BLACK SABBATH, naissance de la bête et origine du culte

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L’album fondateur du courant Heavy Metal

En 1970, la publication du premier album de Black Sabbath marque un tournant dans l’histoire du rock. Pionnier du courant heavy metal, il signe l’avènement d’un groupe unique, ainsi que celui d’une musique visuelle inspirée du cinéma d’épouvante. Un bad trip clouant le cercueil encore chaud du courant psychédélique.

Black Sabbath

Black Sabbath est un groupe originaire de Aston, banlieue pauvre et ouvrière de Birmingham. Dès le lycée, John Osbourne, surnommé Ozzy, côtoie brièvement le guitariste Tony Iommi. Celui-ci, déjà loué pour ses talents, est alors très populaire, notamment auprès des filles. Ozzy, lui, passe pour le clown de service.

Ozzy Osbourne

Dyslexique incompris et sujet à des comportements erratiques, Ozzy Osbourne doit quitter l’école pour exercer des petits boulots souvent pénibles et sans perspective. Seule lumière à l’horizon, il est fou de rock’n’roll depuis qu’il a entendu She Loves You des Beatles en 1963…

The Beatles – She Loves You

Lassé de trimer pour un salaire misérable, il finit par se livrer à des cambriolages. A 18 ans, il est arrêté et jeté en prison. Son père refusant de payer la caution, Ozzy purge une peine de six semaines, durant laquelle il en profite pour adopter définitivement son pseudonyme. Dans le film de Charles Laughton, The Night of The Hunter (La Nuit du Chasseur) le pasteur terrifiant incarné par Robert Mitchum se fait tatouer “l’amour” (Love) sur la main droite, et “la haine”(Hate) sur la main gauche. De la même manière, Ozzy se tatoue une lettre sur chaque phalange… de la main gauche !

Black Sabbath – N.I.B

Dès sa sortie de prison, Ozzy Osbourne se lance pour de bon dans la musique. Son père consent à lui payer un ampli. Durant les sixties, ceci constitue un excellent moyen de se faire des amis.

C’est alors qu’il fait la connaissance du bassiste Terrence « Geezer » Butler. Ce dernier s’adonne déjà à l’écriture et se passionne pour les sciences occultes, les couloirs temporels, la poésie chinoise, et la marijuana. Hippie jusqu’aux bouts des ongles, il a pour modèle Jack Bruce, bassiste de Cream.

Geezer Butler

Après une tentative ratée dans le rock psychédélique, ils sont rejoints par le batteur Bill Ward et le guitariste Tony Iommi. Ce dernier, réticent à s’associer avec Ozzy, fera une pige de trois mois chez Jethro Tull, avant de revenir.

Au départ, ces quatre hommes sont réunis par une passion commune pour le blues et le rock. Nous sommes en 1969, le groupe se nomme encore Earth, et son répertoire se compose essentiellement de reprises de Cream et Jimi Hendrix.

Black Sabbath

Avant que ne surgissent leurs premières visions nourries de magie noire, et parfois d’onirisme. Comme ce titre inspiré par Gandalf, célèbre magicien du Seigneur des Anneaux (J.R.R Tolkien)…

Black Sabbath – The Wizard

A cette époque, Ozzy Osbourne et Geezer Butler sont fascinés par les écrits sur l’occultisme de Dennis Wheatley. Le chanteur offre au bassiste un ouvrage sur la sorcellerie. Geezer se livre alors à une expérience étrange…

Il recouvre de noir les murs de son appartement, accroche des crucifix à l’envers, ainsi que des représentations de Satan. Quand il se couche, le livre de sorcellerie est posé sur une étagère… Le lendemain, Geezer raconte à Ozzy, avoir été réveillé par une apparition, une silhouette obscure située au pied de son lit. Elle aurait disparu soudainement… en même temps que le livre !

Désireux d’aller à l’encontre d’une certaine forme de chanson positive, très répandue à la fin des 60’s, cette histoire inspire à Ozzy Osbourne sa première création. Le titre Black Sabbath. Elle instaure également une thématique sombre et surnaturelle dans la démarche du groupe.

