[INTERVIEW] Fuzzy Grass : ”On aime bien ne pas trop se prendre au sérieux”

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”Pour cet album, on a organisé ces idées pour en faire une quête initiatique”

Fuzzy Grass, quatuor toulousain égaré à notre époque aurait été un groupe de légende, si il avait été actif dans les années 70 aux côtés de Led Zep, Black Sabbath, Cream et bien d’autres. Mais par chance, le groupe est ancré dans ce début de millénaire et il vient de sortir son 2ème album The Revenge Of The Blue Nut le 6 octobre dernier sur le label Kozmik Artifactz. Rencontre avec ses 4 prodiges du rock.

Fuzzy Grass devant le Bikini de Toulouse
Audric, Thomas, Laura et Clément. Photo par Blast Radius

Quelle est cette revanche de la noix bleue citée dans le titre de l’album ?

Fuzzy Grass : La Blue Nut, c’est un peu la personnification de notre musique, en lutte avec un passé fantasmé et révolu et une époque moderne où l’on peine à trouver notre place, mais dont on peut tirer le meilleur comme le pire. Le blues, le rock et le psyché sont toujours vivant, mais il faut les transformer, les actualiser sans les trahir. La “revanche”, c’est aussi la rage qui nous anime et nous pousse à nous dépasser. Et puis il y quelque chose de bêtement psychédélique, voir absurde, à mettre en scène un tel personnage. On aime bien ne pas trop se prendre au sérieux…

Avec ce nouvel opus, vous vouliez pousser le délire rock ‘70s encore plus loin ?

Fuzzy Grass : C’est dans la continuité du 1er album (“1971”, c’était déjà une référence claire à cette époque), qu’on avait déjà enregistré sur bande et mixé sur du matériel analogique vintage, donc on ne s’est pas vraiment posé la question comme ça. Le clip du single “Insight”, en mode “fond vert maison”, nous a tout de suite placé dans cette imagerie très 70’s, et on a eu envie de s’en inspirer pour la pochette, avec cet aspect collage qui était très utilisé dans le monde du psyché à cette époque.

I’m Alright, 2ème single de The Revenge Of The Blue Nut.

Qu’apporte l’électronique dans votre musique ?

Audric : Du bruit ! (rire) Blague à part, ça permet d’appuyer les sonorités psychédéliques qu’on cherche à explorer. Ces sons créent tout de suite une ambiance psychotrope qui participe à nous faire “triper”, et notre public avec …

Pour être vraiment raccord avec votre musique, vous avez enregistré vos 2 albums au Studio de la Trappe qui est un studio 100% analogique ?

Fuzzy Grass : Pour être exact, le 1er album a été enregistré au studio Swamp Land Records de Lo Spider mixé et masterisé par Triboulet au Studio de la Trappe. Cette première expérience nous a donné envie de produire le deuxième entièrement là-bas.

Le Studio de la Trappe se situe à Donneville, au sud de Toulouse. C’est un lieu incroyable, avec une régie tapissée d’appareils vintages mythiques, un enregistreur Tascam à bande 16 pistes pour les prises de son et même un Studer J37, un 4 pistes à bande et à lampes (le même que les Beatles utilisaient à Abbey Road !) que Triboulet utilise en fin de mix pour “pré-masteriser”. Et c’est vraiment magique, avec une brillance incroyablement douce et des bas-médiums d’une chaleur sublime ! Tout ce matériel confère un son inimitable et doté d’une personnalité unique qui colle parfaitement à notre musique.

studio de la trappe
Triboulet au Studio de la Trappe

L’influence de Led Zep et Black Sabbath est encore plus présente sur ce nouvel album ?

