Quand Josh Homme et l’ombre de Bowie veillent sur l’Iguane
Post Pop Depression, dix-septième album d’Iggy Pop, est une œuvre publiée en mars 2016. Deux mois après la disparition de son ami, ange-gardien, et parfois mentor, l’inoubliable David Bowie. Un album indéniablement traversé par son fantôme.

Sur cet opus, Bowie est partout. D’abord dans l’héritage de l’artiste et producteur Josh Homme. Mais aussi dans les chœurs. Dans les sonorités flirtant parfois avec l’Asie, ou le krautrock germanique. Dans le groove entêtant d’une basse pesante. Disséminé un peu partout sur l’album, la patte du Thin White Duke semble s’être matérialisée comme par magie, afin de ramener un Iggy Pop assagi au sommet de son art.
Iggy Pop – American Valhalla (Post Pop Depression)
Bien que l’on ait annoncé sa mort imminente un nombre incalculable de fois, Iggy Pop s’approche doucement des 80 ans. Et il faut bien le reconnaître, cela relève un peu du miracle. Quand au début des seventies, l’iguane se scarifiait sur scène avec les Stooges, testant les limites de son corps et de son esprit en s’infligeant des doses massives d’alcool et de stupéfiants, ils n’étaient pas nombreux à croire en sa longévité. Lui, encore moins.
Mais on le sait bien, les talents de David Bowie dépassaient le cadre de la musique. Ses qualités de visionnaire sont aujourd’hui légendaires. Alors, lorsqu’au milieu des seventies, le roi du glam-rock vient arracher Iggy Pop aux traitements abrutissants d’un hôpital psychiatrique, l’Iguane s’étonne qu’un artiste aussi doué et en pleine réussite, daigne s’intéresser à son sort. Néanmoins, il saisit la main tendue par David Bowie.

Ce dernier, traumatisé par l’expérience de son demi-frère schizophrène, n’a pas une grande confiance dans la médecine occidentale. Il propose à Iggy un sevrage d’un autre genre. Une virée prolongée à Berlin. Histoire de marcher dans les pas de Bertolt Brecht, de se nourrir des tendances avant-gardistes de l’électro et du krautrock. Iggy Pop se laisse convaincre. Son combat contre l’addiction sera bien plus long et complexe. Mais en terres allemandes, aux côtés de son ange redevenu blond, il va composer ses deux premiers albums solo. The Idiot et Lust for Life, tous deux publiés en 1977.
Deux albums plébiscités, et une foule de souvenirs, que Iggy Pop souhaite enfin exhumer au début de l’année 2015. Au moment de se lancer dans l’écriture de Post Pop Depression, son dix-septième album studio.
Iggy Pop – German Days (Post Pop Depression)
En 2015, pour la première fois de sa longue carrière, Iggy Pop accepte donc de se poser un moment pour faire le point. Jusqu’au boutiste au point de tirer la barbe de la faucheuse à plusieurs reprises (il a sans doute bénéficié de cette insouciance), lui qui a toujours avancé sans se retourner, daigne enfin regarder en arrière.

En somme, Iggy s’autorise un peu de nostalgie. Pas pour un énième documentaire ou une biographie, mais pour un grand album. Dans cette perspective, il fait appel à un talent du 21ème siècle. Iggy envoie un texto à Josh Homme, leader du groupe Queens of The Stone Age et Eagles of Death Metal, afin qu’il compose la musique et assure la production de son nouvel opus. Il affectionne son rock désertique et fougueux, ainsi que ses harmonies vocales. Cerise sur le gâteau, outre l’admiration qu’il porte à l’Iguane, Josh Homme est un fan inconditionnel… de David Bowie !
Iggy Pop – Gardenia (Post Pop Depression)
L’idée semble excellente et pourrait bien relancer la carrière internationale d’un Iggy Pop devenu iconique depuis l’apparition d’internet.
Le travail commence à distance. L’iguane rassemble ses vieux carnets et travaille sur les textes, Josh Homme cherche des mélodies et explore des instrumentaux pouvant servir de toile de fond. Mais deux événements macabres vont influencer l’enregistrement de Post Pop Depression, et ainsi rapprocher les deux hommes.

