STREETCORE, l’épilogue lumineux de Joe Strummer

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Quand l’âme du punk rejoint les grands esprits

street core joe strummer

Streetcore est un grand album posthume. En 1999, après dix ans d’une longue traversée du désert, Joe Strummer retourne en studio avec une nouvelle formation : The Mescaleros.

“C’est mon été indien… J’ai appris que la célébrité est une illusion et que tout n’est qu’une blague. Je suis beaucoup plus dangereux maintenant, parce que je me fiche de tout.”

Bien que les fans du Clash soient déçus par son orientation folk, ce premier album semble ouvrir de nouveaux horizons au chanteur. Il poursuit l’aventure, enchaînant un second opus avec un enthousiasme retrouvé. Le troisième, enregistré en 2002, sera son chant du cygne. Pourtant, dès la première écoute, l’énergie qui s’en dégage est si contagieuse qu’il est bien difficile d’imaginer que Streetcore est l’œuvre d’un quinquagénaire…

Un album flamboyant

Il faut dire qu’en ce début de troisième millénaire, l’Angleterre semble connaître un nouvel essor du rock’n’roll. Sous l’impulsion de groupes américains comme The Strokes et The White Stripes, des formations comme Franz Ferdinand et les Arctic Monkeys ne tarderont pas à émerger.

Dès les premières mesures de Coma Girl, on peut sentir cette envie quasi juvénile, celle qui parvient à vous soulever de terre. L’histoire d’un gang de motards, et de leur muse. Un riff simple et frénétique, la voix brute et acérée de Strummer, et nous voilà à nouveau plongés dans une époque où le rock ne trichait pas.

Joe Strummer & The Mescaleros – Coma Girl (Streetcore)

En effet, peu de rockers peuvent se targuer d’avoir emboîté le pas de la faucheuse avec un dernier album de cette qualité. Même si le principal intéressé n’était déjà plus des nôtres au moment du mixage, et bien qu’on puisse déplorer que certains morceaux en soient restés au stade de l’ébauche, il en émane cette énergie brute qui avait vu naître Joe Strummer et The Clash, 25 ans plus tôt.

Joe Strummer & The Mescaleros – All in a Day (Streetcore)

Mais pas seulement. On y décèle également cette fibre créatrice libérée de toute entrave, image, mode ou tendance qu’apporte la maturité. Car c’est bien ce mélange d’impatience juvénile et de sérénité qui fait la force de ce dernier opus. Les titres rocks pourraient être des chutes de London Calling ou Combat Rock tant ils rayonnent de candeur.

Les ballades folks donnent des regrets. Mais pourquoi Joe et sa voix de soulard irlandais digne de Shane MacGowan n’ont-ils pas enregistré un album complet dévolu au genre ? ! Long Shadow en est le meilleur exemple. Écrite pour Johnny Cash, la version publiée est donc une prise brute censée dormir dans un carton. Pourtant, Joe Strummer déroule une authentique ballade de cow boy, avec la fougue et le grain adéquat. Une merveille !

Joe Strummer & The Mescaleros -Long Shadow (Streetcore)

Brian Setzer (Stray Cats) disait avoir redécouvert sa terre natale, les Etats-Unis, à travers les yeux de Joe Strummer et ses photographies. Nul doute que sa faculté à se sentir un citoyen du monde favorisait sa pertinence, mais plus encore que son internationalisme, sa propension à voir la lumière dans la grisaille était génératrice de beauté.

Et si le texte et la musique de Silver and Gold, sont empruntés à Bobby Charles et Fats Domino, l’urgence de vivre exprimée par Strummer ne peut laisser indifférent. Rien ne laissait présager de sa mort survenue en fin d’année, but “the future is unwritten”...

“I’m gonna go out dancing every night
Je vais sortir danser tous les soirs
I’m gonna see all the city lights
Je vais aller voir toutes les lumières de la ville
I’ll do everything silver and gold
Je ferai tout argent et or
I got to hurry up before I grow too old”
Je dois me dois me dépêcher avant de vieillir

Joe Strummer & The Mescaleros – Silver and Gold

Enfin, lui qui avait servi la cause jamaïcaine à la fin des seventies, réaffirme son attachement aux rythmes caribéens de fort belle manière. N’en déplaise aux détracteurs du genre, ils ne sont pas nombreux les cadors du rock ou de la pop à avoir délivré un titre reggae de cette qualité.

