Ce premier LP sort en Mai 1989 sous  le titre Cold Tears. Dans les invités, on y trouve également Pierre Corneau à la 4 cordes, Bénédicte Villain, la violoniste des excellents Passion Fodder, A. Sloan aux claviers / programmations et même Tonio Marinesco de Kalashnikov pour certaines percus non électroniques… Le disque contient 10 titres, 12 pour la version CD. Le tout a été brillamment enregistré et mixé au Studio ICP à Bruxelles par Gilles Martin et produit par Sonic ainsi que Sizorn et Sloan. On parle d’une session de 12 nuits…
La pochette déjà interpelle. Un gros plan du chanteur en noir et blanc – de Emmanuelle Margarita -, presque fragile, dominé par son nom en rouge sanglant. Au verso, un montage de photos floutées toujours en noir et blanc, les titres et les infos sont centrés dans un cadre rouge. Ce nuancier Rouge-Noir-Blanc accroche indéniablement. Sur la pochette intérieure, toujours dans les mêmes tons, les paroles et d’autres infos ainsi qu’un petite photo du duo Sonic-Sizorn. Joël Van Audenhaege signe le design.

Verso de Cold Tears
Cold Tears, verso du vinyle

Aussi âpre et personnel

La première face s’ouvre par When My Tears Run Cold. Ce qui frappe d’abord, c’est le son à la fois brûlant et glacial. La guitare électrique de Dominic Sonic ravage le panoramique tandis que sa voix semble nous narguer. Le découpage rythmique – acoustique / boîte – lorgne évidemment du côté des Stooges. Les allusions mortuaires du texte prennent maintenant une autre dimension… Pour ce titre, Sonic assure tous les instruments.
C’est le cas également de Shadows In The Fire. Mais cette fois la machine à rythmes rappelle le Bo Diddley Beat et s’accélère. Sonic alterne séquences quasi acoustiques et explosions de 6 cordes en fuzz, un truc qu’utilisent au même moment les Pixies et que va instituer le Grunge avec Nirvana. Quant au texte, le Breton raconte une sombre histoire de familicide par incendie…

Dominic Sonic – Shadows In The Fire – Cold Tears (1989)

Pour When I’m looking At Them, après une intro folk, toute l’équipe rejoint le chanteur. Le son est particulièrement beau et se rapproche de certaines ballades aux parfums vénéneux des Stones ou du Johan Asherton période Precious. Et la qualité de l’écriture ! Mélodie et texte s’avèrent admirables, avec ce soupçon de provocation révélé lors des interprétations en live.

When I’m Looking At Them

On n’est pas au bout des surprises ! Dans La Loi Des Pauvres Gens, Dominic Sonic s’essaie au Français avec une gouaille d’Apache de la Butte Montmartre sur une complainte décadente qui pourrait tenter les Bad Seeds de Nick Cave. Cette valse dégingandée tourbillonne parmi les feedbacks de guitare. Le Rennais d’adoption y joue en duo en compagnie de Chris Mix.

La Loi Des Pauvres Gens

Retour à un blues poisseux dans Praying To The Lord. La boîte se fait plus véloce alors que Sizorn ressort le bottleneck. Le groupe les accompagne au cordeau. Après un délire orientaliste pendant le pont, le chanteur pousse tout ce beau monde à s’arrêter, exsangue à la fin de la face.

Praying To The Lord

De l’autre côté de la galette, l’entame What I’m Waiting For nous ramène aux premiers morceaux. Sonic raconte qu’il va rester au lit. Ça ne l’empêche pas de de jouer de tout encore une fois.

What I’m Waiting For

La reprise du disque. On s’attendait à une cover d’Iggy montrant sa bite, c’est finalement Lennon qui exhibe ses traces de piquouses dans l’énorme Cold Turkey. Sonic et le complice Vizorn en proposent une adaptation déchirée. Mais peut-on dépasser la version originale ? On vous laisse juge…

Cold Turkey

Et le single du Plastic Ono Band en 1969, avec un Clapton – tout aussi camé – au jeu méconnaissable et les cris de douleurs de John Lennon en plein sevrage .

Plastic Ono Band – Cold Turkey (1969)

Ce que révèle vraiment cet album, c’est le talent d’auteur et de compositeur de Dominic. Ainsi pour LA ballade du recueil, A S’y Méprendre. Forme et fonds sont au zénith, l’une des meilleures compos du Rennais, ici en solitaire. On en reparlera. Le CD originel en propose aussi une transcription à l’anglaise en bonus  : I’II Stay Downtown.

Toi, tu es comme l’enfer
Tu m’attires vers le bas
Vers le bas pour moi
Vers le bas de soie
Je t’attends toujours
Un peu plus chaque fois
Un peu plus chaque jour

A s’y méprendre, c’est à s’y méprendre…

Après cette virgule de Spleen, Sonic repousse les potars à 11, comme tout fan de Neil Young. Sizorn et le bassiste Corneau le rejoignent pour un Call Me Mister où dominent à la fois les larsens et un riff impérial. Avec en plus le martèlement de la boîte à rythmes, le thème évoque nettement le LP Automatic de The Jesus And Mary Chain paru également en 1989. Une synchronicité ?

Call Me Mister

Enfin, dans une dernière montée de fièvre, tel un concert fictif, le gars et ses amis presque au complet – manque Marinesco – balancent l’incroyable Acid Sonic. Une nappe de synthé quasi industrielle suivie d’un effet hélicoptère introduisent le carnage. La machine joue les lapins Duracell déglingués puis au “Yeah” du chanteur, le morceau déroule son enfer rougeoyant. Le violon de Bénédicte Villain déraille en défiant la guitare slide dans un duel voltaïque. Dominic Sonic hurle qu’on a tué sa Baby Doll. Cinq minutes de bonheur terrifiant !

Acid Sonic

Notons qu’en CD, Sonic prolonge le plaisir avec une cover du sulfureux Cocksucker Blues, une Stonerie de 1970 trop perverse pour être publiée.

Cocksucker Blues

Ce premier album de Dominic Sonic sera particulièrement bien accueilli par la critique et le public. Il s’en vendra plus de 40 000 exemplaires un peu partout en Europe, une vraie réussite donc pour un projet initial. Normal pour un disque aussi âpre et personnel, l’un des meilleurs du Rock Français de cette fin du XXe siècle. Sonic et Sizorn sillonneront les routes françaises en présentant leur bel œuvre d’abord en formule duo plus magnéto à bandes et ensuite avec le groupe présenté en intro. L’excellence de ces concerts participera à l’enthousiasme général. Une version plus électrique d’A S’y Méprendre sortie en single en 1990 aura aussi un beau parcours, notamment radiophonique.

Et après ? Dominic Sonic présente cinq autres albums, de bons recueils, mais peut-être moins marquants que Cold Tears. Le grand public et les gros médias ne le suivent plus, les nouveaux historiens du Rock le négligent, mais les fans demeurent et lui n’arrête jamais. Dominic Sonic meurt le 23 Juillet 2020, à 55 ans, “d’une putain de maladie”.

Dominic Sonic – When My Tears Run Cold + Acid Sonic Live @Vieilles Charrues (2016)

 

Bruno Polaroïd

Ps : Cold Tears a été réédité en vinyle et CD en 2021, avec 5 bonus extraits du EP A S’y Méprendre.

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