SIMPLE MINDS : Empires And Dance

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Un mystérieux journal de voyage, bien avant les hits…

Simple Minds
Simple Minds au début des années 80 : Charlie Burchill, Derek Forbes, Jim Kerr, Mick McNeil, Brian McGee

En 1980, les gars de Glasgow ont déjà prouvé qu’ils ont au moins un certain sens de l’autodérision cryptée, en s’appelant dès 78 les Simples d’esprit, tout ça pour citer le Jean Genie de Bowie. Des bonnes références d’ailleurs, ils en mangent : le Thin White Duke, mais aussi Lou Reed, Roxy Music, Kraftwerk et surtout Magazine, le groupe d’Howard Devoto, qui a fait le lien entre le Punk et la New Wave. Leurs deux premiers albums, Life In A Day et Real To Real Cacophony, tous deux sortis en 1979 (!) chez le label Arista, déroulent un véritable jeu de pistes musicales, orienté par les balises de leurs modèles. Le chanteur Jim Kerr adopte un maniérisme vocal mi Devoto mi Bryan Ferry et leur son se cherche encore. Pour Derek Forbes / basse, Mick McNeil / claviers, Charlie Burchill / guitare et Brian McGee / batterie, les doigts sont encore raides – dixit Jim Kerr -, les tempos parfois hésitants, et le micro timide. Mais il y a une volonté de recherche qui les titille de plus en plus, surtout dans le deuxième LP. Par contre, les ventes stagnent…

Simple Minds – Chelsea Girl – Life In A Day (1979)

EXPÉRIMENTATION

De Mai à Juillet 1980, le quintet prépare son troisième recueil aux fameux Rockfield Studios sous l’égide de John Leckie qui a déjà produit leurs deux opus précédents. L’humeur est à l’expérimentation comme le racontera Leckie :

« Nous avons passé beaucoup de temps à travailler sur des sons de guitare pour qu’ils sonnent comme des claviers et des claviers pour qu’ils sonnent comme des guitares. La technologie était un peu primitive à l’époque car personne ne connaissait le MIDI et pourtant nous avons fait de superbes morceaux avec l’arpégiateur sur le Roland Jupiter et le Korg MS20. Nous avons passé beaucoup de temps à faire des claquements de mains et à trouver le bon ton, l’espace et la taille de réverbération, et des caisses claires qui sonnent bizarrement. »

Pendant que les quatre musicos farfouillent, Jim Kerr écrit des textes imprégnés des étapes de leurs tournées européennes, tels des polaroids de cette Europe de fin de siècle, alors coupée en deux par l’hégémonie soviétique, meurtrie par le terrorisme et les attentats – des néo-nazis, de l’extrême-gauche, des groupes Palestiniens…- et pourtant en pleine effervescence artistique.

UNE PREMIÈRE FACE… IMPÉRIALE

Empires And Dance paraît en Septembre 1980. Le photographe allemand Michael Ruetz signe la photo de pochette, ce buste soldatesque sur panorama du Parthénon avertit déjà du propos de même que l’utilisation d’un faux alphabet cyrillique par les stylistes de The Artifex Studio. Les clichés du gang au verso et sur l’insert contenant les paroles sont des créations opaques de Richard Coward à partir de vidéos. Les notes indiquent 10 titres, 4 pour la première face, 6 pour la seconde.

Verso de Empires And Dance
Empires And Dance : verso du vinyle

I Travel ouvre le carnet de bord. Quel choc ! Après une courte note de synthé déboule un séquenceur bulldozer vite suivi de l’implosion d’une section rythmique implacable. Le bassiste Derek Forbes tourne autour des arpèges électroniques avec sa Fender Precision. Batterie et percus métalliques martèlent un appel à la danse discoïde. Burchill égraine des notes de western indus sur sa guitare. Et le Jim, transfiguré, la voix dans un registre plus grave, énonce son invitation au voyage :

Travel round, travel round
Decadence and pleasure towns
Tragedies, luxuries, statues, parks, galleries
Travel round, travel round
Decadence and pleasure towns

I Travel – Empires And Dance (1980)

Today I Died Again. Le tempo ralentit et le jeu de batterie devient plus éclaté. La plupart des titres partent de la structure initiée par McGee / Forbes. Le producteur John Leckie précisera d’ailleurs que souvent les lignes du bassiste étaient le squelette de leur musique et les premières trouvées. Burchill reste pratiquement en bourdon sur le même accord. Des nappes de synthétiseur glacées et orientalistes de McNeil hantent le morceau. La réverbération inversée sur la voix toujours plus basse de Kerr pendant le refrain participe à la morbidité irréelle de son texte sur la réincarnation. Est-ce vraiment le même gars qui chantait le poppy Chelsea Girl un an plus tôt ?

Today I Died Again

La mue vocale de Jim Kerr justement. Les gars ont craqué sur le Unknown Pleasures de Joy Division paru en Juin 1979. Consciemment ou non, le chant grave et impressionnant de Ian Curtis a peut-être influencé le Jim. Et malheureusement, comme beaucoup, le quintet a sans doute subi le traumatisme de la disparition brutale du chanteur de Joy Division, en Mai 80, pendant les préparatifs d’Empires And Dance
Le troisième titre, Celebrate ou les Écossais en plein Krautrock. Encore une fois, la ligne de basse – géniale – amène une scansion hypnotique, renforcée par le séquenceur et des claquements de mains robotiques. Les claviers se déguisent en fantômes. Burchill triture sa guitare. Peu d’arrangements, quelques variations pour le refrain où Kerr s’amuse avec l’écho : le quintet cherche le minimalisme pour un maximum d’effets. Tels Les Mannequins de Kraftwerk, nous commençons à danser.

