Electric Ladyland, une prise directe avec la planète Hendrix

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L’acmé du divin gaucher et la fin d’un grand trio

Electric Ladyland

Electric Ladyland, acétate généreux de seize titres publié en octobre 1968, est bien plus qu’un double-album. Pour certains, il représente l’acmé de la musique psychédélique. Pour d’autres, c’est le plus grand opus rock de tous les temps. Dans tous les cas, il constitue le chapitre final de The Jimi Hendrix Experience, power trio flamboyant formé à Londres en 1966. Sa faculté à transporter l’auditeur dans une autre dimension confirme le génie de Jimi Hendrix en tant que compositeur, et révèle au passage son talent méconnu de producteur.

The Jimi Hendrix Experience – Gypsy Eyes (Electric Ladyland)

Nous sommes au printemps 1968. Le Summer of Love est déjà loin mais le courant psychédélique entraîne toujours le rock vers des terres inconnues. Avec Jimi Hendrix en chef de file.

Après son passage tonitruant au Festival de Monterey et la publication de ses deux premiers opus, le révélateur Are You Experienced et le prodigieux Axis Bold as Love, la machine business s’est inévitablement enclenchée. Un machine huilée sans relâche par le producteur Chas Chandler et le manager Mike Jeffery. Conscients d’être tombés sur la poule aux œufs d’or, les deux hommes ne font pas grand cas d’un Jimi éreinté et désenchanté. Ce dernier consomme de plus en plus d’alcool, et délivre chaque soir des prestations moins enthousiastes.

Electric Ladyland (article)
Jimi & Johnny Winter

Pourtant, le divin gaucher est d’une créativité insatiable, l’incitant à passer ses journées en studio, et ses nuits dans les clubs. Là où il peut laisser libre cours à ses envies, nouvelles compositions et improvisations, au lieu de rabâcher les mêmes titres pour un public déjà conquis. L’entendre jouer Hey Joe et Purple Haze, et le voir mettre le feu à sa guitare, voilà ce que le public réclame.

Seule la muse compte

Jimi, lui, souhaite faire évoluer sa musique. Et pour cela, il possède deux alliés de choix. Les ingénieurs du son Eddie Kramer et Gary Kellgren.

Electric Ladyland

L’approche semi-conceptuelle de Axis Bold as Love avait déjà presque ringardisé le légendaire Sergent Pepper’s des Beatles. Ceux qui voulaient le voir comme un guitariste bourrin et essentiellement spectaculaire ont pris une sacrée claque.

Le génial guitariste a déjà repoussé les limites du blues et du rock, mais souhaite emmener son public plus loin encore. Dans un monde merveilleux où la musique est reine, et dont il est le seul à connaître le chemin. Comme sur l’album précédent, dès l’entame, il nous ouvre les portes d’une expérience inoubliable.

The Jimi Hendrix Experience – And The Gods Made Love

The Jimi Hendrix Experience – Have You Ever Been (to Electric Ladyland)

L’extase et la sérénité béate émanant de cette douceur sont inspirées par Curtis Mayfield. En particulier le chant et la guitare. Rien d’étonnant, le leader des Impressions est sans doute le guitariste ayant le plus influencé Jimi dans sa démarche. Mettant du groove dans son blues, et de la féérie dans son rock.

Oui, Electric Ladyland est un genre de pays imaginaire. Mais il n’est qu’un refuge, duquel on peut s’extraire. Ne serait-ce que pour se plonger à nouveau dans la jungle inspirante des grandes villes. Le phrasé a un avant-goût de rap, les chœurs sont clairement soul. Quant au riff de guitare, il portera bientôt l’étiquette “hard rock”…

The Jimi Hendrix Experience – Crosstown Traffic (Electric Ladyland)

Le quintessentiel Voodoo Chile (blues) est enregistré le 2 mai 1968 dans les studios Record Plant (New York).

Comme je vous le disais, Jimi a conservé ses habitudes de musicien amateur, en allant jammer presque chaque soir dans les clubs de la ville qui ne dort jamais. Un soir à Manhattan, dans le club The Scene, accompagné de Mitch Mitchell (son batteur au sein de l’Experience), il retrouve ses amis Jack Casady et Steve Winwood, respectivement bassiste du Jefferson Airplane et claviériste du groupe Traffic.

Les quatres hommes improvisent un blues lascif et débridé. Le riff de Jimi est pesant, et d’une rare intensité sexuelle. Le vaudou a décidé de supplicier son electric lady. Quant à Steve Winwood, sur son orgue Hammond, il tutoie les anges.

