Naissance du mythe Ziggy, et de l’icône Bowie.
Ziggy Stardust est né le 16 juin 1972. Malgré le succès relatif de ses deux derniers albums, David Bowie n’est pas satisfait. Il refuse de porter la casquette de l’artiste maudit et incompris. Sans pour autant déroger à sa ligne artistique, il va s’efforcer d’entrer un peu plus dans la peau de son personnage travesti, en lui donnant vie, et en multipliant les provocations en public. Dans une interview, pourtant marié et père d’un jeune garçon, il va même jusqu’à faire croire à son homosexualité.
Dans cette première partie des 70’s, le rock’n’roll se théâtralise avec l’influence de groupes comme T-Rex, Funkadelic, ou Alice Cooper. David Bowie, lui aussi, veut faire sensation. Pourtant, rien de tel qu’un tube pour faire passer un artiste, du statut de “révélation” à celui de “star confirmée”…
Starman
Le 14 avril 1972, David Bowie publie Starman, premier titre extrait de son album à venir. Un single puisé dans la science-fiction, son domaine de prédilection, celui qui lui a déjà permis de se faire connaître trois ans plus tôt (Space Oddity). Il avait alors inventé un nouveau genre, le space-folk.
Cette fois, tout en conservant une base acoustique, il opte pour une composition rêveuse et festive. Un couplet contagieux précède un refrain aux faux airs de Magicien d’Oz. D’ailleurs, en août, profitant d’un concert au Rainbow Theatre, Bowie remplace l’entame “ There’s a starman waiting in the sky…”, par “Somewhere over the rainbow, way up high…”, refrain interprété par Judy Garland dans le film.
Bowie et les Spiders font une première apparition dans une émission pour enfants. Mais c’est le 6 juillet que démarre la légende de Ziggy, et celle de David Bowie. Reçu dans l’émission Top of The Pops, véritable institution, et seul programme musical pour adolescents, le groupe maquillé et costumé fait sensation. Très professionnel, Bowie se permet tout de même une petite provocation en passant son bras de manière suggestive autour des épaules du guitariste Mick Ronson.
Quoi qu’il en soit, le titre et leur look font mouche. Bowie s’inspire autant des tenues de Marc Bolan que du théâtre populaire japonais (kabuki). Ayant effectué quelques séjours aux Etats-Unis, il n’est pas impossible que les New York Dolls l’aient également influencé. Au final, c’est lui qui devient une référence. Ce passage TV marque si profondément les esprits, qu’une nouvelle génération de musiciens comme Dave Gahan (Depeche Mode), Siouxsie, Mick Jones (The Clash) ou Kate Bush, considèrent cette apparition comme un véritable déclic à leur vocation.
David Bowie – Starman (Top of The Pops)
https://www.youtube.com/watch?v=mYtRp9UNx8Y
Le 16 juin, coiffé d’une crête rouge, le visage maquillé de façon outrancière, Bowie publie son cinquième album, The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, album fleuron de la génération glam-rock.
La jeunesse désenchantée ayant connu la chute du mouvement hippie et son impuissance face aux gouvernements, s’identifie à cet extraterrestre, et plonge à cœur perdu dans son univers étrange et coloré. Bowie fait sensation dans toute l’Europe. Des milliers de clones de Ziggy Stardust arpentent les rues des grandes capitales. Plus qu’une star, il devient une véritable icône rock.
David Bowie – Ziggy Stardust
Même s’il regorge de tubes, Ziggy Stardust est un album conceptuel. L’histoire : l’humanité s’apprête à vivre ses cinq dernières années d’existence, lorsqu’une créature de l’espace vient à leur rencontre afin de leur procurer paix et amour (ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?). Malheureusement, l’extraterrestre finit par mourir de ses excès…
David Bowie – Five Years
Le personnage de Ziggy Stardust est inspiré par Vince Taylor que Bowie a croisé en France quelques années auparavant. Son nom est un clin d’œil à Iggy Pop, ainsi qu’au Stardust Cowboy (pionnier du psychobilly). Les Spiders (Ronson, Bolder et Woodmansey) viennent compléter un tableau surréaliste d’envahisseurs pacifiques répandant le rock sur la planète.
