Lou Reed : Street Hassle – Panic à dandy parc

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Poète maudit, écrivain rock, dandy électrique : Lou Reed fut tout cela et bien plus encore.

Son erreur est surtout d’avoir eu raison trop tôt, d’avoir posé les bases de ses récits sordides alors que les hippies voulaient encore croire à leurs rêves pacifistes.

Lou Reed : Street Hassle

Lou Reed Street Hassle
Lou Reed – Street Hassle

Et pourtant, le proto punk du Velvet n’était pas réellement dirigé contre eux. Il annonçait ce que le rock serait après eux. Je ne parle pas seulement du punk, tarte à la crème envoyée au visage d’un rock devenu complaisant, mais du ton que prirent les œuvres qui suivirent l’album à la banane.

Des Stones de Sticky Fingers à Bowie , en passant par l’agressivité hard rock , tous ont une dette envers le premier Velvet.

Enfin non, plus précisément envers les deux premiers Velvet Underground, le chaos de Sister Ray contenant une puissance corrosive que les sauvages de Détroit ne feront qu’effleurer.
Lou voulait diriger le groupe, mais il lui a toujours filé entre les doigts. Récupéré par Warhol, puis par John Cale, avant que Doug Yule ne s’en serve pour tenter de se façonner une renommée. Il fallait vraiment être maudit pour écrire des tubes comme Rock’n’Roll et Sweet Jane dans l’indifférence totale. Car Loaded était un autre chef d’œuvre de son Velvet, le dernier avant l’explosion.

Lou Reed : Rock and Roll

Poussé vers la sortie par Doug Yule , Reed démarre une carrière solo avec un disque au son presque stonien , avant de sortir le grandiose Berlin. Si chaque vers du grand méchant Lou étaient des pavés envoyés à la figure du rêve hippie, ceux de Berlin sont de véritables coups de poignard. Décrit comme un «film pour l’esprit» par son géniteur, cette histoire de couple en pleine déchéance narcotique avait encore plus de force que «Panique à Needle Park», le long métrage qui révéla Al Pacino.

Panique à Needle Park

C’est aussi l’album dont Lou Reed ne se remettra jamais. Dans l’excellent hors-série que lui consacre rock et folk, une ancienne interview montre son sentiment ambivalent pour cette œuvre incontournable. Il est fier de Berlin mais «cette saloperie a fait trop de mal à ceux qui l’ont écouté», ce qui explique sans doute que le grand public a fui cet amas de souffrances.

Première cicatrice et crie de douleur magnifique

La fin du Velvet Underground fut une première cicatrice, l’échec commercial de Berlin sera le coup de grâce. Devenu une caricature de lui-même, Lou arrive sur scène porté par ses musiciens et, si il parvient tout de même à mettre une fessée au blanc bec du heavy rock sur Rock’n’Roll animal, son amertume l’incite rapidement à produire son premier suicide artistique.

Toujours dans le même hors-série de Rock&folk, Lou Reed affirmait que «si vous écoutez Metal Machine Music d’une traite, alors vous êtes encore plus con que moi». Cette série de «bruits de tôles froissées», comme disait Lester Bangs, n’est le précurseur de rien du tout. C’est le cri de douleur d’un artiste qui veut se détruire.

Mais la déprime n’est pas constante, elle est parsemée d’éclaircies lumineuses, qui permettent au malade de renaître de ses cendres. Et le Phoenix Lou Reed allait transformer la dernière chance offerte par sa maison de disque en l’album le plus « beau » de son répertoire.

La douceur sous le cuir et le naturel retrouvé

«Cosney Island Baby» était sa lettre d’excuse à sa maison de disque, une douce série de comptines romantiques inspirées par son amour pour Rachel. Creusant le même sillon désuet, Rock’n’Roll Heart est une autre perle oubliée du répertoire Reedien.

Mais chassez le naturel et il revient visiter les bas-fonds de New-York. Celui qui initia la violence des Seventies ne pouvait passer le reste de sa carrière à chanter ses romances désuètes.

lou Reed – Coney Island Baby

Street Hassle est LE chef d’œuvre absolu de celui que l’on nomme vulgairement l’inventeur du punk. C’est Berlin en plus agressif. Un brûlot hargneux débarrassant définitivement son auteur de la niaiserie glam que lui a collé Bowie.

Et ne me parlez pas de Punk, ce disque est largement au-dessus. Sa violence n’a pas besoin d’être surjouée par un quelconque Rotten braillard.  Si des années 60 à la sortie d’Exil on the main street, le rock fut incarné par le feeling implacable de Keith Richards, en 1978 il prend les traits de Reed.