Le blues de l’enfant vaudou

Détournant des paroles de Muddy Waters, Jimi évoque sa naissance avec un lyrisme fabuleux et un onirisme obscur. Ajouté à l’instrumental dantesque, il vient nourrir la légende de Jimi l’enfant vaudou…

« Well, the night I was born
Et bien, la nuit où je suis né
Lord I swear the moon turned a fire red.
Seigneur je jure que la lune a viré au rouge flamboyant
Well my poor mother cried out  » Lord, the gypsy was right ! « 
Et puis ma pauvre mère s’est écriée : « Seigneur, le Gitan avait raison !  »
And I seen her, fell down right dead “
Et je l’ai vue s’écrouler raide morte

Le texte est librement inspiré de Catfish Blues (de Robert Petway), et donc de Rollin’ Stone (son adaptation par Muddy Waters). Ainsi que par un vieux standard de delta blues, Rollin’ and Tumblin’. Dans le titre le mot « Chile » ne fait pas référence au pays le plus longiligne d’Amérique du Sud comme certains ont pu le penser. Il représente juste une version argotique de « Child », afin de le différencier du célèbre Voodoo Child (Slight Return), titre clôturant l’album

L’engouement de chaque participant pour cette impro de blues pousse Jimi à la mettre sur bande. Vers 7h00 du matin, ils déboulent tous les quatre au Record Plant, et couchent le morceau en trois prises. Jimi livre ici son titre le plus long enregistré en studio. Quinze minutes d’un trip blues dont on ne ressort pas indemne, et qui figure parmi ses plus grandes créations.

“Well, mountain lions found me there waitin’
Les pumas me trouvèrent ainsi à attendre
And set me on a eagles back
Et m’installèrent sur le dos d’un aigle
He took me past to the outskirts of infinity,
Il m’emmena aux confins de l’infini
And when he brought me back,
Et quand il me ramena
He gave me Venus witch’s ring
Il me donna l’anneau magique de Vénus
And he said « Fly on, fly on »
Et il me dit « Envole-toi, envole-toi »

The Jimi Hendrix Experience – Voodoo Chile (Electric Ladyland)

Deux chefs d’oeuvre en deux jours ! Deux chefs d’oeuvre portant le même titre, ou presque. Voodoo Child, avec un D, et sa célèbre intro jouée à la pédale wah wah, est enregistrée le lendemain du blues épique que nous venons d’écouter. Un titre sauvage inspiré du premier, et qui va grandement nourrir la légende du guitariste.

Voodoo Child (Slight Return)

En cette année 68, l’inspiration de Jimi semble intarissable. Il dort peu, se nourrit mal, mais délivre une nouvelle composition presque chaque jour. Voir deux. Dans la matinée du 3 mai, après avoir mis en boîte son blues de quinze minutes, Jimi traine au studio et triture un riff à la wah wah. Toujours sur le thème de l’enfant vaudou, il ajoute ces paroles :

“Je me tiens près d’une montagne
Et je la coupe en deux avec le tranchant de la main
Je ramasse tous les morceaux et je fais une île
Parce que je suis un enfant vaudou
Dieu sait que je suis un enfant vaudou…”

En cette période, totalement fasciné par la culture blues du sud des Etats-Unis, et donc par le culte vaudou, Jimi semble vouloir renouer avec ses racines, et surtout celles de la musique qui anime son âme depuis toujours. Seulement, il ne souhaite pas participer au pillage alors opéré par les groupes de rock anglais. Il est fan de Muddy Waters, mais il souhaite faire son propre truc. Dans son esprit, tout va très vite, et lorsque Noel Redding et Mitch Mitchell se pointent au studio dans l’après-midi, la version rock de l’enfant vaudou sommeille déjà en lui.

Le problème c’est que lorsque ce ne sont pas les amis de Jimi qui envahissent le studio, c’est une équipe de tournage de la chaîne ABC. Ces derniers souhaitent observer le groupe en pleine composition. Mitch et Noel sont un peu décontenancés, Jimi sourit. Il indique un blues en Mi à ses partenaires, et commence à faire couiner sa Fender. Après avoir propulsé le blues dans une autre dimension, c’est le rock’n’roll qui fait un pas de géant.

The Jimi Hendrix Experience – Voodoo Child (Electric Ladyland)

Vous l’aurez compris, le champ des possibles de Jimi Hendrix est infini. Lorsqu’il tombe sur Come On (Let the Good Times Roll), titre blues de Earl King, Jimi n’a que 19 ans. Très vite, il prend l’habitude de le jouer dans les clubs, notamment le fameux Spanish Castle Magic (près de Seattle). Au fil des ans, il s’est mis à augmenter le tempo pour en faire un titre rock. Comme il l’a déjà effectué précédemment avec le titre Hey Joe (Billy Roberts) et le fera avec All along The Watchtower (Bob Dylan), Jimi possède cette faculté de remanier un titre inconnu pour en faire une composition majeure et incontournable.

