The Cure : l’album Pornography a 40 ans | l’Odyssée d’une Fin

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2027
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Pornography : La Rage, le Désespoir et la Fureur

Nous sommes le quatre mai 1982, un jour printanier comme les autres, morne, léger, complexe. Imaginez : vous avez un peu plus de vingt ans, vous bossez dans une banque (par exemple) et vous êtes toujours transcendé par la culture sans cesse renouvelée. Vous aimez un certain cinéma dit « d’art et d’essai », vous lisez aussi bien Camus que des bandes dessinées, et la musique vous emporte. Et celle-ci, non seulement vous change la vie avec l’apparition de ce que certains hésitent à prononcer « new wave » ou « post-punk », mais elle fait découvrir des mondes nouveaux. Pas besoin de drogues, juste du rock version détournée et du sexe parce que faut pas déconner quand même…

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The Cure Pornography

Ainsi, je vais chez mon disquaire préféré, à Auxerre, afin de préparer ma prochaine émission sur la radio locale où j’officie depuis quelques mois. Elle dure une heure, comme souvent, mais elle s’écoute le samedi de 14h à 15h et s’appelle « Le Mur Du Son ». L’idée est de présenter les nouveautés dites New Wave à l’époque. Rien de bien original aujourd’hui mais très étonnant à l’époque.

Je n’étais pas le premier et je ne serai jamais le dernier, heureusement.
Inutile d’aller plus loin pour raconter socialement la vie d’une ville de province de 45 000 habitants où il ne se passait strictement rien au niveau culturel. Juste une équipe de foot qui venait de monter en première division deux ans auparavant et qui allait très vite faire parler d’elle, menée par un entraîneur emblématique.

Bref, musicalement, le désert régnait, à l’exception de deux ou trois groupes près dans la ville (merci à eux d’ailleurs). Alors il fallait aller chercher plus loin, beaucoup plus loin, pour trouver quelque chose qui éveille les écoutilles et fasse saliver les papilles.

Deux groupes sortent du lot !

Me voici donc parti dans l’imaginaire où sévissent deux groupes anglais qui me bouleversent. Le premier s’appelle Joy Division.  Il s’agît du nom donné aux prostituées qui allaient au front donner du bon temps aux soldats nazis. Malaise… abattu par le suicide du chanteur, on ne peut désormais que pleurer les paroles et les cinquante et un titres crées. Avec New Order (là encore, provocateurs, référence à l’extrême droite) ils deviendront dès cette année 1982 et surtout l’année suivante, les rois de la pop dance. Incroyable, impensable, sans pour autant renier le passé.

Le deuxième, à priori plus optimiste, se dénomme The Cure

Inutile de refaire l’histoire du groupe de cette période, à part lire une ou deux biographies bien référencées, pour en arriver à ce qui va devenir la trilogie la plus noire de l’histoire du rock. Et tout cela progressivement, sans voir le flou passer du gris au rouge feu. C’est de cela dont nous allons parler un peu pour arroser les quarante ans de l’album.

Un disque qui :

  • un, changera ma façon de voir la vie,
  • deux, deviendra l’album culte de toute une génération,
  • trois, reste l’album le plus vénéré et respecté de toute la discographie du groupe de Robert Smith, Simon Gallup et Lol Tolhurst à cette période.

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Et pourtant le trio est au bord de l’implosion.

Sans se le dire, ils décident d’en finir avec ce qu’on nommera plus tard, la fin de « la trilogie sombre ». Beaucoup y ont laissé leur peau, au sens premier du terme, d’autres y ont laissé leur esprit s’évader tel un Syd Barrett conscient toutefois.
Une très rapide thérapie pour observer la descente aux enfers du groupe : 1980, sortie du deuxième album, Seventeen Seconds, avec une pochette dans les tons brouillés mais avec une palette de couleurs claires.