Sous ses airs naïfs, Bowie ne fait rien de moins que transfigurer la fin du rêve hippie dans un accès total à la liberté et à la tolérance. En somme, il s’efforce d’apporter un peu de rêve dans une période de désillusion.
David Bowie – Moonage Daydream
Lady Stardust, titre dédié à Marc Bolan, ouvre la seconde face de l’album. Avant la publication de Ziggy Stardust, le leader de T-Rex est encore la star numéro 1 du courant glam-rock. La rivalité existant entre les deux compositeurs est plutôt saine et n’exclut pas l’amitié. A l’aube des années 70, ils ont fait partie des pionniers de la vague androgyne, et ne cessent depuis, de s’influencer mutuellement. C’est donc une volonté de témoigner son admiration à Bolan, qui pousse Bowie à composer cette chanson, initialement intitulée A Song for Marc.
Dans le texte, David évoque les premières apparitions de son complice dans les quartiers underground de Londres. Il décrit Marc Bolan tel un Dieu Grec à la grâce animal et aux boucles brunes. Un sex-symbol faisant chavirer le cœur des filles, comme celui des garçons, en usant de mélodies mélancoliques.
Mélancolique comme la partie piano exécutée par Mick Ronson. On croirait un thème improvisé de fin de soirée, lorsqu’un pianiste lambda se retrouve dans un club aux trois quarts vide. Il ne reste que quelques spectateurs avinés, affalés sur les tables. Seul au comptoir, un garçon aux boucles brunes, le visage entouré d’un boa de plumes blanches, sirote un dernier cocktail au son de cette mélodie bouleversante. Cinq ans plus tard, elle le devient plus encore, quand Marc Bolan meurt des suites d’un accident de la route….
David Bowie – Lady Stardust
Titre le plus nerveux de l’album (avec Suffragette City), Hang On To Yourself est aussi le plus expéditif. Deux minutes et quarante secondes d’un véritable shoot d’adrénaline. Bien mieux qu’une excellente piste rock, il fait figure de maillon dans la chronologie du genre. L’instrumental n’est pas sans rappeler la fougue de Eddie Cochran. Doté d’un riff agressif façon Ramones, il jette un pont entre le rockabilly des 50’s, et le punk rock à venir. Bowie y ajoute une touche glam avec un chant haut-perché.
David Bowie – Hang Onto Yourself (Ziggy Stardust)
Par le biais d’artistes comme Todd Rundgren ou Marc Bolan, le glam a enclenché un processus d’exaltation de la part féminine du rocker. Le succès de Ziggy Stardust permet de populariser le genre tout en banalisant le phénomène.
Trustant le sommet des charts avec ses trois derniers albums, Ziggy Bowie atteint un tel degré de notoriété, que chacune de ses sorties génère de l’agitation.
A bout de nerfs, Bowie décide de joindre l’utile à l’agréable. Le 3 juillet 1973, sur la scène de l’Hammersmith Odeon (Londres), il tue son personnage de Ziggy en faisant cette annonce au public :
« C’est non seulement le dernier concert de la tournée, mais aussi le dernier concert que l’on fera. »
Il conclut son épopée galactique avec un titre évocateur, Rock’n’roll suicide, sublime ballade folk au crescendo émouvant…
David Bowie – Rock’n’roll Suicide (Ziggy Stardust)
Une première réédition CD en 1990 met à jour quelques trésors occultés par le maître. Comme ce titre dont le refrain aux allures de ritournelle russe, donnera son nom à un biopic non autorisé de David Bowie en 1998.
David Bowie – Velvet Goldmine
En 2002, une édition anniversaire offrait encore quelques inédits. Comme cette version du célèbre titre de Jacques Brel, grande source d’inspiration de Bowie à la fin des 60’s…
David Bowie – Amsterdam
Pochette
La légendaire pochette de l’album est une photo prise à Londres, au 23 Heddon Street, par Brian Ward. Ce dernier habitait l’immeuble. Il demanda à Bowie, alors terrassé par une mauvaise grippe, de poser quelques minutes sur le pas de porte.
Enfin, l’édition originale comportait cette inscription sur la pochette intérieure : “ TO BE PLAYED AT MAXIMUM VOLUME”. Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Serge Debono