Les débuts d’un groupe aussi célèbre que le rock’n’roll
Le premier album des Rolling Stones est sorti le 16 avril 1964. Bien avant de devenir des dinosaures de stade faisant fructifier une entreprise juteuse, avec leurs gueules tout droit sorties d’Orange Mécanique, regards blasés et sourires narquois, ils représentaient le rock rebelle et désinvolte.

Les Stones incarnaient déjà le slogan à venir, sexe, drogue et rock’n’roll. En 1964, férus de musiques noires, ils représentaient également avec The Animals, le maillon blues essentiel du genre.
The Rolling Stones – Walking The Dog (premier album des Rolling Stones)
Comme le souligne Bill Wyman (bassiste des Rolling Stones), dans une interview :
“Brian Jones a créé le groupe. Il lui a donné un nom, a choisi la musique que l’on jouait. Et il nous a trouvé des concerts…”
Alors honneur à Brian Jones, sans qui ce premier album éponyme n’aurait pas vu le jour. Et sans qui, l’histoire des Rolling Stones ne serait peut-être pas…

Brian Jones voit le jour en février 1942 dans le sud-ouest de l’Angleterre. Fils de deux musiciens, son père joue de l’orgue à l’église et sa mère est professeur de piano. Tout jeune, Brian Jones les tanne pour avoir un saxophone. Intéressé par le jazz, il est aussi adepte de blues. Notamment de Jimmy Reed…
The Rolling Stones – Honest I Do (premier album des Rolling Stones)
A l’école, il est un élève doué avec des facilités en science-physique, chimie et biologie. Le problème de Brian, c’est qu’il ne supporte pas l’autorité. Il est renvoyé deux fois du lycée, la deuxième après avoir mis enceinte une camarade de classe. Dans la vieille Angleterre puritaine, l’humiliation pour lui et sa famille est terrible. La chose est même évoquée dans le journal local. Ses parents l’expédient en Allemagne le temps que les choses se tassent. Mais à son retour, tout le monde refuse de l’approcher ou d’être vu en sa compagnie. Afin de s’évader, Brian s’enferme dans sa chambre, et se déride avec les rythmes syncopés de Buddy Holly…
The Rolling Stones – Not Fade Away (premier album des Rolling Stones)
Brian Jones n’a que 16 ans lorsqu’il quitte la maison pour s’en aller mener une vie d’errance dans le nord de l’Europe, sur les routes de Scandinavie. Un périple qui lui vaudra plus tard le surnom de Prince du Danemark (qui fait aussi référence à Hamlet). En tout cas, il en profite pour s’initier à la guitare, tentant vainement de gagner sa vie en jouant dans la rue.

En 1961, de retour à Londres et âgé de 18 ans, il s’installe avec la mère de son troisième enfant. Il se lie avec les figures naissantes du blues-rock anglais, Jack Bruce, futur membre de Cream, Manfred Mann, ou encore Alexis Korner qui lui propose de venir mettre de la guitare slide au sein de son groupe Blues Incorporated. C’est dans cette formation qu’il fait la connaissance d’un chanteur aux yeux clair et aux lèvres charnues, et d’un guitariste discret et ténébreux. Tous deux sont fans de Chuck Berry, et répondent aux noms de Mick Jagger et Keith Richards…
The Rolling Stones – Carol (premier album des Rolling Stones)
C’est dans la petite ville ouvrière de Dartford, située à 25 kilomètres du coeur de Londres, que se forme le plus célèbre binôme du rock’n’roll. Mick Jagger et Keith Richards voient tous deux le jour en 1943 au Livingstone Hospital avant de fréquenter la même maternelle, puis la même école primaire. A l’origine, ils sont issus d’un milieu relativement modeste, mais la famille Jagger voit son niveau de vie s’élever, après que le père, professeur d’éducation physique, ait été choisi pour présenter la première émission d’aérobic diffusée sur la télévision anglaise. Une émission dans laquelle, Mick âgé de 14 ans, fait ses débuts devant les caméras.
Extrait de l’émission Seeing Sport (1959)
Durant l’enfance, Mick Jagger et Keith Richards se fréquentent, vivent dans le même quartier, mais ne sont pas encore complices. Il faut attendre le 17 octobre 1961 pour que l’alchimie se produise enfin. Âgés de 18 ans, les futurs Glimmer Twins se rencontrent sur le quai de la gare de Dartford.

