En 1980, Peter Gabriel publie son troisième album, toujours dépourvu de titre, et surnommé “Melt”. Si ses deux premiers opus avaient réussi à contenter public et critique, “Melt” sera celui de la consécration…
Maîtrisant chaque jour un peu mieux son environnement, l’ex-leader de Genesis s’écarte sensiblement de la voie hallucinée du prog-rock pour plonger son auditeur dans un univers urbain et froid. Sur l’album “Melt”, il expérimente des textures sonores nouvelles, et de plus en plus visuelles.
Une oeuvre humaine et technologique
Epaulé par ses complices habituels Jerry Marotta, Tony Levin et Robert Fripp, le tout est agencé par le producteur Steve Lillywhite (U2), et agrémenté de la présence de Phil Collins, Kate Bush, et Paul Weller. Dotée d’une production brillante, et de collaborations subtiles et complémentaires, “Melt” est une oeuvre mature, sombre et inspirée, et en parfait accord avec son époque.
L’effet “gated drum” et les baguettes de Phil Collins interviennent sur deux titres dont le crucial “Intruder”. Un prologue cryptique au son de batterie prodigieux, où le timbre sépulcral de Peter Gabriel frôle le sublime…
Peter Gabriel – Intruder
Abordant des thèmes comme le stress et la folie, il injecte à une pop moderne et sophistiquée, une dose de réalisme. Fusionnant ainsi les symptômes de la crise qui guette, et les différentes tendances musicales, il ne délaisse pas pour autant l’aspect conceptuel. Les pistes se succèdent d’une manière à la fois surprenante et harmonieuse. Le titre “Start”, impro concise de saxophone, introduit par exemple ce rock exutoire et paranoïaque…
Peter Gabriel – I don’t remember
Bien qu’il se passionne pour la technologie, Peter Gabriel semble développer un esprit critique sur ses dérives. L’avilissement d’internet n’est pas encore d’actualité qu’il évoque déjà la déshumanisation qui découlerait d’une utilisation domestique de l’outil informatique. Titre prophétique, au riff de guitare ravageur signé Paul Weller…
Peter Gabriel – And Through the Wire
Une prose militante
Un album à la fois très personnel et résolument universel. Peter Gabriel affirme notamment dans un tube imparable aux allures de comptines, sa position militante face au nationalisme gangrènant son pays et écrasant des populations en Amérique Latine.
Un titre remarquablement orchestré, jouissant encore une fois d’une production optimum, et augmentée de la divine présence aux choeurs de Kate Bush…
Peter Gabriel – Games without Frontiers
“Melt” est également enregistré dans une version allemande. Atlantic Records ne croyant pas au projet, Peter le fera produire chez Mercury. Une oeuvre d’une grande maturité, conclue par un vibrant hommage à Steven Biko, activiste sud-africain, torturé et assassiné par le régime de l’apartheid en 1977. Un titre saisissant qui se fait l’écho d’un peuple opprimé, et marque les débuts de la World Music…
“September ’77
Septembre 77
Port Elizabeth weather fine
Le temps est clair sur le Port Elizabeth
It was business as usual
C’était du business comme d’habitude
In police room 619
Dans la cellule 619
Oh Biko, Biko, because Biko”
Oh, Biko, Biko, parce que Biko…
Peter Gabriel – Biko
Pochette et sortie
Storm Thorgerson et son agence Hipgnosis sont les concepteurs de la pochette surnommé “Melt” (= fondre)…
“Peter s’est joint à nous pour manipuler les Polaroids et essayer de se défigurer. Il nous a beaucoup impressionnés par sa faculté à jouer de son image pour un esthétisme théatral ou artistique, plutot que cosmétique.”
Lors de sa sortie le 30 mai 1980, l’album atteint comme ses prédecesseurs le sommet des ventes dans l’hexagone, mais réalise cette fois la même prouesse en Angleterre. “Melt” parvient même à se hisser à la 22ème place du Billboard américain. Ce qui n’empêchera pas Peter Gabriel, de pousser encore plus loin ses travaux d’expérimentation sonore, sur le quatrième album “Security”.
Serge Debono