de Oliver Stone avec Val Kilmer et Meg Ryan
Le film The Doors, d’Oliver Stone, fête ses 30 ans d’existence…
Au début des années 90, le monde du rock se réjouit d’apprendre qu’Oliver Stone travaille sur un biopic consacré aux Doors. L’innocence de la New Wave s’est dissoute dans les limbes de la guerre du Golf. Après un bref retour au rockabilly durant les années 80, le public se tourne vers le rock et l’esprit contestataire de la deuxième partie des sixties avec ses multiples créations innovantes.
Le support cassette laisse place au disque-compact, et on voit alors fleurir dans le haut des charts, une série de compilations célébrant les cadors de l’époque. The Ultimate Experience pour Jimi Hendrix, Remasters pour Led Zeppelin, The Greatest Hits of Janis Joplin, ou The Best of The Doors. Dans ce contexte, le film d’Oliver Stone arrive à point nommé.
Un film culte, et pourtant…
Sortie en mars 1991, il devient le plus grand succès au box office jamais réalisé par un biopic. Et pour cause, le cocktail image et son concocté par le maître, est tout simplement somptueux. L’arrivée du son numérique (dolby) l’accompagne, et c’est une aubaine. De plus, le CV d’Oliver Stone conjugué à la publication de Riders on the Storm (biographie du batteur John Densmore), laissent penser à un film très documenté. La sortie par le réalisateur de JFK la même année, conforte les esprits dans ce sens.
Pourtant, au fil du temps, le film The Doors va perdre une grande partie de sa crédibilité. La raison ? Les révélations faites à l’occasion de la sortie de Light My Fire, autobiographie du clavier Ray Manzarek parue en 1998. Et plus encore avec la biographie de Stephen Davis publiée en 2004, et consacrée à Jim Morrison (Life, Death, Legend). Cette dernière dévoile de nombreuses facettes du poète éludées dans le film.
Afin de pouvoir se faire une opinion objective, même si les gouts et les effets de la nostalgie sont relatifs à chacun d’entre nous, je vous propose d’aborder cette oeuvre sous deux angles. The Doors en tant que biopic, et The Doors en tant que film musical…
The Doors, en tant que biopic…
Les reproches ne manquent pas. A commencer par le choix du titre laissant espérer un film retraçant le parcours et la vie du groupe. Alors que de toute évidence, il ne porte que sur son poète. D’ailleurs, le second reproche arrive très vite, directement lié au premier. Il concerne la vision caricaturale qu’offre Oliver Stone de Ray Manzarek, Robbie Krieger et John Densmore. Si l’organiste des Doors passe pour un intellectuel pompeux et intéressé, le guitariste et le batteur font carrément figures de hippies écervelés.
Mais quand on parle de caricature, la plus prononcée et dommageable, compte tenu de l’axe choisi par le réalisateur, reste celle du Roi Lézard.
Première erreur, à mon sens, avoir éludé une période fondatrice dans la vie du poète. Entre son départ de l’UCLA et ses retrouvailles avec Ray Manzarek. Juste avant la formation du groupe. Une période de réflexion et de jeûne, qui reste également sa phase la plus créative. Jim écrivait de manière quasi quotidienne, trimballant en permanence à la main, un sac contenant un crayon et du papier.
Malgré une personnalité changeante et un comportement borderline, en particulier sous l’effet de l’alcool et du LSD, Jim Morrison est décrit par ses proches comme un être spécial, mais généralement doux et réservé. Et non comme ce fou furieux égocentrique et abject traversant la pellicule. Si la schizophrénie fut évoquée à l’époque, elle ne fut jamais diagnostiquée. Quant à la bipolarité, le terme n’existait pas encore.
Le poète diabolisé
Bien entendu, si les bagarres entre Jim Morrison et Pamela Courson étaient fréquentes, la scène où il enferme celle-ci dans un placard avant d’y mettre le feu, n’est que pure invention. Sans doute le plus grand préjudice porté au jeune poète. Tout comme la télévision jetée sur son ami Manzarek…
“ Jim n’aurait jamais fait une chose pareille ! ” Ray Manzarek
Concernant les accès de violence de Jim Morrison, il étaient bien plus rares que le film The Doors ne le laisse penser. Pourtant, il existe un fait approchant, susceptible d’être porté à l’écran, et définissant mieux la philosophie du personnage. Un fait témoignant de son instabilité, mais aussi de son respect pour l’art et la création…
En août 1966, durant les répétitions du premier album, côté régie, un jeune assistant regarde discrètement la finale du Super Bowl sur un poste de télévision, le son coupé.
