Une exploration du courant acid-rock
En août 1968, Jefferson Airplane publie Crown of Creation, son quatrième album. Après trois exercices réussis (Takes Off, Surrealistic Pillow et After Bathing at Baxter’s), celui-ci fusionne leurs différentes explorations, et bien que dénué de tubes, devient une référence du courant acid-rock pour la jeunesse californienne.
A cette époque, l’Airplane jouit d’une certaine crédibilité, et peut laisser libre cours aux différentes inspirations émanant de chacun de ses membres.
Jefferson Airplane – If You Feel
Les idées et les suggestions de l’éminent bassiste Jack Casady et du batteur Spencer Dryden, sont enfin prises en compte. Même s’ils n’apparaissent quasiment pas dans les crédits (hormis un court instrumental signé par Dryden sur la première édition).
Les guitaristes Paul Kantner et Jorma Kaukonen jouent un rôle crucial dans l’élaboration de ce quatrième opus. Ils viennent élargir le registre fourni par le duo de compositeurs Slick/Balin. Du rêve hippie, à l’espace intersidéral…
Jefferson Airplane – Star Track
Les compositions sont moins brutes, les arrangements soignés, et on peut sentir que le groupe, toujours aussi inspiré, gagne en maturité. Une aubaine pour Marty Balin qui trouve là un tapis soyeux sur lequel poser sa voix douce et dérouler ses mélodies envoûtantes. D’autant que Jefferson Airplane ne sombre pas dans une pop aseptisée. Si le son chaleureux du rock-garage et les saillies de guitares psychées sont moins présents, ils n’ont pas totalement disparus…
Jefferson Airplane – Share a Little Joke
A l’instar de Debbie Harry avec le groupe Blondie, le physique attrayant de la chanteuse est souvent le premier cité lorsque que l’on évoque le Jefferson Airplane. Pourtant Grace Slick possède d’autres atouts. Notamment une plume intelligente et inspirée.
Ce titre raconte comment le jour de ses 30 ans, le prénommé Lather, handicapé mental, voit son entourage lui supprimer ses jouets et tout ce qui peuplait son imaginaire d’enfant.
L’instrumental harmonieux mais parfois étrange vise à recréer la perception du personnage. Grace Slick écrit le texte avec une certaine tendresse baignée d’ironie, pour les 30 ans de Spencer Dryden, batteur de Jefferson Airplane. Un titre splendide qui aurait sans doute du être publié en 45T. Seulement, en 1968, le handicap mental est encore considéré comme un sujet tabou.
Jefferson Airplane – Lather
Le son de Jefferson Airplane devient plus sophistiqué sans pour autant délaisser l’émotion. Ce nouvel ouvrage brille également par sa finesse de composition et sa diversité de genre.
Son aspect abouti résulte essentiellement d’une maturité acquise sur la route, au fil des concerts. Avec des sessions étalées sur six mois, ce que le groupe perd en spontanéité, il le gagne en expérience.
Jefferson Airplane – In Time
Il faut également saluer le travail de l’ingénieur et producteur Al Schmitt. Crown of Creation est un album doux à l’oreille. On navigue en toute sérénité sur les flots d’un esprit émerveillé par les fulgurances du LSD, et la beauté de l’amour partagé. Grace Slick cajole et intrigue sur des ballades hypnotiques aux arrangements vaporeux. Comme sur ce titre sublime, signé par un proche du groupe. Le compositeur et folk-singer David Crosby…
Triad
Au final, Crown of Creation est un album plus structuré que le précédent. Subtil alliage de folk et de rock psyché, il offre à nouveau de somptueuses mélodies et un univers fait d’introspection et d’onirisme.
Titre signé par la chanteuse, Greasy Heart n’est pas vraiment taillé pour les ondes. Comme le titre éponyme (Crown of Creation), sa sortie en single fait peu de bruit. Mais qu’importe. L’année 67 a instigué le culte de l’album, du 33 tours. Les stations de la nouvelle radio FM américaine diffusent fréquemment ce quatrième opus. Avec sa pochette présentant le groupe incrusté dans un champignon atomique, il décolle et grimpe à la 6ème place du billboard américain.
Crown of Creation
Ce nouveau succès a un effet débridant sur les membres du groupe. En particulier sa chanteuse…
« Jerry Garcia et les Grateful Dead ont fait autant pour l’humanité que n’importe quel président. »
Grace Slick
Durant la deuxième partie des années 60, Grace Slick est une figure emblématique de la mouvance san franciscaine, militant pour la paix au Vietnam, et prônant l’usage du LSD en tant que révélateur de conscience. La copine de Janis Joplin brille également par sa voix de contralto et son charisme de prêtresse.
Le trip raté de Grace Slick et Richard Nixon
Grace Slick possède également une forte personnalité, et une audace peu commune. Au point de tenter d’ouvrir les yeux d’un certain Richard Nixon (président des Etats-Unis d’Amérique de 1969 à 1974)…
Ayant étudié dans la même école que Tricia Nixon (fille du président), en 1969 Grace est invitée, ainsi que d’autres étudiants, à prendre le thé à la Maison Blanche. La chanteuse décide de s’y rendre en compagnie du militant anarchiste Abbie Hoffman, également fondateur du Youth International Party.
Évidemment, la perspective de prendre le goûter dans les jardins présidentiels ne les intéresse guère. Ces deux contestataires ont une autre idée en tête. Se faire un trip avec le chef d’état, dans l’espoir de le convertir à leur cause anti-militariste. Grace Slick entre donc dans la demeure de Washington équipée de 600 microgrammes de LSD qu’elle souhaite glisser discrètement dans le thé de Richard Nixon.
L’expérience n’aura jamais lieu, puisque deux agents de sécurité reconnaissent le visage de la chanteuse. En effet, à cette époque, le FBI a placé le Jefferson Airplane sur sa fameuse liste noire, avec la mention “textes de chansons suspects”. On imagine aisément le triste sort réservé aux deux militants s’ils avaient pu mener le projet à son terme.
Serge Debono