Si “ A Wop Bop A Loo Bop A Lop Bam Boom ! ” représente le cri primal du Rock’n’Roll, alors Little Richard en est son géniteur. Condamné à vivre dans l’ombre d’Elvis Presley et Jerry Lee Lewis à la fin des années 50, son boogie et sa voix incomparable ont fini de convaincre les générations suivantes de son rôle primordial et de son apport révolutionnaire au genre.
A l’instar de Otis Redding et Duane Allman, Richard Wayne Penniman dit Little Richard, voit le jour dans la ville de Macon (Georgie). Très tôt, il démontre des prédispositions pour la musique, ainsi qu’une homosexualité jugée déviante par son père et l’ensemble de sa famille.
Little Richard : un des pères du Rock’n’Roll
Quand le rock’n’roll explose en 1954, le petit Richard s’est déjà fait la main dans les juke joints. Il enregistre même deux titres, l’un blues, et l’autre jazzy. C’est alors que Robert Blackwell, producteur et compositeur de la maison de disques Speciality, hérite d’une maquette du pianiste-chanteur. Il entraîne aussitôt Richard dans un studio de la Nouvelle Orléans. Après une longue séance infructueuse faite de morceaux rythm and blues, le screamer rage que son exubérance ne soit pas saisie sur bande. Il se lance dans une improvisation, fredonnant un air entrecoupé d’une drôle d’onomatopée…
“ A Wop Bop A Loo Bop A Lop Bam Boom ! ”
Il hurle, tape sur son clavier, et débite des chapelets d’obscénités. Mais l’un des titres les plus connus de toute l’histoire du Rock’n’Roll est en train de prendre forme. Selon Charles Connor, batteur de Little Richard, le texte de départ était le suivant :
“Tutti Frutti, good booty
Tutti Frutti, bon derrière
If it’s tight, it’s all right
Si c’est serré, c’est agréable
And if it’s greasy, it makes it easy…”
Et si c’est huilé, ça se laisse faire…
Bien sûr, afin d’éviter la censure, sa prose particulièrement suggestive et évoquant son homosexualité est revue et corrigée par la parolière Dorothy LaBostrie. La version finale est moins subversive, et totalement hétérosexuelle, mais comme on disait à l’époque : « Pourvu que ça sonne ! »…
Little Richard – Tutti Frutti
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que peu d’artistes savent faire sonner une musique répétitive et un texte pauvre comme Little Richard. Car celui qu’on ne va pas tarder à surnommer le Warhawk (le Faucon de Guerre), en rapport à son tempérament volcanique, ne se contente pas de chanter.
Le screamer frénétique
Conscient du désavantage d’être assis derrière un piano pour exprimer une musique aussi sensuelle que le rock’n’roll, il joue debout, tourné en permanence vers le public qu’il harangue de ses grognements et cris aigus. Il sublime ainsi ses interprétations, et parvient presque chaque soir, à mettre son auditoire en transe.
Little Richard – Long Tall Sally
Véritable leader-né, Little Richard sait s’entourer. En 1957, tombé sous le charme d’un orchestre de la Nouvelle Orléans l’ayant assisté lors de ses premiers enregistrements, il les arrache à Fats Domino pour graver son premier album.
« Elvis est peut-être le roi du rock ‘n’ roll, mais je suis la reine. »
« Here’s Little Richard » ne contient que des standards du genre, tous repris par Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, ou durant les sixties par The Beatles et The Rolling Stones.
Little Richard – Rip it up
En 1958, boosté par les reprises de ses homologues blancs, Little Richard enregistre son deuxième album. On y retrouve à nouveau quelques standards incontournables dans lesquels ses héritiers piocheront allègrement.
Little Richard – Lucille
Le Warhawk fait salle comble à chaque concert, subjuguant son public par des envolées vocales audacieuses et délirantes. Il martèle au piano un boogie où se pose souvent les solos du saxophoniste Lee Allen…
Little Richard – Keep a Knocking
Sur les radios du pays, son cri reconnaissable entre mille va devenir sa marque de fabrique. S’il n’a fait qu’emprunter cette habitude au rythm & blues, Little Richard devient le premier « screamer » du rock’n’roll. Janis Joplin, Terry Reid, Steve Marriott, Robert Plant et bien d’autres lui succèderont.
Little Richard – Good Golly Miss Molly
C’est là qu’intervient la malédiction du rock des 50’s ! Pour certains, elle porte un nom : le puritanisme. En effet, si c’est bien la fatalité qui s’est chargée des malheureux Buddy Holly, Ritchie Valens (1959) et Eddie Cochran (1960), d’autres cas laissent songeur…
Elvis Presley s’est vu détourné par son habile manager (le Colonel Parker) du rock sauvage et sensuel de ses débuts dans le but d’acquérir un plus large public. Comme si cela ne suffisait pas, on envoie le King effectuer son service militaire en Allemagne. Jerry Lee Lewis, pianiste surdoué et provocateur, est boycotté à cause d’un mariage méprisé avec une cousine éloignée (et certes âgée de 13 ans). Quant à Chuck Berry, il est emprisonné pour une douteuse affaire de viol…
Mort… puis ressuscité par la vague britonne
Dans cette société dirigée par l’establishment conservateur d’Einsenhower qui s’obstine à présenter le rock’n’roll comme une musique démoniaque, mis à l’index par les membres de sa famille et fragilisé par sa condition d’artiste noir, Little Richard se sent perdre pied.
Ses irritations sont légendaires, et son ego grossissant il va même jusqu’à virer un jeune guitariste prometteur se faisant appeler Jimmy James (Jimi Hendrix). En 1958, sous la pression d’un redressement fiscal, il décide de stopper sa carrière, en pleine gloire, afin de rejoindre une école religieuse en Alabama, et y étudier la théologie.
Heureusement, quatre ans plus tard, « quatre garçons dans le vent » venus de Liverpool déclencheront un nouveau séisme rock. Ils feront au passage l’apologie de Little Richard dans leurs interviews, lui rendant fréquemment hommage lors de leurs concerts.
Attiré par les sirènes de la gloire, le fou chantant sortira de sa réserve pour reprendre une carrière à la longévité insoupçonnable. A 87 ans, le grand Little Richard restait une des dernières légendes vivantes du rock’n’roll. Le 9 mai 2020, il a fini par rejoindre ses comparses d’antan, laissant le ciel se doter d’un nouveau cri : “ A Wop Bop A Loo Bop A Lop Bam Boom ! ”
Serge Debono
[…] donnaient le ton. Dans l’euphorie, même l’interprétation de Robert Plant prend des airs de Little Richard. D’ailleurs, le texte a lui aussi quelque chose de l’ancien […]