Fuzzy Grass : Pourtant, on a tout piqué a Aya Nakamura ! (rire)

Que dire… Ces influences ont toujours été présentes dans nos parcours individuels et dans notre pratique collective. Comme pour beaucoup, ces groupes sont nos inspirations premières, et certainement que les conditions d’enregistrement de cet album les ont faites ressurgir.
Mais il ne faut pas oublier tous les autres groupes moins connus qui nous influencent aussi, comme Cactus, Captain Beyond, Atomic Rooster, Iron Butterfly, Blood Rock et plus récemment Dewolff, Graveyard, El Perro ou Earthless… Et aussi les autres musiques qu’on écoute et qui nous aident à enrichir la notre.

Comment se compose une chanson chez Fuzzy Grass ?

Fuzzy Grass : Sur Chat GPT  (rire)
Sérieusement, en général, Laura et Thomas arrivent en répète avec des riffs et on les fait tourner, on improvise à fond autour, on se laisse aller aussi loin que possible. Et très souvent, au bout d’une ou deux jammes, on a l’essentiel des idées. Puis on prend le temps de réécouter ça, Laura et Thomas peaufinent les différents riffs pour apporter des variations, et on re-jamme dessus. Il est fréquent qu’on joue sur scène des morceaux qu’on a répété 2 ou 3 fois max, et qu’on finisse de les construire en les jouant.

Fuzzy Grass
Audric et Clément, live 2015. Photo par Blast Radius.

Clément : En fait, l’impro est réellement au centre de notre musique. Dès la première répète, quand j’ai rejoint les 3 autres qui avaient déjà l’habitude de jouer ensemble, je leur ai dit : “faite ce que vous avez à faire et je vous suis”. Au bout de 4/5 morceaux vraiment cool, pensant qu’il y avait des couplets, des refrains, des ponts, des structures établies, quoi, j’ai demandé quelle était la part d’impro dans ce qu’on venait de faire. Et là Laura m’a répondu “Mec, on fait que jammer depuis tout à l’heure !”.

Audric n’avait fait que du “yahourt” et j’étais persuadé qu’il avait des chansons écrites ! Là j’ai compris qu’il y avait une véritable symbiose à exploiter pour créer avec un max de liberté et de spontanéité. Au final, on continue sur cette lancée même 8 ans après !

Living In Time, 1ère piste de The Revenge Of The Blue Nut.

De quoi parlent vos textes ?

Audric : Comme le chant est improvisé avec les instruments, je commence par trouver les idées mélodiques et sonores. Ensuite, le temps venu, j’écris des paroles qui collent à ces idées en y insérant des concepts pseudo-philosophico-épiques, sur des thèmes très introspectifs comme la solitude, la recherche de soi et le rapport à nos émotions et nos relations aux autres, le tout sur une toile de fond fantastique et psychédélique.

Fuzzy Grass : Pour cet album, on a organisé ces idées pour en faire une quête initiatique, celle de l’homme cacahuète qui, alors qu’il découvrait son “être profond”, se retrouve abattu par une rupture amoureuse, fuit dans l’onirisme avant de finir rongé par sa colère et sa bestialité.

Fuzzy Grass
Thomas et Clément, live 2015. Photo par Blast Radius. 

Quels sont les groupes des ´70s qui vous ont marqué au fer rouge?

Fuzzy Grass : Pink Floyd, Deep Purple, The Who, Yes, King Crimson et Hendrix évidemment !

Laura, tes riffs sont exceptionnels. D’où te vient cette inspiration et cette créativité hors normes ?

Laura : Pour commencer, beaucoup de riffs proviennent d’un travail collectif avant tout, donc merci pour ce compliment que je partage avec l’ensemble du groupe.

J’ai commencé la guitare à 11 ans, et j’ai pris des cours jusqu’à l’âge de 18 ans. Mon premier prof, lors de son départ, m’a dit “surtout, n’arrête pas, t’as le feeling”. Les profs que j’ai eu ensuite m’ont beaucoup initiée à l’improvisation, avec une bonne part de travail technique. À cette époque, mon objectif, c’était de devenir Satriani, ahah ! Puis j’ai rencontré Thomas avec qui j’ai mis en application ce travail dans un cadre musical plus blues/rock/stoner. Il était plus âgé et plus expérimenté que moi et il m’a tout de suite pris sous son aile. Mon son a changé. Je me souviens du jour où mon frère m’a offert une pédale Big Muff. J’ai pleuré en entendant ce son. Je l’ai mise à fond et j’ai joué, joué. C’était une révélation.