Malheureusement pour lui, Jim remarque le reflet de l’écran sur une vitre de la cabine. Furieux, il saisit une chaise, et la projette à travers la paroi de verre. Pas à l’endroit précis où se trouve le jeune homme. Mais assez près pour le faire sursauter. Lui et le reste de l’équipe. Dans la foulée, il lui intime l’ordre de ne plus jamais allumer une télévision pendant une répétition.
Jim Morrison avait une profonde aversion pour le petit écran, qu’il considérait déjà comme un outil d’asservissement des classes populaires.
De nombreux changements inexpliqués
Un autre fait important dans l’histoire du groupe est déformé sans la moindre raison apparente. L’accord passé par les Doors avec le constructeur automobile Buick, afin d’utiliser “Light My Fire” dans un spot publicitaire.
Dans le film, le groupe finalise l’opération en l’absence de Jim. En réalité, vu que Jim ne donna jamais son accord, cela empếcha toute transaction. Il n’y eut jamais aucune diffusion du spot. Et si vous doutez encore qu’un cinéaste de la trempe d’Oliver Stone ait pu commettre une telle erreur, que dire de cette marque de bière (Genuine Draft) qu’ingurgite Jim Morrison à l’écran ? Alors que celle-ci n’est apparue qu’en 1985 !
Les anachronismes, changements de lieux et de personnages (Manzarek se retrouve père d’une fille au lieu d’un garçon) ne sont rien en comparaison du portrait que le cinéaste dresse des deux femmes iconiques que sont Pamela Courson et la chanteuse Nico.
Malgré tous les efforts déployés par Meg Ryan, la première apparaît comme une jeune rêveuse inconsistante et peu cultivée. Pourtant, les membres du groupe (avec qui elle n’entretenait pas les meilleurs liens) la décrivent comme une personne instruite, naturellement douée, et dotée d’un certain répondant. Ray Manzarek la qualifie même de “Jim Morrison au féminin”.
D’ailleurs, en dépit des talents de funambule avérés de Jim Morrison, son approche de Pamela, façon Romeo, et son arrivée stupéfiante sur la terrasse ne sont hélas qu’une fiction. En réalité, Pam et Jim ont fait connaissance alors que le groupe était déjà formé. Au London Fog, une boîte de nuit de West Hollywood où se produisaient les Doors. Néanmoins, la scène du film est inspirée de la première entrevue de Jim avec Mary Werbelow (son premier amour). Et il faut reconnaître, qu’elle ne manque pas de romantisme…
Film The Doors – Love Street (scène de rencontre Pam et Jim)
Quant au portrait de Nico, il est aussi vulgaire que calomnieux. La chanteuse allemande se retrouve dans la peau d’une nymphomane au physique de call-girl. Elle n’apparaît que quelques minutes à l’écran, le temps d’appliquer une fellation à Jim Morrison dans l’ascenseur de la Factory d’Andy Warhol...
En réalité, Nico et Jim avait noué une solide amitié. Ils avaient pour habitude de se retrouver en catimini, au dernier étage de l’immeuble. S’il est avéré qu’ils s’y livraient souvent à leurs ébats, les deux amants devisaient également sur l’art, et leur vision du monde. Selon Nico, Jim l’aurait encouragée à écrire.
Film The Doors – Scène Factory
Au détriment des trois autres membres du groupe, un troisième personnage féminin est mis en avant. La journaliste Patricia Kennealy. Oliver Stone choisit de faire intervenir cette dernière dès 1967, année d’émergence des Doors. Hors Jim Morrison ne fait sa rencontre qu’en 1969 ! Ce n’est donc pas avec elle qu’il est surpris dans les toilettes, quelques minutes avant d’être interpellé sur scène par la police de New Haven (comme on peut le voir dans le film).
Bien que la véritable Kennealy soit toute heureuse de se voir offrir une place de choix, Oliver Stone tourne en dérision sa pratique de la sorcellerie wicca, ici réduite à des orgies et des rites sataniques. Une scène prétexte à l’introduction d’un fameux thème musical, maintes fois utilisé au cinéma.
Film The Doors – Carmina Burana
Enfin, ayant opté pour un biopic sur Jim Morrison, on peut se demander pourquoi Oliver Stone n’en a pas profité, pour tenter de réhabiliter ce dernier concernant son procès injuste de Miami. L’histoire est connue, accusé d’avoir exhibé ses parties génitales, le Roi Lézard se retrouve au banc des accusés, et risque une peine de travaux forcés. Un seul témoignage l’accable, celui du neveu d’un agent de police présent sur les lieux… Parmi tous les clichés pris le soir du concert, aucune photo ne confirme ce témoignage. Une situation qui incite le chanteur des Doors à s’exiler en France. 45 ans après sa mort, l’Etat de Floride consentirait enfin à le disculper.
