Hantise
On a pu découvrir récemment en ouverture des superbes concerts de Depeche Mode à Paris, l’Australienne Suzie Stapleton. Un choix pertinent car il faut dire que ses chansons au romantisme obscur, portées par une voix envoûtante collaient aux Black Celebrations des gars de Basildon. En trio, avec le bassiste Gavin Jay – un acolyte de Jim Jones – et le batteur Dave Collingwood, la chanteuse / guitariste à la Gibson noire approchait parfois les épopées débridées de Patti Smith, excusez du peu. Réalisé en 2020, mais bloqué par l’épidémie que l’on sait, son premier album We Are The Plague reparaît enfin par chez nous.
Suzie Stapleton – Song Of The Artesian Water Live At London (2018)
Suzie a vécu à Sydney et Melbourne. Elle a sorti deux EP en 2008 et 2012, avant de s’installer en Grande-Bretagne, à Brighton. Elle a ensuite été remarquée et recrutée à partir de 2014 par le musicien Cypress Grove pour participer au Jeffrey Lee Pierce Sessions Project, la plus que recommandable entreprise de réhabilitation du génial mais torturé créateur du Gun Club. Ce qui pose d’emblée l’univers de la chanteuse. Cette fois, pour ce premier opus, elle a travaillé avec le même bassiste, Gavin Jay et le batteur des Stranglers, Jim Macaulay. L’ingénieur du son, Dan Cox s’est occupé de la mise en ondes des 12 titres.
Après une courte intro instrumentale de fête foraine, l’ouverture éponyme, We Are The Plague, accapare immédiatement par son riff obsessionnel de fuzz bass, relayé par la batterie éclatée, les notes éthérées de la guitare, et surtout les vocalises, graves et amples de la Suzie. Le thème alterne faux calmes incantatoires et vraies explosions de rage où la chanteuse énumère nos merveilles et nos saloperies : « Nous sommes la peste, nous sommes l’infection, nous sommes l’amour aveugle… »
Suzie Stapleton – We are The Plague – Idem (2020 / 2024)
Avec Thylacine, l’évocation de l’extinction du tigre de Tasmanie, permet une longue dérive poétique. A trois, les musiciens excellent dans cette scénographie onirique, rappelant certains morceaux des premiers LP de Madrugada. Encore une fois, le chant de Suzie Stapleton n’y est pas pour rien, avec certes des réminiscences – comme l’on disait – de la Smith à Rimbaud mais aussi une rare profondeur.
Thylacine
Blood On The Windscreen – ce titre – et l’invitation amoureuse September s’affichent avec des tempos plus enlevés et des refrains qui vrillent la mémoire. Suzie manie avec habileté charmes et amertumes, arpèges délicats et accords fiévreux. Son jeu de guitare, sensible et inventif, s’avère d’ailleurs remarquable tout le long du disque et cherche la cousinade avec les pincements de cordes de son compatriote Hugo Race.
September
La suite de l’album nous entraîne dans une lente torpeur réverbérée entre rêveries et cauchemars. Oubliées les accélérations précédentes. Parfois seule – Don’t look Up, The River Song a capella -, parfois avec ses gars et Gareth Skinner au violoncelle – You Were There -, elle ralentit le rythme et raconte son spleen devant notre monde qui déraille.
Angel Speak
Ce recueil se clôt dans un dernier crescendo émotionnel – Silence In My Bones – et une ultime plainte apocalyptique – Negative Prophet -. Pour son premier essai, Suzie Stapleton a réussi une étonnante exploration de la hantise.
Silence In My Bones
Bruno Polaroïd
Suzie Stapleton – We Are The Plague / Label : Negative Prophet Records
Date de sortie : 16 Février 2024