Quand je joue seule, que je cherche des riffs, il faut que ça groove, que ça soit “catchy”, qu’il y ait ce feeling, cette sensibilité. Aujourd’hui, je cherche aussi à me renouveler, à trouver des sonorités différentes, d’abord pour ne pas me lasser moi-même et ensuite pour qu’on puisse, avec le groupe, aller toujours plus loin.

Brinc le Zinc
Laura et Clément live à Brin De Zinc, août 2023.

Tu dois faire pâlir pas mal de guitaristes masculins avec ton jeu ?

Laura : C’est une question qu’on préférerai ne pas se poser, mais c’est vrai que la remarque revient souvent, et ça révèle que les femmes sont encore très minoritaires dans la musique et particulièrement dans la guitare rock, où elles sont trop souvent cataloguées “folk”. En fait, pour nous, y a pas de différence entre un et une guitariste, on est des êtres humains, mais on ne peut pas ignorer que tout le monde ne pense pas encore comme ça…

Ce sont des remarques que j’ai entendu et que j’entends encore. J’y suis un peu plus sensible aujourd’hui, mais, en général, je ne les prends pas mal, d’autant que j’ai l’impression que les gens mettent un peu plus les formes, et que ça vient d’un bon sentiment.

Audric : Il faudrait vraiment commencer à séparer la bite de l’artiste !

Insight, 1er single de The Revenge Of The Blue Nut.

Clément, quels sont tes batteurs de prédilection?

Clément : En tête, sans hésiter, Bonham, chez Led Zep. De tous, c’est celui que je trouve le plus original et créatif. C’est pas le plus technique, en réalité, mais il a réussi à digérer la technique jazz qui était la norme à cette époque (il se revendiquait de Buddy Rich et Phily Joe Jones) pour en faire quelque chose de totalement personnel. Il avait un sens du groove unique et une incroyable capacité à gérer la tension dans les morceaux, en retardant ses break et ses cymbales pour les faire exploser exactement au bon moment !

J’adore aussi les autres batteurs de la même veine comme Mitch Mitchell, Ian Paice et Keith Moon. Et aussi les batteurs moins techniques comme Nick Mason ou même Ringo, qui ont un peu le même genre de feeling vaseux qui retombe toujours sur ses pattes et donne un groove unique à leur jeu.

Et pour finir, j’adore les batteurs plus prog, comme Micheal Giles ou Bill Bruford chez King Crimson, à peu près tous les batteurs de Zappa (avec un faible pour la périodes avec Chester Thomson) et, surtout, Christian Vander de Magma, qui est un univers musical et batteristique à lui tout seul !

Content d’avoir rejoint le label allemand Kozmik Artifactz pour la sortie de l’album et NRV Promotion ?

Fuzzy Grass : Déjà, Kozmik Artifact a réussi à presser les vinyles en 3 mois, et ça, c’était pas gagné donc bravo a eux ! Ça nous fait vraiment plaisir de rejoindre la Kozmik Family, on se sent à notre place, et les gens du label ont été très accueillants et réactifs dès qu’on a eut des demandes. C’est un honneur pour nous de faire parti de leur catalogue !

Avec NRV Promotion pour la relation à la presse et Ditto Music pour la gestion des sorties numériques, on a voulu mettre toutes les chances de notre côté pour que l’album touche un max de monde. Angie et Pierre-Étienne nous ont vraiment bien accompagnés pour la sortie des deux singles et de l’album, et c’est un travail qui est très complémentaire à celui qu’on mène de notre côté pour trouver des dates de concerts de plus en plus chouette !