Celebrate

Depuis le fameux et originel Tomorrow Never Knows des Beatles sur Revolver en 1966, l’idée de transe obsède les rockers. Après une note de clavier, la séquence monolithique de This Fear Of Gods apparaît. Remarquons qu’à l’époque, les séquenceurs s’avèrent encore complexe à manipuler, notamment sur scène. Les captations Live montrent que McNeil joue souvent ses boucles enivrantes en temps réel et en faux pilotage automatique . Puis émerge le magistral duo Forbes et McGee. Le bassiste et son batteur avancent dans un état second. Burchill alterne plaintes de saxophone free et crissements de cordes industriels tandis que le claviériste génère des brumes et des  brouillages en pianotant. Quant à Jim Kerr, inspiré paraît-il par un livre de Borges, il psalmodie son mantra, habité par la peur des Dieux. Sur scène, même actuellement, il termine cette supplication allongé sur le dos, extatique.

This Fear Of Gods

Cette première face s’affiche impériale. Les Simple Minds y atteignent le niveau du Seventeen Seconds de Cure, du Crocodiles d’Echo And The Bunnymen, parus quelques mois auparavant – respectivement en Avril et en Juillet 1980 – et carrément du premier chef d’œuvre de Joy Division. Mais…

EN DEÇÀ

Le titre Capital City entame la seconde partie par une nouvelle boucle basse / clavier entre Kraftwerk et Pink Floyd. Quand émergent la rythmique, les arpèges de la guitare électrique, puis surtout la voix de Kerr, kekchose déraille. Une impression de retour en arrière, confirmée par les sonorités de claviers, les gars replongent dans le syndrome Magazine. Même la production plus clinquante perd son aura trouble et originale. On est revenu à la case Real To Real Cacophony, Capital City ouvrant parfois les concerts de cette période. Constantinople Line, le voisin tout en saccades et échos, confirme cette tendance. Cela dit, le groupe ne propose pas de mauvais titres, non, et dans l’esprit (sic), Kerr poursuit son discours impressionniste, mais le rendu s’affiche en deçà.

Capital City

Si certains restent convaincus que les Écossais ont toujours proposé une Pop New Wave mainstream formatée Stades, faites-leur écouter Twist/Run/Repulsion, la 7e plage. En plein déconstructivisme, le quintet mêle loop, éclats de cuivres, débauches de batterie, chant décalé et récitatif en Français d’une copine – Chantalle Jeunet – lisant un extrait de La Perspective Nevski de l’écrivain russe Nicolas Gogol ! Bizarre, vous avez dit bizarre…

Twist/Run/Repulsion

Les trois derniers titres en reviennent heureusement aux prémices. Ainsi, Thirty Frames A Second développe à nouveau un incroyable arrangement. La basse de Derek Forbes fait du saut à l’élastique avec les percus de Brian McGee. La montée instrumentale pendant les ponts appuyée par les appels de Kerr dégage une rare puissance annonçant les prochains albums. Cette introspection sur le temps qui passe et ce qu’on en fait se clôt dans les déchirures de la guitare liées à l’instrumental suivant.

Thirty Frames A Second

La pièce Kant-Kino évoque les expériences ambiantes de Brian Eno. Improvisée à la fin de Thirty Frames A Second, elle cite une salle de cinéma où les gars s’étaient produits à Berlin. Enfin la vignette Room conclut sobrement le LP dans une atmosphère de solitude et d’attente.

UNE ŒUVRE DE TRANSITION ESSENTIELLE

Empires And Dance malgré toutes ses qualités rencontrera un accueil mitigé : des critiques enthousiastes mais trop rares, autant que les ventes squelettiques. La faute sans doute au label Arista, qui dépassé par le projet, presse le LP au compte-gouttes, par paquet de 15 000, au cas où. Résultat, le public découvrant le groupe et ses morceaux en concert, par exemple en première partie de Peter Gabriel, cherchera en vain le disque dans les boutiques. Le maxi I Travel enflammera quand même les pistes des clubs, participant à la rumeur élogieuse. Notons que notre Philippe Manœuvre national descendra les Écossais dans Rock&Folk en les trouvant aussi ennuyeux que Genesis, une tirade qui aurait pu les tuer en ces temps d’élitisme New Wave. Les Simple Minds finiront par quitter Arista pour l’équipe de Virgin, prête à soutenir leur prochaine création : l’incontournable Sons And Fascination / Sister Feelings Call.
Œuvre au noir de transition, essentielle mais partiellement réussie, Empires And Dance est devenu un fétiche pour beaucoup des premiers fans de Simple Minds. Ses titres emblématiques, surtout de la 1re face, demeurent des moments phares en concert, quand les deux amis Kerr et Burchill feuillettent en live leur mystérieux journal de voyage…

This Fear Of Gods Live (2013)

Bruno Polaroïd

 

 

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