Alain Bashung, le temps d’une Fantaisie Militaire

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Fantaisie Militaire : le sommet de la carrière de Bashung?
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Le dixième opus d’Alain Bashung est sorti le 6 janvier 1998, quatre ans après le succès de ChattertonFantaisie Militaire, un disque qui résonne comme l’expression de la déroute sentimentale et de la perte des repères pour Alain Bashung alors anéanti par sa séparation.
Expérience musicale mais également littéraire, jusque dans son titre en forme d’oxymore, donnant en deux mots la tonalité décalée de l’album, et pourtant tellement porteuse de sens. C’est évidement l’art des grands poètes que de nous faire toucher le sens à travers l’insensé. Militaire comme son exigence artistique, fantaisiste à l’image de son état esprit de l’époque… moralement ébranlé, mais artistiquement déterminé.

Je sais plus qui tu es. Qui a commencé. Quelle est la mission. L’honneur tu l’as perdu, sur ce lit de bataille.

Fantaisie Militaire : Une pépite dans la carrière de Bashung

Pour la composition, Bashung s’est entouré du groupe les Valentins, de Richard Mortier qu’il connaît à l’époque depuis quelques années, de l’excellent Rodolphe Burger, Joseph Racaille, Adrian Utley (le guitariste de Portishead), Édith Fambuena et Ian Caple, un ingénieur du son et réalisateur anglais. La plupart des textes sont co-signés par Alain Bashung et Jean Fauque avec qui il a déjà longuement travaillé.

Bashung s’entourait déjà de nombreux musiciens pour mettre en musique les textes de ses chansons. Mais sur cet album, sa participation est encore plus directive. Elle est à la fois celle d’un brillant chef d’orchestre et d’un artisan bidouilleur, un brin apprenti magicien.

Et Pro Tools entre dans la danse …

A cette époque, Bashung découvre alors la fluidité de l’enregistrement multi-piste numérique. Dans ses maquettes, il utilise les différentes pistes sur un ordinateur, les coupants, les déplaçant, les mixant parfois… Tel un orfèvre, il ajuste son bijou dans un écrin d’argent, retravaillant sans cesse les compos.

Derrière l’expérimentation, l’envie de réaliser un disque vraiment novateur. Bashung ne doit pas ressembler à du Bashung ! Son opiniâtreté sera largement couronnée, l’album est exceptionnel et le succès est en plus au rendez-vous.

Le contexte :

Bashung ainsi que Jean Fauque (son co-parolier) sont à cette époque au plus mal sur le plan personnel… Bashung vient de divorcer, il s’est isolé dans un appartement sombre dans l’un des points les plus chauds du quartier de Belleville à Paris. L’atmosphère est lourde et pesante, et dans cet appartement bas de plafond, les deux hommes opèrent à la manière chirurgicale, les ébauches des longs textes écrits par Jean Fauque portant parfois sur plus d’une dizaine de pages. En retirer l’essentiel, extraire la substantifique moelle, quitte à parfois mélanger certains écrits. Rien ne les arrête dans ce processus créatif alchimique. Et pour en rajouter une dose, Bashung décide alors de travailler sur plusieurs textes en même temps. Le processus développé est lent et laborieux, mais étonnement efficace et innovant. Une technique largement inspirée du Cut-up cher à William S. Burroughs.

Jean Fauque:

“Il lui arrivait de déplacer un bout d’un texte vers un autre. Alain changeait les choses de place, ne gardait qu’une phrase pour construire autre chose autour. Il voulait placer la barre toujours un peu plus haut. Son niveau d’exigence grimpait d’album en album, il avait trop peur de la redite, de la facilité.”

Alain Bashung – Malaxe

Tortueux, l’artiste expérimente également le processus pour la création musicale. Il enregistre alors toutes les voix témoins sur des maquettes accompagnées d’ un simple rythme binaire. La proposition est envoyée à son équipe de compositeurs : il les appelle ses Bidouilleurs. Parmi eux, Richard Mortier qui fut son guitariste sur scène pendant cinq ans. Mais également Jean-Louis Piérot des Valentins, un homme qui lui est présenté et avec qui le coup de cœur artistique et humain est manifeste.

Jean Lamoot coordonne l’ensemble. Cet ingénieur du son au caractère discret est à l’époque l’un des rares en France à maîtriser ProTools. La découverte du désormais célèbre logiciel de MAO est pour Bashung une opportunité de réaliser son fantasme musical. Se libérant soudainement de toutes les contraintes de l’enregistrement traditionnel, son ingénieur du son novateur lui ouvre les portes de l’expérimentation technologique. Il va enfin pouvoir triturer, déplacer, mettre en œuvre ses talents de réalisateur. Il orchestre ses désirs tout en les laissant se réaliser dans les mains et oreilles de ses Bidouilleurs, compositeurs et arrangeurs de talents. Le titre Malaxe est à ce titre une très belle allégorie du travail accompli sur cet album.

Je n’étais qu’une ébauche au pied de la falaise
Un extrait de roche sous l’éboulis
Dans ma cité lacustre à broyer des fadaises

Malaxe, Le cœur de l’automate
les omoplates
Malaxe le thorax

Autre perle incandescente un peu à part dans la production générale, le titre Samuel Hall. Il est le seul à ne pas découler directement de la collaboration Fauque/Bashung. Leurs deux auteurs, l’ex-leader de Kat Onoma, Rodolphe Burger et l’écrivain Olivier Cadiot se découvrent alors dans la création originale d’une chanson infiniment moderne pour son époque. Un titre où le sarcasme et la violence verbale s’emparent d’une atmosphère sombre et dépressive, saccadée par des rythmes beat/bass oppressants. Les deux hommes (Olivier Cadiot et Rodolphe Burger) se retrouveront d’ailleurs en 2017 sur l’album Good de Rodolphe Burger.

Alain Bashung – Samuel Hall

Et puis, comble d’amusement, Bashung sortira tardivement de sa malle aux trésors le texte de La nuit je mens. Telle une cerise sur le gâteau, elle devient la pierre angulaire de l’album Fantaisie Militaire. Le succès majeur, est incontournable. Il portera le disque aux oreilles du tout public, ouvrant à la popularité cet alambic de créativité musicale, d’où sortira cette Fantaisie Militaire alcoolisée, aussi éthérée qu’enivrante.

La nuit je mens

Une Poésie moderne, mâtinée d’atmosphères Rock, Trip Hop et urbaines… l’album Fantaisie Militaire d’Alain Bashung.

Auguste Marshal

Un très bel ouvrage sur Alain Bashung :

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