Si la liste des impairs commis par Oliver Stone est trop longue pour éviter le réquisitoire, il ne faut pas omettre ses points forts pour autant. En effet, outre ses qualités de filmeur, le cinéaste compte à son actif des réalisations aussi brillantes que Salvador, Talk Radio, JFK, Né un 4 juillet, U-Turn ou encore Savages. Son parcours de scénariste avec Midnight Express, Scarface ou encore Tueurs nés a également de quoi impressionner. Il reste un peu de cette virtuosité dans le film The Doors…
The Doors en tant que film musical…
A commencer par la scène d’ouverture. Une des plus belles de l’histoire du cinéma (selon les spécialistes). L’écho de la voix de Jim Morrison (Val Kilmer) nous tire de l’obscurité, pour ensuite nous projeter dans le désert des Mojaves par le biais d’un travelling aérien époustouflant. Cerise sur le gâteau, le son dolby (une nouveauté pour l’époque) vient enfin rendre justice aux sublimes compositions des Doors.
Film The Doors – Riders on the Storm
La reconstitution des décors, et la photographie du film The Doors, sont d’une qualité exceptionnelle. On peut seulement nourrir quelques regrets de ne pas voir une image des derniers mois du poète vécus dans la cité parisienne.
Le film comporte plusieurs scènes de concerts particulièrement réussies au Whisky a GoGo, à New Haven ou Miami. C’est l’une des grandes satisfactions du film, encore aujourd’hui. Il restitue fidèlement le côté épique et l’atmosphère singulier qui règnait lors des apparitions des Doors. Celle voyant Jim Morrison communier avec le public, dans une chenille transe-chamanique, est aussi surréaliste… que fidèle aux témoignages !
Film The Doors – Break on through (part 1)
La scène du trip au LSD dans le désert est saisissante elle aussi. Même si là encore, il eut été judicieux de montrer Jim dans ses pérégrinations fréquentes et solitaires, où il allait chercher l’inspiration dans le désert de L.A.
Film The Doors – The End ( scene peyotl – goldmine)
https://www.youtube.com/watch?v=2HaUWMpdxvE&t=12s
Mais restons positifs ! Aussi caricatural que soit son personnage, Val Kilmer livre pourtant une grande prestation.
Bien que possédant un physique sensiblement différent, on devine la somme de travail fournie par l’acteur afin de faire illusion au niveau du phrasé, de la démarche, la gestuelle, ainsi que des parties chantées en concert. Dans cet exercice, la similitude de grain est parfois troublante. Même pour un initié…
The Doors – Five To One
Globalement, malgré son aspect diffamatoire, le film The Doors produit un effet positif sur le grand public en popularisant la musique du groupe. Les ventes augmentent alors de façon prodigieuse (10 millions de disques vendus sur la seule décennie 90’s). Il fait entrer au panthéon de la mythologie rock la légende des Doors et celle de Jim Morrison.
Je dis bien la légende… Privilégiant l’image du rebelle insoumis, à celle du poète maudit, Oliver Stone ajoute une couche de sensationnalisme rock. Il choisit de justifier les tourments du poète par ses propres dires. “Indians scattered on dawn’s highway bleeding…” La théorie d’un jeune poète américain, au magnétisme rare, possédé par l’âme d’un amérindien est séduisante. Faute d’être authentique, Oliver Stone valide le statut de chaman rock de Jim Morrison. Ce qui a le don de rendre l’histoire du poète, plus fascinante qu’elle ne l’est déjà.
Bande Annonce (film restauré en 2019)
En résumé, The Doors reste un excellent film musical à l’esthétique confortable et enivrante, et dont la qualité sonore permet de rendre hommage à l’œuvre d’un groupe culte et controversé. Comme biopic de Jim Morrison (ou des Doors), il ne brille que par quelques scènes-clips. Et on est en droit d’espérer un jour, que quelqu’un daigne se pencher à nouveau sur le sujet, et ainsi nous offrir un long métrage moins caricatural, et plus approfondi.
En attendant, je conseille vivement à ceux qui souhaitent en savoir plus sur le Roi Lézard, de se plonger dans la lecture de l’excellente biographie de Stephen Davis.
Serge Debono