Le titre éponyme introductif est une véritable BO de film d’épouvante. Son riff principal est fondé sur trois notes et un intervalle de triton, interdit durant des siècles car considéré comme l’intervalle du diable (en raison de sa sonorité effrayante). Trois notes, un titre fondateur pour le groupe, et une pierre de rosette pour le courant Heavy Metal

Black Sabbath – Black Sabbath

Ozzy Osbourne explique que la formation avait pour habitude de répéter dans un local à proximité d’un cinéma diffusant principalement les films de la Hammer (société de production anglaise célèbre durant les années 50-60 pour ses films d’horreur).

« On trouvait ça étrange de voir tellement de gens dépenser autant d’argent pour voir des films d’horreur. Cela nous a donné l’idée de jouer de la musique plus sombre, plus effrayante ».

Le nom du groupe aurait été inspiré par le film I Tre Volti Della Paura (Les Trois Visages de la Peur en français et donc Black Sabbath en anglais) production franco-italienne de 1963 réalisée par Mario Bava. Un film à sketches dans lequel on retrouve notamment Boris Karloff et Michèle Mercier. Ayant été informé qu’une autre formation possédait un nom similaire au leur, le groupe délaisse le nom de Earth pour celui de Black Sabbath. Et baptise ainsi son premier album…

Black Sabbath – Warning

Au début des années 70, un groupe de rock, quel qu’il soit, fonctionne rarement sans une dualité charismatique, chanteur électrisant, et guitariste ténébreux. Si le talent de la section rythmique (Geezer Butler et Bill Ward) ne fait aucun doute, imprimant à elle-seule le rythme des enfers, il émane du duo Osbourne/Iommi, une puissance hypnotique rare.

Ozzy Osbourne cristallise dans sa voix de damné en chute libre au-dessus des abîmes, et jusque dans ses traits, la fibre ésotérique de Black Sabbath.

Mais si Ozzy est le symbole du groupe, le guitariste Tony Iommi en est le catalyseur. Avec ses riffs hantés, il construit un décor sinistre et inquiétant pour les envolées funèbres du chanteur.

Black Sabbath – Sleeping Village

De plus, son histoire personnelle va nourrir la légende du groupe, et de manière plus générale, celle du courant Metal.

Sauvé par la grâce de Django

Quelques années plus tôt, âgé de 17 ans, Tony Iommi est manœuvre dans une usine de sidérurgie. Ce qui ne l’empêche pas d’exercer ses talents de guitariste dans plusieurs formations de blues rock.

Parvenant à décrocher un contrat dans un groupe professionnel, il annonce à son employeur son intention de partir. C’est durant sa dernière demi-journée de travail, que Tony Iommi voit une presse lui sectionner une phalange sur le majeur et l’annulaire de la main droite. Celle qu’il utilise sur le manche de sa guitare, puisque Tony est gaucher.

Black Sabbath – Wicked World

Après l’échec de plusieurs tentatives de greffe, Tony Iommi doit renoncer à sa carrière de musicien et sombre dans une profonde dépression. Jusqu’à ce que son ancien contremaître lui rende visite avec un disque de Django Reinhardt. Lorsqu’il entend la musique du virtuose du jazz manouche, et son histoire de doigts paralysés suite à un incendie, Tony voit poindre le soleil au milieu des nuages…

Django Reinhardt – Nuages

Le guitariste démarre une rééducation complète et se confectionne des petits capuchons pour protéger ses doigts à l’aide de bouteilles en plastique fondues et de vieux morceaux de cuir. Un genre de prothèse l’obligeant souvent à ajouter un point de colle. Quitte à tout arracher, peau comprise, après le concert. Il opte également pour des cordes de banjo, plus fines, afin de rendre la pratique moins douloureuse.

Enfin, il opte pour un jeu simple, puissant et percutant. Tout cela, le blues en prime, contribue fortement à façonner le son de Black Sabbath.

