J.B. Lenoir, chronique d’un bluesman engagé du Mississippi

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Voici l’histoire éphémère d’un bluesman attachant, à la voix haut perchée et au verbe engagé.

J.B. Lenoir… Un auteur-compositeur de blues n’ayant pas la plume dans sa poche, et possédant une voix à faire pâlir les membres du Klu Klux Klan. Durant les années 50, la ségrégation encore très présente dans les états du sud des Etats-Unis, empêchait la majorité des bluesmen de s’exprimer librement. En ce sens, J.B. Lenoir fait figure d’exception. Même s’il dut renoncer à sa notoriété…

Un bluesman singulier

J. B. Lenoir naît le 5 mars 1929 dans la ville de Monticello (Mississippi). Première singularité, les lettres J et B ne désignent pas à un prénom composé, comme c’est le cas d’ordinaire. Il est nommé ainsi sur son acte de naissance.

J.B. Lenoir

Très jeune, il se découvre une passion pour le blues à l’écoute des disques de Blind Lemon Jefferson. Deuxième singularité, à l’âge de 15 ans, c’est du côté de la Nouvelle-Orléans qu’il fait ses armes comme guitariste. Il profite des conseils de Elmore James et Sonny Boy Williamson.

En 1949, comme de nombreux artistes du sud des Etats-Unis, il émigre dans la nouvelle mecque du blues, la ville de Chicago (Illinois). Intégré à la communauté par Big Bill Broonzy, il étoffe sa pratique de la guitare électrique aux côtés de Muddy Waters, et travaille avec Memphis Minnie. Il commence alors à enregistrer sur différents labels (Chess, Checker et J.O.B Records).

J.B. Lenoir – Mojo Boogie

Il publie son plus grand succès en 1954 chez Parrot Records. Le titre se classe 11ème au billboard rythm & blues.

J.B. Lenoir – Mamma Talk To Your Daughter

Par la suite, il enregistre sur le label Checker, deux futurs standards de blues. Les titres Don’t Dog Your Woman et Don’t Touch My Head

J.B. Lenoir – Don’t Touch My Head

Son talent sans esbroufe et sa nature accessible suscitent le respect de ses collaborateurs, ainsi que la sympathie du public. Mais c’est bien son sens de l’interprétation qui enchante ceux ayant la chance de le voir se produire.

J.B. Lenoir – I Feel So Good

S’inspirant du jeu épuré de Lightnin’ Hopkins, J.B Lenoir est doté d’une voix peu commune fleuretant avec les aigus, à la manière de Robert Johnson ou Skip James. Il est également un des premiers à utiliser une guitare électrique de manière récurrente. Plus à même de servir ses textes politisés, il reviendra finalement à la guitare folk.

En effet, J.B se distingue par son engagement au point d’en faire le premier bluesman politique. Ce qui a bien sûr, pour effet de le maintenir dans l’ombre. Il prend position contre l’intervention américaine en Corée (I’m in Korea), puis au Vietnam…

J.B. Lenoir – Vietnam Blues

Militant téméraire pour la cause noire, il se voit contraint et forcé de transformer une chanson invectivant le nouveau président des Etats-Unis. Intitulée Eisenhower Blues en 1954, elle devient Tax Paying Blues lors de sa première publication.

J.B. Lenoir – Tax Paying Blues

Alabama Blues, l’un de ses titres phares, lui est inspiré par des actes ségrégationnistes ayant eu lieu dans l’État d’Alabama. En 1963, dans la ville de Birmingham, le Klu Klux Klan plastique une église, tuant au passage quatre fillettes noires. Deux ans plus tard, suite à une bavure policière, de grandes manifestations sont organisées entre la ville de Selma et Montgomery. Toutes sont entravées par des violences policières.

« Je ne retournerai jamais en Alabama, ce n’est pas un endroit pour moi 

Tu sais, ils ont tué mon frère et ma sœur, et ont laissé ces gens courir en liberté »

En 1965, J.B Lenoir, qui a lui-même perdu son frère, assassiné par la police du Mississippi, dresse un portrait peu reluisant, et sans métaphore, de cette région gangrenée par le racisme et la corruption.