Le 13 novembre 2015, Josh Homme donne un concert à Paris, sur la scène du Bataclan, avec son groupe Eagles of Death Metal, lorsque des terroristes se mettent à mitrailler la foule. Josh Homme s’en tire sans une égratignure. Mais inutile de dire que le traumatisme lié à cette sordide expérience est énorme.
De son côté, Iggy Pop n’est pas au mieux. Il vient d’apprendre que le cancer de son vieil ami, David Bowie, a repris le dessus. Cela ne fait qu’accentuer la nostalgie engendrée par son nouveau projet, stimulant son inspiration par le biais d’une certaine mélancolie. Mais Iggy ne souhaite pas brusquer son nouveau collaborateur après l’épreuve qu’il vient de vivre.
Quand la nouvelle tombe le 10 janvier 2016, et qu’on annonce partout dans le monde la mort de David Bowie, Josh Homme ne manque pas d’appeler Iggy pour le soutenir. Les deux hommes réalisent que se plonger dans le travail serait la meilleure des choses. Pour l’un, comme pour l’autre. Le 12 janvier, ils investissent les studios de Rancho de la Luna, en plein cœur du désert californien de Joshua Tree.
Iggy Pop – Vulture (Post Pop Depression)
Josh Homme, et Dean Fertita son compère des Queens of The Stone Age, tous deux multi-instrumentistes, vont nourrir l’album Post Pop Depression d’une grande richesse instrumentale. Pour la section rythmique, Josh Homme se charge de la basse et fait appel à Matt Helders, batteur des Arctic Monkeys.
Iggy Pop ayant connu durant sa carrière une myriade de maison disques, avec des fortunes diverses, il décide de financer lui-même le projet, avec l’aide de Josh Homme. Par ailleurs, Iggy n’a jamais semblé si impliqué sur un album. Il parle “de finir sur un truc bien” et dira même “après ça j’arrête”. Pensant sans doute qu’il aurait dû passer de l’autre côté avant son pote Bowie, à 68 ans, il fignole et peaufine son baroud d’honneur.

