Glas du rock 50’s et couronnement de Jerry Lee Lewis
Hier, 28 octobre 2022, Jerry Lee Lewis, dernier des pères du rock, s’en est allé, et le Live au Star Club de Hambourg de 1964 ressurgit alors comme un témoignage de son influence.
Doté des talents méphitiques nécessaires au genre qu’il prônait, il possédait cette verve sauvage auquelle on adhérait avec un plaisir presque coupable. Le tout premier bad-boy du rock il était, le plus rebelle de tous il restera.
La revanche du paria
En 1964, Jerry Lee Lewis est passé du statut d’icône à celui de pestiféré. Lui qui empochait 10 000 dollars par concert à la fin des années 50, s’exécute dorénavant pour la modique somme de 250 dollars. Son mariage avec sa cousine germaine Myra Gale, âgée de 13 ans, a mis un terme à l’envolée du plus sulfureux des rockers de la première vague. Il vit pourtant un amour heureux avec sa jeune dulcinée, et ce n’est pas la différence d’âge qui choque l’amérique puritaine (la chose est alors plus que courante dans le sud du pays). Ses détracteurs, et ils sont nombreux, préfèrent s’attarder sur sa bigamie, Jerry Lee n’ayant jamais divorcé de sa précédente épouse…
Tandis que Elvis Presley est envoyé sous les drapeaux (1958), Buddy Holly, Ritchie Valens et Eddie Cochran voient la fée mécanique les condamner de manière précoce à la postérité (1959 et 1960). Little Richard cherche la rédemption dans les voies du seigneurs. Quant à Chuck Berry, il fait les frais d’une inclinaison un peu trop forte pour les jeunes prostituées. Pendant ce temps, Jerry Lee Lewis voit ses dates de concert annulées sur la quasi-totalité du territoire américain.
La deuxième vague du rock’n’roll venue d’Angleterre et conduite par les Beatles et les Rolling Stones est en train d’enterrer le boogie et le rockabilly. Heureusement, ces mêmes européens réclament les responsables de leur engouement. Bluesmen et rockers des années 50 se voient donc conviés à venir faire swinguer les jeunes adeptes de l’ancien continent. Notamment en Allemagne, où les Beatles ont fait leurs classes…
Jerry Lee Lewis – Mean Woman Blues (Live Star Club de Hambourg)
Le producteur Siegfried Loch a opté pour quelques micros standards placés près des instruments, et un autre dans le public. Ce procédé rudimentaire n’est pas étranger à l’énergie brute et contagieuse émanant du Live au Star Club de Hambourg. Même si le générateur principal est un volcan aux cheveux blonds, et aux mains virtuoses…
Plus aucune retenue chez le pianiste ! Il laisse ses doigts agiles survolter une audience trop longtemps privée de ses talents. Avec sa modestie habituelle, le Killer a baptisé son nouveau spectacle The Greatest Show on Earth (Le plus grand spectacle sur Terre). Difficile de lui en vouloir, tant son concert agit tel un cyclone sur la terre du rock. Jerry Lee emporte tout avec lui. L’assassinat de JFK, la construction du Mur de Berlin, le Killer a le don de générer l’amnésie chez son auditoire, même lorsqu’il exprime son desarroi financier (emprunté à Barrett Strong)…
Jerry Lee Lewis – Money (Live Star Club de Hambourg)
Sur un uptempo ébouriffant, il traîne avec lui des Nashville Teens (Tobacco Road) peinant parfois à choper le bon wagon. Jerry Lee est déchaîné. Il semble vouloir prendre une revanche sur son éviction du gotha rock, et rappelle par le biais d’un classique de Ray Charles, que le genre brille d’abord par son rythme et son énergie…
Jerry Lee Lewis – What’d I Say (Live Star Club de Hambourg)
“Jerry ! Jerry ! Jerry !”. Devant un public en transe, Jerry Lee Lewis donne l’impression d’effectuer sa dernière, martelant son piano comme jamais. A l’entendre, on croirait que les forces de l’ordre sont en coulisse, fers à la main, prêt à menotter le Killer. Mais encore faut-il attendre qu’il ait fini de danser avec le diable…
Jerry Lee Lewis – Great Balls of Fire
Le journaliste Milo Miles déclarait dans le journal Rolling Stone :
“ Le Live au Star Club n’est pas un concert, c’est une scène de crime. Jerry Lee Lewis massacre ses rivaux.”
Si Jerry Lee a toujours forcé l’admiration de ses pairs (Presley, Cochran, Charles), en ce soir du 5 avril 1964, il écrase toute concurrence. Jeu frénétique, glissando et hurlements ravissent un public déjà acquis, et maintenant engrainé dans un boogie infernal et une célébration revival faisant date.
Lewis Boogie
On raconte que ce fameux soir, au Star Club de Hambourg, Jerry Lee était chargé aux amphétamines. Comme si le Get Yer Ya-Ya’s Out des Stones ou le Berlin de Lou Reed avaient été dopés au jus d’orange…
Jerry Lee Lewis était le rock’n’roll incarné. Ce live en atteste comme étant le plus grand concert de rock primal jamais enregistré. Performer hors du commun, il l’a encore prouvé par la suite sur les scènes du monde entier, ou le plateau TV de Tom Jones. Une énergie brute, jamais hésitante. Une rage puisée au fond des tripes, et une dévotion pour une spiritualité à cheval entre le paradis et l’enfer.
Whole Lotta Shakin’ Goin’ On
Sans le savoir, Jerry Lee Lewis œuvrait pour de nombreuses générations successives de rebelles et d’anticonformistes. Que son boogie infernal et son âme de trublion reposent dans le rock, à jamais.
Serge Debono