WAR, l’album générationnel de U2

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Un album sous le signe de l’union

U2 - WAR

L’album WAR a plus de 40 ans d’existence. En 1982, U2 n’est pas encore le mastodonte avide de stades d’aujourd’hui. Les quatre de Dublin ont déjà publié deux albums. La critique a réservé un bon accueil à Boy, le premier, décelant dans le quatuor un espoir de renouveau rock. Enfin un groupe capable de fusionner le punk, la new-wave et la cold-wave, sans sophistication excessive. Le deuxième opus, October, est plus élaboré, mais son message ostensiblement religieux déroute le public. D’autant qu’une “guerre sainte” fait encore rage sur le sol irlandais…

Island Records fait ses comptes et songe sérieusement à interrompre sa collaboration avec le groupe. Chris Blackwell leur accorde un dernier album. Les séances débutent au mois d’août 1982.

Dernière chance… avant la gloire !

Sur WAR, comme pour les deux premiers exercices, le producteur Steve Lillywhite est aux manettes. Le groupe est sous pression, et les conflits sont fréquents dans les studios Windmill Lane de Dublin. Notamment entre Bono et le bassiste Adam Clayton. Ce dernier n’épouse pas les idéaux religieux de ses acolytes. Il arrive parfois éméché, et suscite la colère du chanteur.

U2
Bono et Adam Clayton

Mais l’amour de la musique les unit indéniablement. En guise d’excuse, Bono écrit pour Adam Clayton, un titre souvent éclipsé par les standards de l’album. Un genre de folk mystérieux aux résonnances celtes, et doté de sublimes arrangements.

« Je sais que certaines chansons de WAR pourraient être ré-enregistrées et améliorées, mais pour Drowning Man, c’est la perfection. C’est l’un des plus beaux enregistrements de toute notre carrière » The Edge

La partie de violon est jouée par Steve Wickham, musicien rencontré à un arrêt de bus de Dublin par The Edge et Bono, et futur membre des Waterboys.

U2 – Drowning Man (WAR)

Composer un hymne rock, qui soit également un hymne à la paix, est une prouesse que peu de groupes ont su réussir. Si Bono est la plume majeure de U2, c’est The Edge qui est à l’origine du titre Sunday Bloody Sunday, standard et piste introductive de l’album WAR.

The Edge & Bono
The Edge et Bono

Pendant que le chanteur profite de son voyage de noces en Jamaïque, le guitariste tente de se remettre d’une rupture. Il traverse également une période de doute quant à sa faculté à composer. Pour couronner le tout, les conflits sur le sol irlandais entre l’IRA et l’armée britannique s’intensifient. Souhaitant expier son mal être, The Edge décroche sa Stratocaster Black et se lance dans un arpège descendant. Il trouve un thème accrocheur, quelques paroles et un refrain, mais le titre en reste au stade de l’ébauche.

Standard rock et hymne à la paix

A son retour, Bono complète le texte. Ce dernier est inspiré par une rencontre ayant eu lieu à New York avec des partisans de l’IRA. Comme beaucoup d’irlandais, après avoir souhaité le départ de l’armée anglaise, le quatuor aspire désormais à la paix.

U2

Sunday Bloody Sunday fait directement référence à deux massacres perpétrés par l’armée en 1920 et 1972. Il exprime le ras le bol de la violence et représente un appel à l’union. Comme le précisera Bono en concert (parfois muni d’un drapeau blanc), “This song is not a rebel song”. En effet, il s’agit d’un titre pacifiste.

A l’image de la partie batterie de John Bonham (Led Zeppelin) sur le titre When The Levee Breaks, celle exécutée par Larry Mullen Jr est enregistrée au pied d’un escalier, afin d’obtenir une réverbération naturelle. Dès les premières mesures, on est happé par le rythme martial et le cri du sonar (violon électrique joué par Steve Wickham). L’arpège décomposé de The Edge semble annoncer une menace, et le chant inquiet de Bono provoque le premier frisson. Quand le refrain et la basse d’Adam Clayton font irruption, espoir et désespoir se confondent… “How long must we sing this song”… A l’image de cette guerre qui n’en finit pas, le riff de guitare attaque de plus belle, mais sans parvenir à couvrir le cri de ralliement…

“Cause tonight
We can be as one
Tonight”

U2 – Sunday Bloody Sunday (WAR)

Seconds constitue la deuxième piste. Mais son titre n’est pas seulement dû à sa position sur l’album. Il fait également référence à un duo. Côté vocal, généralement The Edge se contente d’effectuer les secondes voix. Sur le titre Seconds, Bono et The Edge se partagent les couplets avant de conclure le morceau en chœur. Enfin, un troisième sens, plus profond et résultant du précédent, est attribué au titre…

“It takes a second to say goodbye”
(Cela prend une second de dire au revoir)

A l’époque, Bono est en panne d’inspiration et demande à The Edge de se mettre à l’écriture. Cette première phrase écrite par le guitariste est le point de départ du morceau. Inspiré par la Guerre Froide, Bono développe à partir de cette phrase, un genre de réquisitoire contre l’utilisation de la bombe atomique, et sa faculté monstrueuse à anéantir la vie “en une seconde”.

Le groove instigué par la basse d’Adam Clayton est décuplé par une partie de guitare folk chaloupée. La grosse caisse au son brut évoque la musique militaire et le chant reste revendicatif. Un titre hypnotique, incisif, et singulier dans la discographie du groupe.

U2 – Seconds (WAR)

En termes de popularité, New Year’s Day rivalise aisément avec Sunday Bloody Sunday. Néanmoins, je me dois de préciser une chose qui pourrait en étonner plus d’un. En 1983, si l’album WAR atteint la première place dans les charts anglais, Sunday Bloody Sunday connaît son meilleur classement aux Pays-Bas (2ème). Idem pour New Year’s Day en Irlande (2ème). Ce n’est qu’au fil du temps, en touchant le coeur de chaque nouvelle génération, qu’ils deviendront des incontournables.