The Jimi Hendrix Experience – Come On (Let The Good Times Roll)

En écoutant Electric Ladyland, on pourrait croire que cet album parfait a vu le jour dans les meilleures conditions. Bien au contraire. Le torchon brûle entre Jimi et son bassiste. Les divergences avec Noël Redding sont présentes depuis le début de l’aventure. En 1968, elles deviennent pesantes et commencent à sérieusement miner le trio. Le bassiste passe d’ailleurs le plus clair de son temps au sein des Fat Mattress, son nouveau groupe, pendant que Jimi refait lui-même ses lignes de basse.

Quant au producteur Chas Chandler, ancien membre des Animals, il est poussé dans ses retranchements par son poulain. En effet, Jimi n’est pas dupe, ill ne souhaite pas devenir un produit remplissant les poches de son producteur, et doit se libérer de son formatage.

Jimi et Chas Chandler

Alors il joint l’utile à l’agréable et invite régulièrement amis, confrères et hippies lambda à venir l’écouter au studio. Jimi obtient ce qu’il souhaitait, Noel Redding se fait rare, et Chas Chandler jette l’éponge, laissant le guitariste devenir son propre producteur.

“Ils pensent tous tellement à leur carrière et à leur avenir. Je m’en fous complètement, moi, de mon avenir ou de ma carrière. Je veux juste être sûr de pouvoir sortir ce que je veux.” Jimi Hendrix

La ballade Burning of The Midnight Lamp, célèbre pour son riff mélodieux exécuté avec une pédale wah wah, est le dernier titre produit par Chandler. Ecrite un an plus tôt par Hendrix, sa maison perdue dans le désert est une métaphore de la solitude ressentie par le guitariste face à l’incompréhension de sa production. La lampe de minuit est un phare, qu’il rallume chaque soir, afin de ne pas se perdre dans les méandres du show business…

The Jimi Hendrix Experience – Burning of The Midnight Lamp

L’une des grandes prouesses réalisées sur l’album Electric Ladyland par Jimi Hendrix et son équipe, est de ne pas noyer les compositions dans la sophistication excessive. Malgré une production très moderne, des mille feuilles de guitare, des effets de chorus, de phasing et de flanging totalement révolutionnaires, Jimi tient à conserver un peu de l’authenticité de ses prestations scéniques.

Rainy Day, Dream Away (Electric Ladyland)

Bob Dylan publie All Along The Watchtower en single le 22 novembre 1968, mais comme souvent, le succès n’est pas au rendez-vous. Pourtant, sa version comporte déjà une rythmique obsédante, un harmonica plaintif, et une histoire des plus intrigantes. En effet, cette dernière est narrée à l’envers par son auteur. Un récit anti-chronologique qui démarre donc par la fin, et se termine par le début.

D’un génie à l’autre

En 1968, durant l’enregistrement de l’album Electric Ladyland, Jimi Hendrix choisit ce titre comme single porteur de son chef d’œuvre. Avec ses influences andalouses, sa partie solo ébouriffante, et sa production révolutionnaire, il en fait un véritable standard de l’histoire du rock que beaucoup tenteront de reprendre. Bob Dylan lui-même, admiratif, s’efforcera de livrer sur scène une version proche de la sienne.

Une histoire de relais que l’on retrouve dans le texte. (Pour plus de détails, lire l’article Deux génies pour un chef d’oeuvre).

 » Le long de la tour de garde,

Des princes observent,

Femmes et serviteurs aux pieds nus

Dehors, au loin, un chat sauvage gronde

Deux cavaliers approchent,

Le vent commence à hurler… »

All Along The Watchtower (Electric Ladyland)

L’exutoire de la scène, et le show de Monterey (1967) ont considérablement déformé l’image de Jimi Hendrix auprès du public. Souvent perçu comme un honnête compositeur, c’est son talent de soliste et ses tenues colorées qui ont fait sa renommée.

Pourtant, tout le génie de ce garçon réside dans sa capacité à mettre des sons et des notes sur les images peuplant son imaginaire nourri de légendes et de science-fiction. Le plus grand talent de Jimi Hendrix réside dans la composition.