Kozmik Artifactz
Kosmik Artifactz, label allemand.

Musicalement, que pensez-vous de notre époque ?

Fuzzy Grass : On va pas se cacher que notre premier réflexe serait de dire qu’aujourd’hui, on entend que de la merde. Mais si on prend un peu de recul, on se dit que les musiques mainstream des 70’s pouvaient être bien naze aussi, en réalité. On a une vision un peu fantasmée de l’univers musical des 70’s, donc c’est difficile d’affirmer que c’était mieux avant…

Et puis aujourd’hui, avec internet, on a accès à toutes les musiques, anciennes comme nouvelles, et même si la quantité astronomique de groupe noie un peu les propositions originales, ben n’empêche qu’avec un peu de curiosité, on finit par tomber dessus. Suffit de voir ce que fait un groupe comme King Gizzard pour se convaincre que la bonne musique n’a pas disparu.

Finalement, même si la majorité des productions ne nous plaisent pas – parce qu’elles manquent d’authenticité, ou juste parce que c’est pas notre came -, même si les algorithmes servent majoritairement les intérêts des artistes les plus normalisés, il suffit d’être dans une démarche active pour dénicher les pépites. Les anciens fouillaient chez les disquaires, nous on fouille sur YouTube.

Y a-t-il des groupes actuels qui vous fascinent et inspirent ?

Fuzzy Grass : King Gizzard, c’est vraiment un exemple de créativité. Et Earthless, Graveyard, El Perro.

Audric : The Josiane Balasko Experience.

Fuzzy Grass : Et pas mal de groupes avec qui on a joué et qui sont souvent de bons copains : Howard, Decasia, Djinn, Cachemira, Moundrag, Slift, pour ne citer qu’eux. Bref, y a plein de groupes qui ont leur personnalité et qui nous inspirent.

Djiin – Freaks disponible sur le 1er album The Freaks sorti en 2019.

Pouvez-vous nous parler de la scène toulousaine qui est probablement l’une des plus prolifiques et intéressantes en France?

Fuzzy Grass : Pour commencer, on peut reparler de Slift, qui ont commencé en même temps que nous et qui décollent grave en ce moment, et vu le nombre de concerts qu’ils ont a leur actif, c’est vraiment mérité ! C’est un bel exemple de groupe qui fonctionne “à l’ancienne” : ils ont forgé leur notoriété sur scène, en sillonant les routes plus que sur les réseaux sociaux.

Slift – Hyperion enregistré live au laboratoire CNRS de Toulouse en 2021.

Les Twin Souls sont bien lancés aussi, leur musique est vraiment chouette et ce sont des gars supers sympa.
Princess Thailand – anciennement Sound Sweet Sound – continuent leur bonhomme de chemin dans une direction plus tribal noise, mais ça reste un bel exemple de ce que Toulouse peut produire comme groupe ambitieux.
Et il y en a évidemment plein d’autres, comme Karkara, Light, Elser ou Madam...

Hâte d’être sur la route pour défendre cet album ?

Fuzzy Grass : On veut partager le plaisir qu’on a à jouer cette musique avec notre public. C’est ça qui nous anime avant tout !
On a joué cet été en France et en Allemagne (dans des festivals comme le Krach Am Brach, le Celebration Day ou les Volcano Session), on tourne en ce moment dans le sud-ouest et on a de beaux projets pour 2024, notamment le Freak Valley Festival !

On est vraiment heureux de voir comment l’album est accueilli, par le public comme par les programmateurs, donc on est assez enthousiastes concernant le futur du groupe !

Volcano festival
Fuzzy Grass sur la scène du Volcano fest, août 2023.

Merci Fuzzy Grass d’avoir répondu à nos questions et à bientôt sur la route du rock.

 Ecoutez et procurez-vous les albums de Fuzzy Grass ici.

 

Gian, octobre 2023.

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