Le tube 80’s

Mais revenons à nos moutons du “nouvel an”. Là encore, glisser sur le même album, un tube générationnel, un titre symbole d’une époque, en plus d’un hymne, n’a rien d’anodin.

New Year’s Day est le fruit d’une double dédicace. Bono l’écrit en premier lieu, en songeant à son épouse. C’est une chanson positive. Son mariage et l’envol du groupe sont le moteur de ce titre tournoyant, car ils représentent l’espoir d’une vie meilleure, pour le chanteur et son entourage. New Year’s Day est donc un titre positif, auquel Bono ajoute un sens politique en le dédiant à Solidarnosc (fédération de syndicats polonais) et son leader Lech Walesa.

Une nouvelle fois la structure du morceau est simple. U2 n’a pas totalement oublié les leçons de punk rock de leur jeunesse, l’efficacité et un style marqué priment sur le reste. La ligne de basse rudimentaire et pourtant légendaire d’Adam Clayton est puisée dans celle du titre Fade to Grey du groupe Visage. A cette époque, le bassiste a l’habitude de la jouer en effectuant ses réglages. Surmontée de trois notes de piano (et non de synthétiseur) jouées par The Edge, l’effet est entraînant dès l’entame du titre. Le guitariste ajoute ses accords syncopés, qui l’air de rien sont en train de devenir le son de U2. Ainsi qu’un solo simple et mélodieux que chacun peut fredonner.

Enfin, le chant de Bono touche par sa force empreinte de douceur. Il atteint des cimes (enneigés ?) sur lesquels il va voltiger durant toutes les années 80.

U2 – New Year’s Day

Like a Song est sans aucun doute la composition la plus violente et la plus rock jamais produite par le groupe. Comme le reste de l’album, elle est motivée par une situation devenue intenable sur le sol irlandais.

U2
Larry Mullen Jr

Bono et sa bande mettent de côté leur quête de sérénité pour se faire la voix d’un peuple meurtri. La guerre, et son lot de victimes, de traumatismes et d’angoisses investissent leur musique. Leur titres prennent soudain une autre dimension. The Edge met toute sa rage dans ses riffs, Bono déploie un chant viscéral, Clayton des lignes inventives. Quant à Larry Mullen Jr, il sort de son carcan minimaliste en s’offrant son premier solo de batterie…

U2 – Like a Song

Tous les titres que je viens d’évoquer composent la Face A de l’album WAR. Si l’analyse d’une face est tombée en désuétude au moment de l’apparition du Compact Disc, peu de grands albums rock possèdent une telle intensité sur les 5 premiers titres. D’autant que l’envers (la face B) n’a rien de décevant. Comme sur ce titre sillonné par la guitare et le style légendaire de The Edge…

U2 – Two Hearts Beat as One

Pour la petite histoire, comme sur l’album Boy, le visage de Peter Rowen orne la pochette. Le garçon est le jeune frère d’un membre des Virgin Prunes, groupe irlandais ayant débuté à Dublin aux côtés de U2.

WAR

Soulagés par les ventes de l’album et la popularité grandissante du groupe, Steve Blackwell et Island Records prolongent l’aventure avec U2.

Avec la publication de WAR le 28 février 1983, plus qu’un troisième album réussi, U2 délivre une œuvre générationnelle. 40 ans plus tard, il faudrait presque pouvoir oublier New Year’s Day et Sunday Bloody Sunday, afin de les apprécier comme si c’était la première écoute, tant ils ont été rabachés.

La sortie, quelques mois plus tard, de l’excellent live Under a Blood Red Sky, viendra confirmer l’envol du groupe.

Pour les rares auditeurs n’ayant jamais éprouvé cette “guerre” (WAR) dans sa totalité, un bon conseil, il n’est pas trop tard pour balancer votre Best of. Je n’ai pas fait grand cas de la face B, pourtant l’émotion procurée par des titres tels que Surrender et 40, ou encore l’efficacité du titre Red Light (avec les choristes de Kid Creole & The Coconuts), sont autant d’ingrédients contribuant à la plénitude de cet album.

U2 – Red Light

Et qui dit album générationnel dit anecdote ! En conclusion, je vous propose d’abord d’écouter les confidences de mon collègue Auguste Marshal, dans son excellente émission Cultures Co, diffusée chaque vendredi à 21H00 sur la radio Pop Culture.

Enfin, en ce qui me concerne, je souhaiterais évoquer l’histoire d’une cassette et d’un baladeur, ou la balade d’un walkman et de son contenant (au choix). Cet appareil gagné à une tombola lorsque j’avais 9 ans n’a connu que le groupe U2. Quelques années après la publication de WAR, j’avais pour habitude de me rendre chaque jour au collège, casque sur les oreilles, et cassette de War dans le lecteur. Il s’agissait alors de l’unique album du groupe en ma possession.

War (cassette)
WAR (cassette)

Un ami, fatigué de me voir m’enivrer du chef d’oeuvre jusqu’à l’écoeurement, consentit à me faire une copie des deux précédents albums, Boy et October, ainsi que des deux suivants, The Unforgettable Fire et The Joshua Tree. C’est ainsi que j’ai découvert le reste de leur oeuvre. Le walkman, sur lequel j’ai fini par écrire “U2” au marqueur, n’a donc digéré que des albums du quatuor irlandais tout au long de son existence. Avant de rendre l’âme, au cours d’une malheureuse bagarre. Car “la guerre” a toujours un prix…

Serge Debono

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