Hendrix, l’auteur

Le titre 1983 constitue un genre d’oeuvre ultime. Après le départ de son producteur, Jimi ouvre la boite de Pandor contenue dans son esprit, et laisse filtrer ses rêves les plus fous. Usant déjà fréquemment de métaphores sur l’eau et le sable, il souhaite évoquer l’univers des océans en musique, afin d’illustrer un rêve, un fantasme. Pour échapper à la productivité, aux cadences infernales qu’on lui impose, ainsi qu’à la menace d’une guerre atomique, Jimi imagine que dans le futur, l’homme retournera à l’état aquatique. Il se rêve en Atlante, parcourant les fonds marins, et nageant en compagnie de sa chère Caterina… pour toujours. Sur cet album, au moins deux titres sont inspirés par l’idylle qu’il vit avec Kathy Etchingam (Gypsy Eyes et 1983).

Jimi Hendrix & Kathy Etchingam

L’écho d’un sonar, le cri des mouettes, et une quantité phénoménale d’outils technologiques viennent servir un lyrisme de toute beauté. Plus qu’un titre rêveur ou halluciné, 1983, A Merman I Should Turn to Be, est une porte ouverte sur la planète Hendrix.

“Les étoiles de mer et les mousses géantes
Nous accueillent avec un sourire.
Avant que nos têtes ne coulent,
Nous jetons un dernier regard
Au bruit meurtrier
Du démodé…”

1983 (A Merman I Should Turn to Be)

En apparence, Jimi semble avoir pris le contrôle. Du moins sur ses créations. Car il se doit de respecter un contrat léonin l’obligeant à cumuler les dates de concert, et reste dépendant de son manager (et dealer) Mike Jeffery.

Mike Jeffery

D’autre part, concernant le visuel de ses pochettes (élément important en 1968), les divergences demeurent avec Track Records, son label anglais…

La pochette de l’album Axis Bold as Love possèdait un certain esthétisme en accord avec son époque mais n’était pas le choix de Jimi Hendrix. Il pensait que faire de lui une icône hindouiste était stupide et irréspectueux.

Une pochette controversée

Afin d’éviter une nouvelle déception, pour illustrer Electric Ladyland, Jimi choisit une photo du groupe prise à Central Park (NY) par Linda Eastman (future Linda McCartney). Elle présente Jimi Hendrix, Noël Redding et Mitch Mitchell, assis avec des enfants devant la statue de Alice aux Pays des Merveilles.

Electric Ladyland

Un choix peut-être trop sage, mais cohérent. En effet, le roman de Lewis Carroll a considérablement influencé les héritiers de la Beat Generation, et donc le courant psychédélique. Au final, un choix complètement ignoré par Track Records, qui sans même consulter Jimi, opte pour une pochette sulfureuse et hors sujet. Le photographe David Montgomery est envoyé dans un bar clandestin afin d’effectuer des clichés de 19 prostituées assises nues sur le sol. Comme pour rappeler à Jimi qu’il n’est pas totalement libre, l’une d’entre elles tient dans ses bras la pochette de Axis Bold as Love

Electric Ladyland

Sur le moment, Jimi enrage lorsqu’il voit le résultat final. Il confiera plus tard au magazine Rolling Stone “l’aimer quand même”. D’ailleurs, cette pochette n’est diffusée qu’au Royaume-Uni. Barclay et le reste de l’Europe bricolent un autre visuel avec une photo de Alain Dister. Aux Etats-Unis, le label Reprise Records ignore également l’avis de Jimi, plus encore les poitrines dévoilées en Angleterre, et applique sur Electric Ladyland une photo arty réalisée par Mike Ferris. Cette pochette perdurera sur la réédition CD.

Electric Ladyland

Il faudra attendre le 50ème anniversaire de sa sortie et l’année 2018, pour voir enfin la photo choisie par Jimi ornée la pochette de Electric Ladyland.

Publication le 16 octobre aux Etats-Unis, le 25 dans le reste du monde

Porté par le single All Along The Watchtower paru en septembre, l’album Electric Ladyland connaît un succès rapide. Il grimpe à la première place du Billboard 100 en l’espace d’un mois. Si le trio est un phénomène à voir absolument sur scène, leur soudaine popularité prend tout le monde de vitesse. Jimi devient une véritable icône pop. Même si le départ de Noêl Redding sonne la fin du Jimi Hendrix Experience.

En 1967, il avait fallu l’intervention de Paul McCartney et John Lennon pour les voir figurer au programme du Festival International de Monterey. Au mois d’août 1969, c’est dans le costume de la star la mieux rémunérée que se présentera Jimi Hendrix au Festival de Woodstock.

Serge Debono

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