J.B. Lenoir – Alabama Blues

J.B. possède un phrasé et un timbre envoûtant, comme sur ce morceau enregistré en 1966 en compagnie du compositeur Willie Dixon (choeurs). Dans le texte, il exprime à la fois son amour pour l’état qui l’a vu naître, et l’impossibilité d’y vivre sans danger pour un homme noir.

« Ils avaient une saison pour la chasse au lapin
Si vous lui tiriez dessus, vous alliez en prison
La saison était toujours ouverte pour moi
Personne n’avait besoin de permis. »

Entre transe vaudou et blues contestataire, c’est tout le coeur du Mississippi qui semble battre dans ce titre brut. Malgré son côté rudimentaire, il fait partie des compositions les plus fortes de J.B. Lenoir.

J.B. Lenoir – Down in Mississippi

Totalement indifférent à la couleur de peau, J.B Lenoir laisse un souvenir marquant à de nombreux jeunes musiciens auxquels il prodigue ses conseils. Tous ceux qui l’ont côtoyé en conviennent, en plus de son talent, il émanait de cet homme une telle empathie, qu’il avait hérité du surnom de “Father King”. Il possédait également une légère ressemblance physique avec le pasteur Martin Luther King.

J.B Lenoir – Feeling Good

Le destin d’un poète maudit

Ses textes engagés l’empêchent de prospérer durant les années 50, et sont tout près de le faire disparaître lors de la décennie suivante. Heureusement, l’ère du Swinging London célèbre généreusement les piliers du blues. En 1965, J.B. Lenoir refait surface dans l’American Folk Blues Festival.

J.B. Lenoir

En avril 1967, il est victime d’un accident de voiture. Souffrant de graves lésions à l’abdomen, il est pourtant libéré dès le lendemain par le personnel d’un hôpital de l’Illinois. Il succombe à ses blessures trois semaines plus tard. Il avait 38 ans.

Tous ses albums existant sont posthumes, il n’a publié que des singles. L’enregistrement d’une session acoustique datant de 1966, et intitulé Down in Mississippi constitue un véritable trésor.

J.B. Lenoir – Down in Mississippi (album complet)

Quelques mois après sa mort, John Mayall lui consacre un vibrant hommage sur son album Crusade en compagnie de ses Bluesbreakers. Il réitère la chose deux ans plus tard sur le titre I’m Gonna Fight For You J.B (Turning Point).

John Mayall & The Blues Breakers – The Death of J.B Lenoir

Par la suite, de nombreux artistes prestigieux, tels que Jimi Hendrix, Stephen Stills, Bob Dylan, Neil Young, Eric Clapton, ou encore Ben Harper, revendiquent son influence.

The Soul of a Man

A la fin des sixties, le futur réalisateur Wim Wenders (Paris Texas, Buena Vista Social Club) est encore un jeune étudiant. Fan de John Mayall, il écoute les titres dédiés à J.B Lenoir, se demandant qui peut bien être cet homme.

En 2002, dans le cadre de son documentaire The Soul of a Man (série The Blues, A Musical Journey créé par Martin Scorsese) il souhaite consacrer une large place à Blind Willie Johnson et Skip James, ainsi qu’au fameux J.B. Lenoir. On vient juste de découvrir des images inédites du musicien, tournées au début des années 60 par un couple d’étudiants suédois. Wenders décide d’aller s’entretenir avec eux.

J.B. Lenoir
Le couple Seaberg et J.B Lenoir

Il découvre que non seulement ils étaient des adeptes de ses concerts, mais qu’ils entretenaient également des rapports très amicaux avec J.B Lenoir. Ils détiennent d’ailleurs un deuxième film, qu’ils ne sont jamais parvenus à faire diffuser en Suède. Ravis que l’on s’intéresse enfin à leur idole, ils permettent à Wim Wenders d’utiliser les images pour son documentaire. La légende de J.B. Lenoir est enfin rendue publique.

Serge Debono

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