Arctic Monkeys, le troisième millénaire s’éveille à Sheffield

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En 2006, l’éclosion des Arctic Monkeys confirme l’avènement d’une nouvelle vague rock britannique, ainsi que celui d’internet comme moyen de promotion.

Certaines carrières sont le fruit du hasard, d’autres résultent d’une rencontre à point nommé. Ce sont la magie de Noël et celle d’internet qui ont donné naissance aux Arctic Monkeys.

Arctic Monkeys

Génèse et conquête du public

Alex Turner et Jamie Cook ont vu le jour dans la ville de Sheffield (nord de l’Angleterre). Respectivement âgés de 15 et 16 ans, ils se côtoient au sein de la Stocksbridge High School. En 2001, fans des Beatles et des Smiths, ils se passionnent pour la carrière des Strokes, Oasis ou Queens of the Stone Age. En conséquence, ils recoivent chacun une guitare électrique comme cadeau de Noël.

Après quelques mois d’apprentissage, ils recrutent dans leur école, Andy Nicholson et Matt Helder, et fondent leur premier groupe. Nicholson est déjà bassiste, Helder choisit donc d’opter pour la batterie…

«C’était tout ce qu’il restait ! Ils avaient tous des guitares. Au bout d’un moment, j’ai décidé d’acheter un kit de batterie. J’ai appris en autodidacte, simplement équipé d’un livre et de baguettes. »

Le groupe effectue plusieurs concerts dans les clubs de Sheffield durant l’été 2003, armé de reprises des Strokes et des White Stripes. Ayant rencontré un accueil chaleureux, ils enregistrent leurs premières démos. Entretemps, Alex Turner s’est découvert une vocation de compositeur. Sous son leadership, le groupe prend une autre dimension.

Alex Turner
Alex Turner et Jamie Cook

A l’initiative d’Alex Turner, leurs démos sont distribuées gratuitement à la fin des concerts. Cet acte de générosité va s’avérer payant.

Le premier buzz de l’histoire du rock

Le nombre d’adeptes dépassant le nombre d’exemplaires, les fans se mettent à partager les titres du groupe sur le réseau internet. Ces mêmes fans décident de créer une page pour le groupe sur le site Myspace, pionnier du réseau social. Leur popularité se propage alors dans toute l’Angleterre, attirant l’attention de la BBC et des médias britanniques. C’est une première depuis les débuts de la démocratisation d’internet, et une véritable révolution pour l’industrie musicale.

Sheffield et la région Nord ne peuvent contenir le phénomène. Leur renommée s’étend et glisse jusque dans la capitale. “Les singes de l’arctique”, dont ils ont pris le nom, gagnent le cœur de Londres, alors secoué par un séisme post-punk.

Ils sont rapidement courtisés par quelques grands labels du métier. Mais ces “quatre garçons dans le vent” refusent de se vendre au plus offrant. Surtout lorsque ce dernier leur demande de modifier leurs compositions. Durant deux ans, ils tournent dans tout le pays et remplissent les salles, dans l’attente qu’un label respectant leur œuvre se manifeste.

« À Londres, les gamins regardaient le groupe, et les labels regardaient les gamins en train de regarder le groupe »
Alex Turner

Après un premier EP tiré à trois mille exemplaires chez Bang Bang Recordings, ils signent un contrat avec le label indépendant Domino Records (Franz Ferdinand). Leur premier single paraît en octobre 2005. Un regard lucide porté sur le manège amoureux des boîtes de nuit. Un titre décadent, au riff de guitare accrocheur. Punk sur les couplets, hard sur les refrains. Il grimpe au sommet des charts dès la première semaine…

Arctic Monkeys – I Bet You Look Good on the Dancefloor

Le phénomène Arctic Monkeys est en marche. L’album intitulé “What Ever People Say I am, That’s What I’m Not” parait au début de l’année 2006.

What Ever People Say I am, That’s What I’m Not

Leur musique s’accorde parfaitement avec la nouvelle vague post-punk déferlant sur l’Angleterre depuis le début du troisième millénaire. Le charme vintage de la voix d’Alex Turner, faisant de lui une sorte de crooner punk, semble plaire aux jeunes anglais. En particulier lorsque celle-ci aborde la question cruciale : “Que faire le vendredi soir ?”

Arctic Monkeys – A View From The Afternoon

Sur le titre Fake Tales of San Francisco, Alex Turner fait preuve d’une étonnante lucidité. Le texte évoque les problèmes d’identité que rencontrent les jeunes célébrités, en voyant leur image déformée par le regard des médias, et les fantasmes du public. Il insiste sur l’importance de puiser dans ses racines, afin de rester soi-même. Comme sur la majorité des titres, la basse de Andy Nicholson cadence le propos, tandis qu’un riff imparable de Jamie Cook embrase le tout.

Arctic Monkeys – Fake Tales of San Francisco

“C’est le disque d’une bande de gamins parlant de leur quartier dans une ville du nord de l’Angleterre, et qui passent le message à tous les mecs comme eux, d’autres gars qui s’emmerdent dans le nord. Savoir que ce disque s’est bien vendu m’étonne toujours. C’est comme si la vie d’un petit branleur fan des Smiths était devenue la préoccupation du monde entier.”

