Quand l’injustice fédère punks et rastas
The Guns of Brixton, titre contestataire et fédérateur composé par Paul Simonon, fait partie des plus grands standards produits par The Clash. Pourtant, dans un groupe de rock, le bassiste est souvent le moins adulé par les fans, et l’oublié des médias. Quelques exemples ? John Entwistle (The Who), John Paul Jones (Led Zeppelin), Bill Wyman (Rolling Stones), Cliff Williams (AC/DC), Jack Casady (Jefferson Airplane), Simon Gallup (The Cure), Adam Clayton (U2), John Deacon (Queen), Stu Cook (CCR), Roger Glover (Deep Purple, malgré son hit avec Dio)… La liste est longue, et je ne vous parle pas de la solitude de la main gauche de Ray Manzarek (The Doors) !
Plus sérieusement, il existe quelques exceptions comme Paul McCartney (The Beatles), Roger Waters (Pink Floyd), Sid Vicious (Sex Pistols), Nikki Sixx (Mötley Crue), Lemmy Kilmister (Motörhead), Phil Lynott (Thin Lizzy), ou encore Flea (Red Hot Chili Peppers). Auxquels on peut ajouter JJ Burnel (The Stranglers), et le Steve McQueen du rock, Paul Simonon …
Sur le cultissime London Calling sorti en 1979, le bassiste et tombeur du Clash joue un rôle prépondérant. Après avoir profité des conseils du guitariste Mick Jones, les exigences du producteur Guy Stevens vont amener Paul Simonon à un niveau de performance insoupçonné. Contribuant ainsi à bâtir un album qui deviendra par la suite un véritable manifeste rock.
L’envol de Paul Simonon
London Calling permet à Joe Strummer et Mick Jones de devenir le duo de compositeurs le plus célèbre de la planète rock depuis Lennon et McCartney. Cette crédibilité rejaillit également sur le bassiste du Clash.
A partir de London Calling, le bassiste cesse de briller uniquement pour sa belle gueule et ses allures de dandy-rock. Paul Simonon devient un musicien reconnu et respecté. Ce qui conduira, à la fin des années 80, un artiste aussi exigeant que Bob Dylan, à faire appel à ses services.
Paul Simonon, immortalisé en train de fracasser sa basse par la photographe Pennie Smith, est aussi le seul membre du groupe figurant sur la pochette légendaire de London Calling. Pourtant, s’il a pu acquérir cette notoriété, il le doit en partie à sa faculté à dépasser sa fonction. Comme ce fut le cas sur le titre The Guns of Brixton…
The Clash – The Guns of Brixton
A l’instar de Mick Jones, Paul Simonon est natif de Brixton. Un quartier du sud de Londres où la police thatchérienne laisse des traces en cette année 1979.
Encouragé par Joe Strummer, il prend la plume à son tour. Ayant assisté à de violentes descentes de polices durant sa jeunesse, visant aussi bien les punks que les communautés jamaïcaines, il décide de s’en inspirer et de pondre un brûlot destiné aux forces de l’ordre. Simonon décrit la vie difficile des habitants de Brixton, et met en garde la police contre les réactions de ses enfants endurcis. Un conseil avisé, puisqu’en 1981 et 1985, de violentes émeutes éclateront dans ce quartier de Londres.
“You Can Crush Us, You Can Bruise Us,
Vous pouvez nous détruire, Vous pouvez nous meurtrir,
But You’ll Have To Answer to
Mais vous devrez répondre aux
The Guns Of Brixton”
Flingues de Brixton.
L’influence jamaicaïne sur la ligne de basse est indéniable. Et même si le tempo martial de la batterie et les saillies envoûtantes façon sabre laser de Mick Jones viennent flatter les tympans du rocker, la rythmique de Strummer ne laisse aucune équivoque. Guns of Brixton est un ska volontairement bancal, glissant doucement vers un rock universel et revendicateur.
Un standard contestataire et fédérateur
Comme pour affirmer un peu plus sa solidarité, Paul Simonon termine avec une référence claire à la culture jamaïcaine des années 70…
« You see, he feels like Ivan
Tu vois, il se sent comme Ivan
Born under the Brixton sun
Né sous le soleil de Brixton
His game is called survivin‘
Son jeu est appelé la survie
At the end of « The harder they come »
A la fin de » The harder they come «
The Harder They Come est un film indépendant jamaïcain de 1972, sorti en France sous le titre Tout, tout de suite. L’histoire d’une chasse à l’homme, avec Jimmy Cliff dans le rôle-titre (Ivan Martin). Devenu culte, il a permis au reggae de se frayer un chemin sur le marché américain.
Après sa reprise de Police and Thieves (Junior Murvin), The Clash enflamme une torche empoignée par des milliers de ghettos à travers le monde. Le groupe dresse avec le titre Guns of Brixton, un pont officieux entre le rock et le reggae. Entre les punks et les rastas. Comme pour boucler la boucle, Jimmy Cliff en publiera d’ailleurs une reprise sur un album paru en 2012.
Jimmy Cliff – The Guns of Brixton (2012)
Le son du punk rock devenu obsolète durant les 80’s, il faut attendre la renaissance du rock instigué par le grunge durant les 90’s, pour voir le titre ressurgir. The Honeydippers, groupe de rockabilly, applique au titre de Paul Simonon, voix de velours et reverb de guitare Gretsch. Une reprise classieuse…
The Honeydippers – The Guns of Brixton (1996)
Le collectif Nouvelle Vague en livre une bien jolie reprise sur son premier album. C’est la chanteuse, connue aujourd’hui sous le nom de Camille, qui s’exécute. Avec sa voix lascive, soutenue par une guitare pincée, et un piano désossé…
Nouvelle Vague – The Guns of Brixton (2004)
Les membres de Calexico téléportent le brulot du Clash dans le sud des Etats-Unis. Jusqu’à la frontière mexicaine. Une excellente version live-acoustique. Magnifiée par les trompettes et un chœur hispanique, le mystère qui en émane n’est pas moins lié à l’injustice que l’originale…
Calexico – The Guns of Brixton (2006)
Sous ses dehors audacieux, avec un instrumental à la fois classique, folklorique, et funèbre, la version de Arcade Fire est plus fidèle qu’on ne le pense. Même si son écoute est sans doute moins enthousiasmante, elle a le mérite de ne pas rendre festif ou vaporeux, un titre où le texte revendicateur a son importance…
Arcade Fire (2007)
On peut trouver la suivante trop molle et déprimante. Mais restituer le drame originel du texte, par le biais d’une musique macabre et lancinante, était le pari fait par Jeff Klein, sur son album de reprises de The Clash.
Jeff Klein (2008)
Entre la torpeur d’une cellule froide et l’enfer du désespoir, il n’y a qu’un pas. A l’opposé, en voici une version ska-rock frénétique, d’un groupe de psychobilly frenchy…
Voodoo Devils (2012)
Aujourd’hui, les violences policières pratiquées dans les quartiers défavorisées n’ont toujours pas cessé, et on compte une bonne centaine de reprises de The Guns of Brixton, auxquelles on peut ajouter les samples de Cypress Hill et Fatboy Slim. Rarement un hymne des quartiers, non publié en single, et fusionnant deux genres peu commerciaux, aura connu une telle popularité. Il faut croire que Paul Simonon et The Clash, ont su trouvé les mots, et les sonorités, pour rallier le monde entier à leur cause désespérée.
Serge Debono