Après avoir évoqué des souvenirs d’enfance, ils échangent sur leurs cursus scolaires respectifs. Keith a intégré une école d’art, Mick une école de commerce. Mais l’essentiel est ailleurs. Keith Richards a une guitare sous le bras, Mick Jagger deux 33 tours dans les mains. L’un de Chuck Berry, l’autre de Muddy Waters. Il prétend les avoir commandés directement à Chicago, à la maison de disques Chess Records.
The Rolling Stones – I Just Want To Make Love To You
Mick évoque également le groupe dont il fait partie, Little Boy Blue and The Blues Boys. Se pensant seul à aimer la musique noire, Keith Richards est aux anges. De plus, les deux teen-agers se découvrent un ami en commun, Dick Taylor, membre du groupe de Mick. Keith invite le chanteur à prendre le thé, en retour Mick invite le guitariste à rejoindre son groupe.

Dans cette petite gare, un lieu très représentatif d’une musique itinérante comme le blues, c’est bien cette musique noire américaine qui va sceller l’amitié de ces deux jeunes anglais.
The Rolling Stones – Mona (premier album des Rolling Stones)
En 1962, Brian Jones amène donc avec lui son talent d’harmoniciste et de multi-instrumentiste. Mais aussi son charisme ravageur et son âme de leader. Dick Taylor renonce à se coltiner la basse, cède sa place à Bill Wyman et s’en va monter les Pretty Things. Quant au batteur, Mick Avory, il rejoint les Kinks des frères Davies.
Charlie Watts est alors batteur au sein des Blues Incorporated, groupe d’Alexis Korner dans lequel Mick Jagger assure fréquemment la partie vocale. Mick parvient à le convaincre d’intégrer sa formation.

Mick est un chanteur à la beauté androgyne capable de fondre le blues dans un phrasé anglais avec un flegme irrésistible. Keith et ses riffs caractéristiques sont une version garage-rock de Chuck Berry. Bill, un bassiste talentueux et possédant une formation de technicien en aéronautique à la Royal Air Force. Quant à Charlie, c’est un batteur adepte de jazz, dont le toucher va grandement contribuer au son du groupe.
Le line up légendaire est en place. Jagger, Richards, Jones, Wyman et Watts ne vont pas tarder à concurrencer The Beatles, The Hollies et The Animals.
The Rolling Stones – Route 66 (premier album des Rolling Stones)
Si on en croit la légende, c’est encore un disque de blues qui décide de leur destin. Un disque de blues, et Brian Jones. Tandis que ce dernier prospecte par téléphone auprès du magazine Jazz News, pour faire connaître sa nouvelle formation, son interlocuteur lui demande comment se nomme le groupe. Un peu pris de court, Brian pioche un nom au hasard parmi des disques étalés sur le sol. Au dos d’un Best of de Muddy Waters figure le titre Rollin’ Stone…
Muddy Waters – Rollin’ Stone
Mais Jones est bien plus qu’un substitut de manager. Si durant les premiers temps et les premières prestations du groupe, notamment au Crawdaddy Club de Londres, le public se focalise sur lui et non sur Mick Jagger, ce n’est pas seulement en raison de son aura de prince et de son look branché de Carnaby Street.
Brian Jones est également un bon guitariste. Mais c’est surtout son côté homme-orchestre qui impressionne et donne souvent une teinte originale aux instrumentaux des Rolling Stones.

