Bang Bang (My Baby Shot Me Down) une balle signée Sonny Bono

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Les deux vies d’une grande composition

Comme la majorité des grands standards, le titre Bang Bang possède sa propre histoire. Nous sommes à Los Angeles, en février 1966. Malgré l’énorme succès obtenu par le single I Got You Babe, la chanteuse Cher a encore toutes ses dents et son visage d’origine. Quant à Sonny Bono il n’est pas encore devenu un politicard réactionnaire…

Bang Bang

L’année précédente, alors au sommet de leur popularité, Sonny & Cher classent pas moins de cinq titres dans le Top 20 américain. Laissant la lumière des projecteurs à son épouse, Sonny Bono va se consacrer durant un temps aux albums solos de la chanteuse.

Le mystère Bang Bang

Après avoir travaillé pour Speciality Records dès la fin des années 50, où il coécrit le titre She Said Yeah pour Larry Williams (plus tard repris par les Rolling Stones), il vit sa période la plus créative durant les sixties au sein de la maison Atlantic.

Entre les deux hits I Got You Babe et The Beat Goes On, surgit le fabuleux et mystérieux Bang, Bang (My Baby Shot Me Down)

“Bang bang, he shot me down
Bang bang, I hit the ground
Bang bang, that awful sound
Bang bang, my baby shot me down”

Si j’évoque un mystère, c’est que rarement un standard aussi mélancolique aura suscité tant de fascination. Il faut dire que les paroles aussi bien que l’instrumental (quelle que soit la version) ont de quoi intriguer.

Le texte écrit par Sonny Bono, et interprété par Cher, évoque la fin d’une relation amoureuse. Les deux protagonistes se connaissent depuis l’enfance.

“I was five and he was six
We rode on horses made of sticks
He wore black and I wore white
He would always win the fight”

La grande singularité du titre est de faire un parallèle entre leurs jeux d’enfants où le garçon se déguisait en cow-boy et mitraillait (pour de faux) la petite fille avec son pistolet en plastique, et leur récente rupture vécue par cette dernière comme une petite mort. La souffrance l’incite à porter un regard nostalgique sur l’enfance et ses jeux futiles.

“Seasons came and changed the time
When I grew up, I called him mine
He would always laugh and say
“Remember when we used to play”

L’instrumental a connu bien des variations au gré du temps, et de ses interprètes. L’original composé et produit par Sonny Bono possède la particularité de sonner comme un orchestre tzigane. La gamme utilisée sur la partie guitare le confirme, les violons ne laissent aucun doute. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de faire le lien entre les origines siciliennes de Sonny Bono, et le faux air de tarentelle présent sur le titre. D’ailleurs, il existe une similarité troublante entre le thème développé par Nino Rota pour le film Le Parrain (FF Coppola), et l’introduction de Bang Bang

Cher – Bang Bang (My Baby Shot Me Down/1966)

Énorme tube de l’année 1966, en Angleterre et aux USA, le titre Bang Bang est très vite repris par Nancy Sinatra. Bonifié par le trémolo du guitariste Billy Strange, il figure sur le deuxième album de la chanteuse, How Does That Grab You ?, produit par l’excellent Lee Hazlewood.

L’écho divin de Nancy Sinatra

Cette version épurée, dans laquelle l’écho de la voix élégante et sensuelle de la chanteuse est soutenue par une simple guitare électrique chargée de reverb, possède un genre de beauté céleste, irrésistible, et semblant échapper aux ravages du temps.

Bang Bang

Voilà pourquoi, même si elle n’est pas publiée en single, celle-ci finira par resurgir. 37 ans plus tard, en ouverture du premier volet de Kill Bill, film de Quentin Tarantino. Si le cinéaste s’est fait une spécialité d’exhumer les perles méconnues des années 60-70, quitte à les placer à des moments incongrus, ce choix s’accorde parfaitement avec son histoire de mariée suppliciée le jour de la cérémonie…

“Music played and people sang
Just for me the church bells rang”

En 2003, le succès du film et de la bande son est tel que la version de Nancy Sinatra en vient à éclipser l’originale.

Nancy Sinatra – Bang Bang (My Baby Shot Me Down/1966)

La Motown et le jeune Stevie Wonder ne tardent pas à déceler le potentiel du morceau. Le directeur de la firme, Berry Gordy, trouvant la composition trop sombre, insiste pour égayer le tout. Conséquence, des chœurs et des sonorités taillées pour le Christmas Day viennent tapisser le décor. Evidemment, reste l’interprétation de Stevie Wonder…

Stevie Wonder – Bang Bang (My Baby Shot Me Down/1966)

Cette balle transperçant le cœur d’une amoureuse a fait le tour du monde. Rien que la première année, on compte une quinzaine de reprises. Celle publiée en Angleterre par Petula Clark sonne comme une excellente bande originale de James Bond

Petula Clark – Bang Bang (My Baby Shot Me Down/1966)

La même année, Bang Bang est interprété par Sheila dans une version française assez monotone, pendant que Dalida se charge de populariser l’œuvre de Sonny Bono en Italie. Elle connaît également un succès retentissant en Argentine, où elle atteint la première place.