L’enregistrement est tenu secret, et ces quatre hommes tricotant du rock dans le désert de Mojaves semblent seuls au monde. Le soir, quand la température dégringole, les bières tournent et les joints d’herbe grésillent, entre Josh Homme, Dean Fertita et Matt Helders, qui se surnomment eux-mêmes les Iggiots (les idiots d’Iggy). Pendant que Iggy rassemble dans son esprit les rires et les parfums, et fait un parallèle avec sa jeunesse…
« J’ai eu les Stooges, puis David Bowie. Avec Josh Homme, je retrouve une alchimie du même calibre. Ce n’est pas évident de tomber sur quelqu’un qui vous intéresse autant que vous l’intéressez. Josh a tous les talents. Il sait me stimuler, il fourmille d’idées. Une confiance s’est établie avec lui, sans rivalité, ni jalousie. Josh écrit des mélodies qui ont du cul, des trucs charnels. Ce garçon a de la voilure. »
Iggy Pop – Chocolate Drops (Post Pop Depression)
La majeure partie des titres composant l’album Post Pop Depression reflètent l’état d’esprit d’un imminent septuagénaire voyant défiler le film de sa folle existence, des années de furia rock, d’expériences insolites, et de rencontres mémorables. C’est également le questionnement d’un trublion s’étant toujours joué de la mort, et qui commence à comprendre qu’elle finira par avoir sa peau.
Iggy Pop écrit le titre Paraguay quelques années plus tôt alors qu’il effectue une dernière tournée avec The Stooges, le groupe qui l’a révélé. Ce titre mélancolique exprime la quête de repos d’un guerrier ayant bravé mille concerts frénétiques, laissant un bout de lui-même à chaque fois.
» Tout n’était que bruit et fureur. J’étais las, fatigué d’Iggy le chien fou que tout le monde acclamait. J’avais envie de disparaître. »
L’Iguane s’est donc projeté mentalement loin de chez lui. Jusqu’en Amérique du Sud. En terre Guarani. Dans la forêt subtropicale du Paraguay.
Iggy Pop – Paraguay (Post Pop Depression)
En 1967, Iggy Pop eut une révélation après avoir assisté à un concert des Doors. Très vite, il allait s’inspirer du jeu de scène sexy et provoquant de Jim Morrison, se faisant notamment une spécialité du stage diving (action de se jeter dans la foule). Mais l’Iguane et le Roi Lézard avaient autre chose en commun. Une voix de baryton. Un atout généralement favorable aux crooners que Bowie avait su déceler chez lui, l’encourageant sur ses deux premiers albums solos à en user. Comme sur le célèbre titre, The Passenger.
Mais le temps qui passe, et les modes successives ont conféré à Iggy Pop le statut de « père du punk ». Un titre définitivement validé par la génération grunge durant les années 90. L’Iguane a donc repris ses shows déjantés, continuant de pratiquer un rock exigeant où l’énergie est quasiment indispensable.
En 2016, après deux albums de crooner chantés en français, lorsqu’il entre en studio pour enregistrer l’album Post Pop Depression, histoire de mettre les choses au clair, d’emblée il déclare à Josh Homme :
“Je veux faire du rock, mais sans gueuler ni balancer des insultes. Désormais, je suis un baryton.”
Sunday
Quand l’album voit le jour le 18 mars 2016, l’actualité musicale est encore grandement occupée par la mort de David Bowie, survenue deux mois plus tôt.
Comme beaucoup, Iggy y est allé de son hommage, sobre et délicat, un soir de février, à New York. Alors, quand les critiques-rock posent une oreille sur son nouvel opus, non seulement ils s’enthousiasment de le voir revenir au rock avec élégance, mais ils ne peuvent contenir un frisson, tant la texture sonore obtenue par Josh Homme rappelle les plus belles heures de l’artiste aux côtés de David Bowie. Inévitablement, la promo de l’album tourne à l’hommage.
« Ce type m’a sauvé de l’anéantissement professionnel et peut-être même personnel – c’est aussi simple que cela” déclare-t-il au New York Times. « Il m’a ressuscité. Plein de gens étaient curieux de ma personne, mais il était le seul qui avait suffisamment de points communs avec moi et qui aimait ce que je faisais, et qui en outre avait véritablement l’intention de m’aider. »
Break Into Your Heart
Et Josh Homme dans tout ça ? me direz-vous. Permettre à l’une de ses idoles d’enregistrer un dernier album dont il puisse être fier, tout en célébrant sa complicité avec Bowie, c’est selon lui :
“Un rêve ! Le genre de chose que j’ai attendu toute ma vie”.
Dean Fertita, compère de Josh Homme au sein des Queens of The Stone Age, n’a pas chômé, lui non plus. En plus de son apport au niveau instrumental, il est à l’origine du titre de l’album.

« Post Pop Depression » reflète parfaitement le côté flash-back de cet opus, ainsi que les textes désabusés d’Iggy Pop. Sauf qu’il s’est imposé d’une autre manière dans l’esprit de Fertita. C’est le jour du départ d’Iggy Pop, après deux semaines d’enregistrement dans le désert, tandis que Josh Homme, Matt Helders et lui-même déplorent le départ de l’Iguane et constatent que l’ambiance n’est pas des plus joyeuses, que Dean Fertita déclare :
“ Je crois qu’on est en train de faire une Post Pop Depression.”
In The Lobby
Nul doute que nous serons nombreux à faire une Post Pop Depression lorsque Iggy Pop ira rejoindre les icônes disparues du rock. Iggy parlait d’arrêter, toujours est-il que le rocker reptilien a encore publié deux nouveaux albums studio depuis 2016 (Free et Every Loser). Durant les années 60-70, on disait que le rock écourtait l’existence. Des cas comme Mick Jagger, Keith Richards, Eric Burdon, ou Iggy Pop, tendent à prouver le contraire. Alors, longue vie à l’Iguane !
Serge Debono
- Les photos extraites de l’album Post Pop Depression sont à créditer à Andreas Neumann et Matt Helders.


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