Otis Redding était l’un des plus grands interprètes des sixties. Le seul capable d’inciter le Rock et la Soul à se serrer la main, dans une époque charnière et délicate. Mais le sort en a décidé autrement…
Comme James Brown, Otis Redding est originaire de Georgie. Il a grandi à Macon, une ville qu’il s’est efforcé d’apprivoiser comme on apprivoise un public. Avec la musique. Son père était révérend et comme la plupart des artistes noirs de sa génération, Otis s’est éveillé à la musique sur des cantiques.
Forcé de quitter l’école très tôt pour aider sa famille, il se fait engager comme batteur à l’église, et accompagne les groupes de gospel le dimanche. C’est alors qu’il rencontre Johnny Jenkins. Le guitariste gaucher est célèbre dans la région pour ses shows novateurs. On raconte d’ailleurs que durant son adolescence l’idée de jouer avec les dents serait venue à Jimi Hendrix en assistant à un de ses concerts. Quand Otis Redding fait sa connaissance, il n’a que 18 ans, et Jenkins est alors leader du groupe Pat Teacake’s Band. Il forme ensuite The Pinetoppers, et engage le jeune homme au physique de boxeur comme… chauffeur !
De Macon à Monterey
Durant les séances de répétition, Otis profite sagement de la musique. Quand un jour, Jenkins et ses acolytes délaissent le studio pour aller déjeuner. C’est ainsi que démarre la légende…
Le jeune Otis se saisit d’un micro et se met à chanter “Hey Hey Baby !”. Dans la cabine, Joe Galkin, producteur pour Atlantic Records, n’en croit pas ses oreilles. Il met les magnétos en route pendant que Otis enchaîne :
“ These arms of mine… they are lonely… lonely and feeling blue…”
Otis Redding – These Arms of Mine
Au début des années 60, les artistes noirs sont encore contraints d’évoluer sur le Chitlin’ Circuit (réseau pour les artistes Afro-américains du Sud, de l’Est et du Mid-West). De ce fait, ils restent étiquetés « black music ». Leur diffusion se limite à certaines régions et stations de radio, ce qui freine considérablement leur popularité. En bon apôtre de la deep soul, Otis Redding & The Bar Kays étaient destinés à suivre le même chemin…
Fort heureusement, il y eut « These arms of mine ». Car ce sont bien les balades du soul man qui ont fait son succès. « Pain in my heart », « I’ve been loving you », « Dreams to remember », « Try a little tenderness »… Son intérêt pour les autres genres également, Otis n’hésitant pas à reprendre des standards de blues et de rock’n’roll comme Day Tripper (The Beatles) ou Satisfaction (The Rolling Stones)…
Otis Redding – (I can’t Get no) Satisfaction
Au Festival de Monterey, en juin 1967, Otis est l’une des grandes sensations avec Janis Joplin et Jimi Hendrix. Il est programmé juste après The Jefferson Airplane et Booker T. Mais selon sa femme (Zelma) et ses collaborateurs, Otis se fichait éperdument de l’ordre de passage. Il était tellement fier que sa musique soit reconnue qu’être présent au premier Festival Pop de la planète, suffisait à son bonheur. Si jeune (26 ans), et si sage à la fois…
Otis Redding – Shake (Monterey Pop Festival – 17 juin)
Reconnu de son vivant, loué après sa mort
Sa voix est un véritable phénomène, touchant les plus jeunes comme les adeptes de soul et de rythm & blues. Un joyau exprimant les tourments de l’âme et de l’amour.
Durant la même année 1967, Otis Redding est élu chanteur international de l’année par le Melody Maker, détrônant le King Elvis Presley. Même James Brown n’avait encore jamais réalisé cet exploit. Le journal anglais est une référence, et même si Otis aurait souhaité acquérir la même crédibilité dans son propre pays, cette récompense sera une nouvelle source de fierté.
Otis Redding – Try a Little Tenderness
Son capital sympathie n’est pas négligeable. Otis est simple, attachant et sincère, on ne peut faire autrement que de l’aimer. Surnommé King Otis, The Big O, ou Mister Smile en coulisse, la presse l’affuble pourtant du surnom de Mister Pitiful (le pitoyable). Cela lui inspire un de ses rares textes cyniques. Mais comme toujours avec Otis, amour et douceur prédominent, puisqu’il en profite pour déclarer sa flamme… à son public !
Otis Redding – Mr Pitiful
Otis Redding vouait une admiration sans bornes à Sam Cooke. Ce dernier étant décédé (1964) au moment où la carrière d’Otis prenait son envol, il insista pour lui rendre hommage par le biais d’une reprise, sur chacun de ses albums. Comme lui, au moment de son accident, il était en passe de devenir le premier chanteur afro-américain à toucher un large public (mainstream). D’ailleurs, Otis obtiendra son meilleur classement avec le célèbre Dock of the Bay, paru en 1968, juste après sa disparition. Ce n’est qu’à ce moment-là, que sa qualité d’interprétation sera unanimement reconnue aux Etats-Unis.
Otis Redding – (Sittin’ On) The Dock of The Bay
Quand Otis et son groupe The Bar-Kays ont eu ce terrible accident sur le lac Monona, sa famille, ses amis, ainsi que de nombreux fans de part le monde, ont pleuré leur tragique disparition. Mais la mort d’Otis a également bouleversé les gens du métier. Il n’y avait pas moins de 4000 personnes à son enterrement, dont d’illustres personnalités de la musique noire comme James Brown, Jackie Wilson, Solomon Burke ou Sam and Dave. Sans compter les prestigieux témoignages d’affection et d’admiration de Bob Dylan, Janis Joplin, des Beatles ou des Rolling Stones. Jim Morrison lui a même dédié un poème, qui fut égaré, et reste aujourd’hui introuvable. En revanche, ce titre des Doors paru sur leur album The Soft Parade, est un hommage passé à la postérité…
“Poor Otis dead and gone, let me here to sing his song
Pretty little girl with the red dress on
Poor Otis dead and gone “
The Doors – Runnin’ Blue
Comme en témoigne son ami et manager Alan Walden, au delà de son immense talent, toutes les personnes qui ont connu Otis parlent de sa nature aimante et généreuse. Peu d’artistes ont laissé une telle image. Quand on pense à lui, c’est un visage souriant qui vient à l’esprit. Le visage de quelqu’un croyant chaque jour en un avenir meilleur, non seulement pour lui, mais aussi pour tous ses semblables, sans distinction de race ou de couleur. Le 10 décembre 1967, Otis Redding s’est éteint à l’âge de 26 ans, sur le lac Monona. Et ce n’est sans doute pas un hasard, si en langue indienne, Monona signifie “magnifique”.
Serge Debono