Sur de nombreux standards du groupe, il amènera des sonorités diverses par le biais d’une vingtaine d’instruments encore peu répandus. Xylophone, marimba, sitar, dulcimer, mellotron, flûte, hautbois. Brian Jones touche à tout. Son niveau d’harmonica se situe très au-dessus de la moyenne des jeunes anglais. Et on raconte même qu’il serait à l’origine de l’introduction en Angleterre du bottleneck (slide en verre ou goulot de bouteille utilisé par les bluesmen). A l’époque, hormis les pionniers Alexis Korner et John Mayall, rares sont les britanniques possédant une telle maîtrise du blues américain.
The Rolling Stones – I’m a King Bee (premier album des Rolling Stones)
Fans des premières productions de Tamla-Motown, Mick Jagger et Keith Richards amènent leur fibre soul et rhythm & blues. Quelques mois plus tard, à l’occasion d’une émission de télévision américaine, ils prendront une petite leçon de spectacle enrichissante, en succédant sur scène à un show dantesque de James Brown. En attendant, à l’instar des Animals, ils contribuent par leur reprises et leur orientation musicale, à introduire la Musique Noire dans les foyers Blancs.
Dans ce premier opus, on peut déjà noter la présence du pianiste Ian Stewart, souvent considéré comme le Sixième Stones.

Notamment sur ce titre composé en 1963 chez Motown, par le trio Holland-Dozier-Holland, pour un certain Marvin Gaye…
Can I Get a Witness ?
Comme je le disais plus haut, l’influence de Brian Jones sur le groupe est considérable. Même si l’ange blond a bien du mal à composer un titre de A à Z. Néanmoins, sa popularité et son apport au niveau de la communication l’incite à demander des royalties supérieures à ses acolytes. Personne n’ose broncher, car c’est encore lui la star du groupe.

Jusqu’à l’arrivée d’un vrai manager, Andrew Loog Oldham, en 1963. Ce dernier va lentement évincer le multi-instrumentiste, au profit du duo Jagger-Richards, qu’il incite à se mettre à la composition. Car c’est là en effet, un point qui les éloigne considérablement des Beatles. Le répertoire des Stones ne contient alors que des reprises.
You Can Make it If You Try
La légende raconte que Oldham est allé jusqu’à enfermer Keith Richards et Mick Jagger dans la cuisine d’un appartement de Willesden (Londres), leur indiquant qu’ils ne sortiraient qu’après avoir créé un titre de toute pièce. La méthode est rude mais semble efficace.

Le duo ressort avec deux compos. Le titre It Should Be You, et la douce ballade As Tears Go By. Mais craignant que cette dernière ne fausse leur image, ils l’offrent à Marianne Faithfull. Et optent pour une seconde, plus dans l’air du temps, façon Ronettes…
The Rolling Stones – Tell Me
Not Fade Away, composition de Buddy Holly datant de 1957, et qui brille par son fameux Diddley Beat (rythme popularisé par Bo Diddley), est le premier single extrait de l’album. Auparavant, les Stones avaient déjà publié deux 45 tours, une reprise du titre Come On (Chuck Berry), et I Wanna Be Your Man (offert par les Beatles).

Leur version de Not Fade Away a bénéficié des talents de Phil Spector, de passage aux studios Regent Sounds. Juste après son enregistrement, le producteur et Mick Jagger s’éclipsent sans rien dire. Et reviennent une heure plus tard avec une nouvelle composition. Le titre Little By Little comprend également la contribution du chanteur et pianiste Gene Pitney. Ainsi que deux membres des Hollies dans les choeurs, Graham Nash et Allan Clarke.
Little By Little
Voilà comment les Stones ont lancé leur odyssée. Un premier chapitre sous le signe du blues (et de Brian Jones), puisé dans la douce sauvagerie du rock primal et les prémices du garage. Trois ingrédients présents sur la majeure partie de leur discographie, auxquels les Stones vont appliquer leur flegme et leur sens du groove. Se forgeant un style souvent imité, mais rarement égalé.
Serge Debono