Le ton a radicalement changé depuis le précédent. Finies les allusions pop adolescentes, place au minimalisme pré-adultes des premières crises d’une séparation, avec l’ajout de claviers d’un quatuor qui ne vivra pas longtemps avec l’exit de Matthieu Hartley dès 1981 et la parution de Faith. Là, ça rigole encore moins. On passe à la pochette grise d’une église toujours dans le flou. La mort règne en maître même si la fin se veut un poil optimiste : « There’s nothing left but faith ». (Il ne restera rien d’autres que la foi). Mais pas la Foi des croyances religieuses… Non, la Foi intérieure qui sortira de nos convictions obscures et noires.

The Cure Pornography Live Strasbourg

1982 : Pornography

1982, c’est avec excitation et inquiétude que je colle mon casque sur les oreilles pour entendre les premières notes de Pornography. Et soudain je reste scotché sur mon canapé. Impossible de faire le moindre mouvement dès les premiers roulements d’une batterie implacable, suivie d’une basse monstrueuse rapidement accompagnée d’une guitare nerveuse, sans pitié pour l’auditeur. Ce n’est plus la foi, mais de la colère, de l’ivresse, de la destruction.

La pochette l’indique d’entrée mais tout de même. Trois visages, flous à nouveau mais envahis par des couleurs qui indiquent ce qui nous attend. Le noir, le rouge et le jaune, soit un bon mélange explosif qui ressemble au final à une marée haute envahie de pétrole qu’une allumette vient de mettre en feu. Le logo du groupe s’est raidi, crispé.

Et moi je deviens immobile, paralysé, essayant juste de saisir les paroles sur l’intérieur de la pochette qui débutent ainsi :

« It doesn’t matter if we all die, ambition in the back of the black car »

(Aucune importance si nous mourrons tous, l’ambition à l’arrière d’un corbillard).

Le titre qui ouvre l’ascension s’intitule One Hundred Years, une vie raccourcie qui ressemble à un siècle, long, morne, bouillant et improbable. Près de sept minutes de terreur manifeste où le retour en arrière n’existe pas. Appelons cela une mise en bouche après cette déflagration où je me suis demandé si mon appartement n’avait pas explosé entre temps.

The Cure : One hundred years

Partons pour une descente aux enfers.

A Short Term Effect  roule en boule comme un effet à court terme. Une hallucination qui se parcourt lorsqu’on on exagère un peu trop sur la marchandise peu correcte.

The Hanging Garden fut le seul single autorisé à sortir avec un clip assez pauvre, il faut en convenir. Ce n’était pas le plus important. Le Jardin Suspendu est une comparaison osée entre l’homme et l’animal. Devinez qui va gagner ?

Siamese Twins, qui clôt la première face, laisse une place à des jumeaux face à face mais qui ne se ressemblent pourtant pas. Quant à la fin du titre le plus lent, Robert Smith hurle « Is it always like this », on le croit bien volontiers. Oui, c’est toujours ainsi que la vie se déroule et que la fin s’enlise jusqu’à disparaître, ensevelie sous la boue nauséabonde.
Mon corps est engourdi pour me lever et retourner la face du vinyle, avec une brève respiration. J’ignorais que la suite allait être pire.

Pornography : Side Two

The Figurehead (La Figure de Proue) tourmente mon cerveau, mon cœur, ma vie. Comment traduire I can never say no to anyone but you, un pont fou qui tremble en le chantant ? Je m’y suis essayé, à le chanter. J’ai tremblé aussi, j’ai ri, je ne savais plus où j’habitais surtout après avoir déclamé I will never be clean again. Impossible de redevenir propre après ce que je venais de vivre ou plutôt d’écouter. Sans doute un déchet que je venais de dégueuler alors que je ne m’adressais qu’à une statuette africaine qui m’avait envoûté. Sans doute le seul titre dont je peux encore murmurer les paroles à l’aveugle.

Cure – The Figurehead

A Strange Day résume parfaitement ce que je suis en train de vivre. Un jour étrange comme on en vit qu’une fois dans sa vie. Tout semble normal et pourtant tout se dérobe en silence sans espoir. Je crois pouvoir reprendre mes esprits. Quelle erreur !… les deux derniers titres vont m’achever définitivement.

Le suivant porte bien son nom : Cold. Le froid qui vous taquine alors que vous ne cherchez qu’un peu de chaleur auprès d’un ou d’une autre. You’re name like ice into my heart (Ton nom ressemble à de la glace dans mon cœur). Il n’y a pas de plus douce et impitoyable phrase pour dire que tout s’achève. Il est temps de tourner la page mais avant une dernière tempête qui donne le titre à l’album.