Black Sabbath – Behind The Wall of Sleep

Black Sabbath est un album brut, à vif même. Et pourtant mélodieux et soigné. Quant à l’immediateté qui s’en dégage, elle n’est pas anodine…

« Nous nous sommes dit “On se donne deux jours pour l’enregistrer et un jour pour le mixer”. Donc on a joué sur scène. Ozzy chantait au même moment, nous l’avons juste mis sur une autre bande et nous nous sommes débrouillés comme ça. Nous n’avons jamais fait plus d’un essai. » Tony Iommi 

Pochette et légendes

Pour emballer le premier album de Black Sabbath, le label Vertigo fait appel à Keith McMillan. Ce dernier opte pour un package représentant la musique du groupe. Une photo sinistre d’une vieille demeure orne la pochette.

Black Sabbath

Il s’agit du moulin à eau de Mapledurham, un village du Berkshire situé sur les berges de la Tamise. Une mystérieuse femme capée au visage blanchâtre, et dont on ne peut distinguer les traits se tient au centre de l’image.

Lors de la publication de ce premier opus, on raconte que la femme ne figurait pas sur les lieux au moment de la photo, et n’est apparue qu’au moment du développement

A l’intérieur de la pochette, un poème d’un auteur inconnu intitulé Still Falls The Rain évoque « une jeune femme aux yeux vides qui croit ne pas être vue », venant ainsi nourrir un peu plus la légende, et le mystère entourant la pochette.

Black Sabbath – Evil Woman

On sait aujourd’hui qu’il s’agit de l’ex-mannequin Louisa Livingstone, devenue musicienne.

Louisa Livingstone

Un crucifix inversé apparaît également sur la pochette intérieur de l’album. Bien que cette illustration n’ait pas été approuvée par les membres de Black Sabbath, elle ajoute au mythe maléfique entourant le groupe.

L’album Black Sabbath atteint la 8ème place en Angleterre, et la 23ème aux Etats-Unis. En 1970, une musique si négative et singulière ne peut faire l’unanimité. Coven, groupe de Chicago mêlant depuis 1968, messes noires, sorcellerie et rock psychédélique en sait quelque chose. Seul le grand Led Zeppelin, qui hormis quelques titres n’a que très rarement pactisé avec le malin, parvient à atteindre le sommet des charts.

Le culte de la bête aux pieds fourchus

Pourtant, remis en lumière grâce au succès des albums suivants (Paranoid, Masters of Reality), ce premier opus va finir par générer un véritable culte autour de la bête Black Sabbath. Au point qu’il arrive souvent aux fans et groupes de metal, aujourd’hui encore, de s’offrir un pèlerinage au moulin à eau de Mapledurham.

Black Sabbath – Black Sabbath (Live – The End)

Avec son atmosphère malsaine, ses dissonances et son intervalle de triton, l’album Black Sabbath va devenir une source inépuisable d’inspiration pour une légion de groupes hard et metal. De Motorhead à Metallica, de Alice Cooper à Judas Priest, tous saluent son influence maléfique. Même si le Prince des Ténèbres n’est pas prêt à reconnaître tous ses enfants…

“Quand j’en entends certains… Quelle partie de nous les a inspirés ? La plupart d’entre eux ne sont que des types en colère qui hurlent dans un micro ! ”
Ozzy Osbourne

Le cinéma des années 70, et en particulier le Phantom of The Paradise (1974) de Brian de Palma, saurait en extraire la substance ayant conduit le Metal à devenir un maillon essentiel de la culture pop.

Somebody Super Like You – Phantom of The Paradise (Bande Annonce)

Enfin, je termine avec cette citation de Geezer Butler, qui décrit parfaitement l’origine de cette force indescriptible émanant de Black Sabbath sur ses premiers albums :

“Je crois que le secret de notre réussite, comme de la plupart des groupes qui entrent dans l’histoire, est d’avoir su créer un style et de nous y être tenu. A nos débuts, personne ne sonnait comme nous, ne chantait de textes comme les nôtres. Il faut dire que nous étions issus d’un environnement très différent de la plupart de nos contemporains. Une ville austère et un milieu ouvrier, très dur, où l’on se sentait tous condamnés. Aston, banlieue de Birmingham est un endroit vraiment déprimant, pas le lieu rêvé pour passer ses vacances. C’est cette volonté désespérée, cette lutte infernale pour s’en extirper qui ont nourri notre musique, notre son, nos paroles. »

Serge Debono

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