Dalida – Bang Bang (1966)

Le guitariste hongrois Gabor Szabo y applique son style mais garde le texte en anglais. Le yougoslave Dorde Marjanovic, lui, prend le risque de la langue slave, et ramène le titre à ses sonorités premières, celles des Balkans. Un an plus tard, la chanteuse bulgare Lili Ivanova en fera un succès en URSS.

Dorde Marjanovic (1967)

En 1967, Vanilla Fudge en propose une version totalement psychédélique, mais quelque peu grandiloquente. La version publiée par Terry Reid sur son premier album est d’un autre ordre…

Sur un instrumental sauvage, à tendance garage-psyché, le chantre le plus méconnu de cette période, exalte la douleur contenue dans le texte, en déforme le phrasé, pour le remodeler à sa convenance, entre envolée soul et rugissement proto-hard. Ultime prouesse, la guitare dissonante et les cris n’altèrent en rien le mystère et l’émotion contenus dans Bang Bang. Terry Reid embarque le titre vers les cieux dans une reprise unique.

Terry Reid (My Baby Shot Me Down/1968)

Frank Sinatra n’a pas toujours partagé les accointances de sa fille avec le courant sixties. Il reprend le titre à son tour, en 1981. Toute en sobriété, la version de The Voice possède quelque chose de très sombre, quasi funèbre…

Frank Sinatra (1981)

Peu de courageux en cette fin de 20ème siècle, à moins que le titre encore connu dans sa version d’origine (Cher) avant la sortie du film Kill Bill, soit devenu désuet.

Honneur aux braves. En ces années 80, seuls les pays asiatiques semblent s’intéresser au morceau. Et Bang Bang sonne plutôt bien dans la langue nippone. Le Japon était familiarisé au metal bien avant nous. Pas étonnant donc de retrouver un riff trasheux sur cette reprise, peut-être un peu datée, de Minako & The Wild Cats.

Minako & The Wild Cats (1989)

Comme je l’évoquais plus haut, la version de Nancy Sinatra est réellement devenue un tube en 2003, après la sortie du film Kill Bill dans les salles. Et un tube fait toujours des émules…

Isobel Campbell, chanteuse et violoncelliste écossaise, ne se fait pas prier. Dès 2003, l’ex-chanteuse de Belle and Sebastian en publie une version très fidèle sur son premier opus solo.

Isobel Campbell (2003)

Ayant fait l’impasse sur Sheila, je vous propose l’écoute de cette version française arrangée par Jacno. Sur fond de boîte à musique, Mareva Galanter livre une interprétation assez classieuse de Bang Bang.

Mareva Galanter (2006)

En 2007, de nombreuses versions de Bang Bang fleurissent un peu partout sur la planète. Murder by Death, originaire de l’Indiana, en livre une belle version acoustique. La pianiste Niia Bertino en extrait quelques variations jazz. Enfin, le groupe parisien Parabellum l’inscrit au cœur d’un rock acéré et très efficace.

Parabellum (2007)

En 2009, lors d’une tournée avec The Raconteurs, Jack White applique au morceau un traitement particulier. Une reprise originale et audacieuse…

The Raconteurs (2009)

Hormis le chant soulful de Terry Reid en 1968, on peut dire que le rhythm & blues a longtemps ignoré le fabuleux Bang Bang. Le groupe Monophonics, venu de San Francisco, répare cette injustice de fort belle manière.

Monophonics (2012)

Il faut bien le reconnaître, généralement, les reprises d’un standard ne vont pas en s’améliorant. Pourtant, en 2014, Lady Gaga réussit un vrai tour de force. Quelque temps avant sa disparition, Amy Winehouse avait entamé une collaboration avec Tony Bennett. Grande fan de la Diva Destroy, Lady Gaga propose au crooner de finir le projet. Des covers de standards dans un registre jazz. Sur Bang Bang, la nouvelle Diva de la Pop s’en sort remarquablement, et fournit la première grande reprise du genre. Ici en live…

Lady Gaga (Live – 2014)

Une fois n’est pas coutume, la dernière en date a de quoi enthousiasmer. Cette version de Caroline Polachek, artiste de pop expérimentale, voit le jour en 2022 sur la bande originale du film d’animation Minions : The Rise of Gru. Délicieusement soul, et définitivement trop courte…

Caroline Polachek (2022)

Comme vous l’aurez compris, si Sonny Bono a tiré le premier, nombreux sont les pistoleros et autres flingueuses à avoir empoigné la crosse de ce délice balistique. La détonation produite par le compositeur (décédé en 1998), marquant les esprits et transperçant les coeurs, a trouvé son écho dans de nombreux genres, jusqu’à faire de Bang Bang un titre incontournable.

Serge Debono

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