Pornography commence par des bandes magnétiques enregistrées à l’envers avant qu’un nouveau déboulé de batterie suivi d’une basse en roue libre tandis qu’une guitare déjantée ne viennent accompagner la voie de Robert Smith en perdition, parce que, pour la seule fois, juste un peu en retrait. Ce qui ne l’empêche pas de crier  But it’s too late, toujours autour d’un pont en équilibre précaire, avant une ultime phrase qui va sans doute conditionner la suite de la carrière du groupe : I must fight this sickness, find a cure.

Autrement dit, je dois combattre mes démons pour trouver ce remède. Inutile de dire qu’il va y parvenir au-delà de ce qu’il pensait.

Je suis resté stupéfait après cette première écoute et le mot est faible. En voici d’autres : abasourdi, anéanti, suffoqué, médusé, époustouflé, désorienté, effaré, renversé. Oui, je suis tombé de mon canapé en enlevant les écouteurs.
Depuis quarante ans, aucun album ne m’a procuré autant d’émotions tout en restant raide comme un crayon pointu. Bien sûr, pour écrire ceci je me suis permis une énième écoute. Rien n’a changé.

Aucune production, merci à Phil Thornalley et Robert Smith, qui ont su mettre en musique et en chant ce qu’une jeunesse en perdition ressentait.
Oui, les trois ont failli y passer. Surtout après le 11 juin à Bruxelles dans un capharnaüm horrible où quelqu’un, sur scène, hurla : The Cure is dead.

Robert Smith s’est enseveli dans la drogue jusqu’à virer Simon Gallup tandis que Lol Tolhurst s’enfonçait dans l’alcool au point que le groupe demanda à ce qu’il disparaisse sept ans plus tard. Ceci est une autre histoire.

The Cure – Pornography Live Paris 1982

Pornography est l’album ultime d’une génération au bout d’elle-même ne sachant pas où aller mais désirant avancer. Alors appelez cela de la new wave, de la cold wave, du post punk, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un aboutissement que personne n’a su dépasser depuis toutes ces années. Rendons grâce à ce trio d’avoir su créer ce dont nous rêvions.

The Cure – Pornography
Sortie officielle le 4 mai 1982 en France

PS 1: à cette période je ne savais pas encore que je plongerai plus loin, si c’était possible, au mois de juin 1982 lors de deux concerts apocalyptiques vus à l’Olympia. C’était la première fois que je voyais The Cure. Ce ne fut pas la dernière, heureusement.

PS 2 : plus que recommandable, la sortie remasterisée de l’album en 2005, accompagnée d’un deuxième CD qui montre comment se fabrique un chef d’oeuvre.

PS 3 : au début des radios locales on pouvait faire tout et n’importe quoi. C’est ainsi que j’ai passé l’album en entier un samedi en début d’après-midi tout en traduisant les paroles. Je pense qu’on m’a pris pour un fou.

PS 4 : si vous souhaitez tout savoir dans le détail de cet album, il existe un petit livre radicalement indispensable écrit par Philippe Gonin, sorti chez Discogonie en 2014. On peut le commander encore chez un bon libraire pour à peine 10 €. A ce niveau, c’est cadeau.

Patrick Bénard

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Patrick Benard
Ecrivain, chroniqueur, animateur radio, créateur de la revue « Cinémanie », autour du cinéma dit d’art et d’essai, spécialiste du groupe The Cure, archiviste... 2020 : "Le Post Rock" essai sur le post rock de Mogwaï à Godspeed You Black Emperor - Camion Blanc 2014 : « On the rocks –le rock de 2007 à 2014 » chroniques livres et cd rocks, interviews –Editions Vaillant 2010 : « Dans la Tête de Robert Smith », roman fiction autour de l’histoire des Cure et de Robert Smith – Edilivres 2007 : « Chroniques Frénétiques, une histoire intime du rock », roman, prix Technikart. 2001 : « Les Iles du Désert », polar autour du rock – Editions Nykta

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