Alex Turner (2011)

Si sa modestie l’honore (il refuse d’ailleurs toujours son surnom de “sauveur du rock anglais”), Alex Turner minimise la profondeur de son œuvre, ainsi que l’impact des Arctic Monkeys sur leur époque.

Oui, cet album ressemble à s’y méprendre à un manifeste rock adolescent du troisième millénaire. Sauf qu’il évite les travers naïfs, et les mélodies faciles. La thématique est précise et le propos élaboré. Ce récit fait à la première personne de la vie nocturne de Sheffield, est un témoignage flirtant avec l’album concept. Un regard lucide porté sur une génération en proie au doute et à l’ennui. Mais également la preuve, qu’une nouvelle mouvance provenant d’une autre ville que Londres, Manchester ou Liverpool est possible.

Boardwalk (Sheffield)

Quant aux instrumentaux, ils sont charnus et nourris de belles influences. De toute évidence, cette génération n’a pas connu les clivages de genres du passé. Si bien que les entendre fusionner sans vergogne, riffs hard-rock et rythmiques punk, le tout relevé d’influences soul et hip-hop, est assez jubilatoire…

Arctic Monkeys – Still Take You Home

Tout l’album brûle d’un rock sauvage et enjoué. On en oublie vite la froideur de leur nom, et de leur provenance. Contaminé par le ton brut et fougueux de ces enfants de l’an 2000, on va même jusqu’à se laisser tenter par une ballade adolescente. Smart et chaloupée comme un titre des Smiths

Arctic Monkeys – Mardy Blum

“Whatever People Say” est un reportage avisé sur l’exutoire des classes ouvrières de Sheffield. Une tournée des bars dans les vapeurs du post-punk. Chaque titre de l’album semble restituer l’énergie et l’enthousiasme d’une jeunesse se débarrassant des tabous, et s’octroyant le droit légitime de danser sur un monde qui implose. Cet album exsude la libération d’une fin de semaine. L’excitation du vendredi, la fièvre du samedi soir… et les brumes éthyliques du dimanche matin.

Arctic Monkeys – Dancing Shoes

When the Sun Goes Down et son fulminant crescendo est le deuxième single extrait de l’album, et le point culminant d’un brillant premier ouvrage. Dans le texte, Turner déplore le jeu d’ombre qui se déroule sous ses yeux. Son quartier semble calme la journée, et devient le terrain de jeu des dealers et des proxénètes lorsque vient la nuit. Il porte un regard compatissant sur les prostitués de son quartier, et fait directement allusion au titre du groupe The Police, “Roxanne”.

Arctic Monkeys – When The Sun Goes Down

Nom, Titre et Pochette

Plusieurs versions ont été données par les Arctic Monkeys sur l’origine de leur nom. Une référence au poète punk, John Cooper Clarke. Ou encore le nom du groupe du père d’Alex Turner. Une théorie réfutée par ce dernier. Selon lui, ce nom qu’il trouve “pire que le plus mauvais nom d’un tribute band” est une idée du guitariste Jamie Cook. L’interessé semble confirmer la chose, puisqu’il a déclaré avoir toujours souhaité ” faire partie d’un groupe baptisé Arctic Monkeys”.

pochette
Pochette Whatever People Say I am, That’s What I’m not

Le titre “Whatever People Say I am, That’s What I’m not” est extrait du roman “Saturday Night and Sunday Morning” de Alan Sillitoe. Constatant des similitudes avec la thématique de l’album, Alex Turner le propose au groupe. La pochette, elle aussi, est un parfait reflet du fil rouge de l’album. Chris McClure, ami du groupe, est photographié au petit matin dans un bar de Liverpool, après que les Arctic Monkeys lui aient donné 70 livres à dépenser dans la nuit. Sur la campagne d’affiches faisant la promotion de l’album, il apparait sans la cigarette après que des critiques aient été formulées par le Système de Sante Public Ecossais.

Une consécration immédiate

Célébrés avant même d’avoir publié leur premier disque, leur cas est unique. En janvier 2006, Domino se retrouve submergé de précommandes, et décide d’avancer la sortie de l’album d’une semaine. 300 000 exemplaires vendus en l’espace de quelques jours, les Arctic Monkeys coiffent les Beatles et Oasis et suscitent l’engouement des critiques…

“Ils réintroduisent l’excentricité britannique des Kinks, l’imparable sens mélodique des Beatles, le mépris des Pistols, la brillance des Smiths, le groove des Stone Roses, les hymnes d’Oasis, et le bordel des Libertines.”
New Musical Express

La nouvelle vague de rock britton instiguée par les Libertines et Franz Ferdinand voit dans ce nouvel arrivant son membre fédérateur. Après les Beatles, T.Rex et Oasis, l’Angleterre s’est trouvée de nouveaux “chouchous”.

Arctic Monkeys

Et même si leur rock gagnant en maturité et sophistication, perdra par la suite en spontanéité, les Arctic Monkeys, eux, n’ont pas perdu le Nord. Malgré les stades et les concerts gigantesques, fidèles à leur région, c’est en toute quiétude qu’ils arpentent les rues de la ville de Sheffield, où trois des membres vivent encore aujourd’hui.

Serge Debono

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