Le texte ironise sur la spiritualité et les écrits religieux. Pourtant, doté d’une mélodie envoûtante, et porté par un chant fédérateur, il accroche l’oreille dès la première écoute. Joe et les Mescaleros optent pour un instrumental reggae-dub, relevé par des changements de rythmes accrocheurs et de sublimes arrangements. Un titre phare.

Joe Strummer & The Mescaleros – Get Down Moses

En 1980, lorsque Bob Marley délivre son dernier album, et le vibrant Redemption Song en guise d’adieu, il se sait atteint d’un mal galopant. Nul ne sait si Joe Strummer comptait réellement intégrer cette reprise à son dernier album. C’est une décision des producteurs Rubin, Shields et Slattery qui l’amènera à figurer sur Streetcore. L’artiste ignorait tout de la malformation cardiaque qui allait bientôt mettre un terme à ses jours. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’y voir un geste prémonitoire.

Vingt ans plus tôt, la pureté de la voix d’un Marley pourtant souffrant, conjuguée aux résonances de ce texte à la mélodie universelle, avaient déjà laissé pensif bien des fans.

redemption song

Si la notoriété de Joe Strummer est difficilement comparable, le souvenir qu’il a laissé en tant qu’apôtre de la liberté, le rapproche indubitablement de l’artiste jamaïcain. L’intégrité et l’engagement reliant ces deux artistes d’exception, ne fait qu’ajouter à l’inévitable frisson provoqué par la divulgation de cette reprise.

Un an plus tard, Johnny Cash ayant rejoint le Roi des Rastas et celui des Punks, le coffret Unearthed publie ses inédits. Il révèle l’existence d’une reprise en duo de l’Homme en Noir et Joe Strummer, de cette même Redemption Song. Un hymne en guise d’épitaphe pour ces trois combattants de la liberté.

Joe Strummer & The Mescaleros – Redemption Song

Pochette, titre, et postérité…

pochette Streetcore

La pochette est faîte d’illustrations et logos réalisés par Joe Strummer. L’aspect “montage” est volontaire, et représente le concept et la manière de travailler du groupe.

Le titre énigmatique le restera, même avec cette indication donnée par le compositeur :

“Une distillation à travers la bobine de flexion de l’esprit…”

L’album est publié le 21 octobre 2003, soit dix mois après la mort de Strummer. Si l’impact émotionnel n’est pas négligeable et fausse quelque peu son succès public, c’est également le seul opus de l’artiste (hors Clash) ayant rencontré un accueil aussi favorable auprès des critiques.

Une fin brutale

En novembre 2002, Joe Strummer & The Mescaleros donnent un concert à Londres en soutien aux pompiers en grève. Mick Jones est présent dans le public. Joe l’invite à monter sur scène. Les deux anciens membres de The Clash se produisent ensemble pour la première fois depuis 1983.

Strummer et Mick Jones
Joe Strummer et Mick Jones (2002) Photo Bob Gruen

En décembre, dans le cadre d’une campagne de lutte contre le Sida en Afrique du Sud, Joe coécrit le titre 46 664 avec Bono (U2). Le chiffre correspond au matricule de Nelson Mandela durant sa détention. La production sera achevée après la disparition de Joe. C’est Mick Jones qui s’en chargera, afin d’offrir le titre à Lucinda Tait, épouse de Joe Strummer.

Joe Strummer – 46 664

Le 22 décembre 2002, assis sur son canapé dans sa maison de Broomfield, Joe Strummer succombe à une malformation cardiaque congénitale et non diagnostiquée. En d’autres termes, une anomalie du coeur qui aurait pu l’emporter à tout moment.

Joe Strummer (Streetcore)
 » Quand vous rencontrez des gens qui vous disent que vous avez eu un effet sur leur vie, vous réalisez que tout ça en vaut la peine. »

« Joe nous a beaucoup appris, tous autant que nous sommes. Mais la leçon la plus importante, et nous en avions conscience, c’est la façon dont il faut se comporter avec les gens. Il aimait les gens. Et j’ai bien plus d’un exemple pour vous en convaincre.”

Mick Jones

C’est une bien maigre consolation, mais on peut toujours se dire que Joe aurait pu se gâcher. Comme tant d’autres, se vautrer dans la starification et bafouer son intégrité. Ou bien encore, mourir des suites d’une longue et pénible maladie, comme Bob Marley et Johnny Cash.

Au lieu de cela, Joe Strummer s’est éclipsé de la même manière qu’il était venu, dans la stupéfaction. Une sortie lumineuse avec Streetcore. Un album fédérateur, généreux, et brillant. A l’image de son auteur.

Serge Debono

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