Démarrant part un riff à la Sweet Jane, “Gimmie some good time” semble parodier le passé de ce Rock’n’Roll Animal, qui fait un sort à son passé avant de passer à la suite.

«Donne moi du bon temps. Donne moi de la douleur. Qu’importe à quel point tu es laid. Tu sais pour moi ça revient au même».

Ces paroles nous ramènent tranquillement dans le monde nihiliste et sordide que Lou a toujours décrit avec une justesse unique.

On a ensuite droit à Dirt, glaviot hargneux que Lou envoie à la figure de son imprésario arriviste. Il  s’adresse directement à cet imprésario, élargissant son constat en parlant de «tous ceux de ton espèce, qui mangeriez de la merde en disant que c’est bon, si ça pouvait rapporter de l’argent».

Quelques mois avant le Clash, Reed conclut sa diatribe sur les mots de Bobby Fuller, “I fought the law, and the law wo”, le tout sur un riff groovy que le groupe de Strummer ne pourra reproduire.

Valse sordide et fascinante

Puis on entre dans le véritable point d’orgue de ce disque, l’explosion qui permet de différencier un classique de la masse beuglante, Street Hassle. Cette pièce musicale en trois actes est la synthèse de tout ce que Lou tente de faire depuis le début du Velvet. C’est également une concrétisation en 12 minutes de ce que Berlin a magnifiquement introduit.

Ce qui marque le plus dans cette histoire, comme dans Berlin, c’est l’absence totale d’empathie dont fait preuve son auteur. D’abord racontée d’un point de vue extérieur lors du premier acte, où Mathilde s’offre les services d’un gigolo, la scène est décrite avec un détachement sordide. Puis, lorsque le second acte raconte son overdose, c’est sous les traits de son ami déclarant «cette conne ne baisera plus jamais».

Pour la dernière partie de ce crescendo désespéré, la basse entre dans la valse entretenue par un violoncelle grandiloquent, Lou Reed annonçant enfin un peu de compassion à travers un solo d’une douceur irrésistible. Mais Reed ne pouvait prendre en charge le monologue final, il ne serait pas crédible dans ce registre. Il appelle donc Springsteen, qui enregistrait à l’étage du dessous, et lui demande de déclamer la lamentation finale.

«C’est une chanson douloureuse, avec beaucoup de vérités tristes. Un penny pour un vœu et les vœux ça ne suffit pas Joe, là un baiser, un joli visage ne peut pas faire ce qu’il veut, pourtant les clochards comme nous sont faits pour payer.»

Reed reprend rapidement le micro pour exprimer sa tristesse liée à la fin de son histoire avec Rachel, mais je préfère considérer que le véritable point final se situe dans ce passage Springsteenien.

Street Hassle (le titre) est l’intermède d’un disque plein de hargne, exprimé par des guitares grondantes, tronçonnant le rythme sur une cadence réapprenant aux punks les bases du vrai Rock’n’Roll. Et, quand le dandy de New-York s’en prend aux black muslims sur «I Wanna be black», il donne une nouvelle vision de la Protest Song.

Une nouvelle vision de la protest song avant le retour au rock

Celle-ci n’est plus destinée à émouvoir des foules apathiques. Elle les provoque, les secoue, répondant à la saloperie ambiante en lançant un discours où la provocation s’apparente à de la violence. «Je veux être noir / éjaculer six mètres de foutre / et casser du juif» lance t-il pour se moquer du leader des Black Muslims. Ce dernier déclarait: «Les antisémites, c’étaient tous ceux qui n’aimaient pas les juifs, maintenant c’est tous ceux que les juifs n’aiment pas». Le texte de Reed est bien sûr à prendre au troisième degré, et grâce à lui Chuck Berry semble avoir croisé la subversion Nietzschéenne.

Musicalement, c’est bien le brio rythmique des musiciens noirs que le titre tente d’imiter, et il y parvient avec une force à faire rougir les Stones. Avant d’être une farce contre le nouvel antisémitisme, la petite bourgeoisie, et les macs new-yorkais, I wanna be black annonce le retour au Rock’n’Roll qu’on avait un peu quitté avec la transe magnifique de Street Hassle.

Le disque se clôt donc sur un quatuor de rocks simples. Tantôt proches de l’énergie Cochranienne, empreint d’un rythme lourd comme le plomb, il mène à une légèreté qui ressemble à la lumière au bout du tunnel.

Puissant, dérangeant, fascinant, Street Hassle est la quintessence du Lou Reed des seventies. C’est le monument d’un artiste snobé qui, le temps d’un disque, est devenu la réincarnation du rock .

Benjamin Bailleux

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