1976, l’heure de gloire pour Phil Lynott
Sixième album de Thin Lizzy, Jailbreak marque le début d’une période faste pour le groupe de Dublin. Entre hard, glam, et rock héroïque, les compos de Phil Lynott, et les guitares entrelacées de ses deux fines lames, parviennent enfin à conquérir l’ensemble de la profession, ainsi qu’une bonne partie du public.
L’histoire d’un mordu
L’histoire de Phil Lynott ressemble à une success story hollywoodienne. Un jeune anglais d’origine irlandaise et guyanaise, élevé par sa mère dans un milieu très modeste, et complexé par sa différence physique.
Bien qu’il ne possède pas de réelles prédispositions, il éprouve une passion incommensurable et possède un goût sûr pour la musique. Ainsi qu’un talent certain pour la scène et le leadership. Il se met à la basse, travaille sa voix, et par le biais d’un premier tube (Whiskey in the Jar), publié en 1972 avec Thin Lizzy, se retrouve mêlé au gratin du rock anglais.
Seulement, la concurrence est si rude en cette période, qu’un tube ne suffit plus. D’autant que les albums de Thin Lizzy se vendent de moins en moins. En 1974, le groupe est au bord de l’implosion. Autour de Brian Downey (batterie) et Phil Lynott (basse), les deux membres fondateurs, c’est une valse sans fin de musiciens. Le second est même tout près de s’en aller former un nouveau groupe avec Ian Paice et Ritchie Blackmore (Deep Purple).
Vertigo Records réclament des ventes conséquentes, sans quoi ce sera le dernier opus de Thin Lizzy. Fort heureusement, l’arrivée providentielle des deux guitaristes Scott Gorham et Brian Robertson, incite le compositeur Phil Lynott à persévérer.
Jailbreak
Le groupe entre en studio en décembre 1975. Comme souvent, le bassiste amène ses textes avec lui. Des contes-rocks urbains, puisés dans son vécu, et dans les comics.
Le riff tonitruant de Jailbreak est aujourd’hui devenu légendaire. Maintes fois repris, par le monde du hard ou du cinéma, ce titre éclipse le succès d’estime de Whiskey in the Jar, pour construire la légende de Thin Lizzy. Ce mélange de sophistication et de rock spontanée, va devenir leur marque de fabrique. Mais c’est bien le patron qui donne une couleur, et un sens à leurs compositions. La voix singulière et l’univers riche de Phil Lynott, trouve enfin une oreille attentive. Un titre qui inspirera en partie, le Beat it de Michael Jackson.
Thin Lizzy – Jailbreak
Au-delà de sa fibre rock, Phil Lynott possède une qualité primordiale, et qui n’est pas donnée à tous les musiciens, aussi talentueux soient-ils. Il sait écrire une chanson. Rythmique accrocheuse, texte original, mélodie douce à l’oreille dont il brise subtilement la structure sur les couplets, pour qu’elle brille de mille feux sur le refrain.
Du pop rock ? Certainement, mais de grande qualité. Vertigo souhaitait d’ailleurs en faire un single. Intègres, les membres du groupe rejetèrent l’idée, de peur d’être catalogués.
Thin Lizzy – Romeo and The Lonely Girl (Jailbreak)
Il est fort possible qu’avec ses riffs grand public et sa production léchée, Thin Lizzy ait nourri la vague hard fm des années 80. Il n’en reste pas moins, que hormis Marc Bolan, Phil Lynott est le seul artiste pop loué par le courant punk. Un genre qui aurait pu lui faire de l’ombre, mais qu’il a préféré encourager. John Lydon ou The Damned, avec lesquels il travaillera par la suite, peuvent en témoigner. Il est également présent sur le premier album solo du prince du punk, Johnny Thunders. Que pouvaient avoir en commun, ce hardos tendance glam à la coupe afro, et ces princes de la déglingue adeptes de rock garage ? Le rock bien sûr. Mais surtout les histoires de loubard, et les causes perdues.
Sans pour autant faire l’apologie des drogues, dans le titre suivant, Phil Lynott explique avoir tenté de transfigurer la philosophie de Jimi Hendrix et Duane Allman, qu’il avait croisés sur sa route. Ce constant désir d’exploration de l’esprit humain. Cette manière de repousser les limites. Lynott ose en faire une attitude guerrière, expliquant qu’ils ont choisi d’affronter l’inconnu afin d’éprouver leurs âmes.
Thin Lizzy – Warriors (Jailbreak)
Même s’il est loin d’être représentatif de l’oeuvre de Thin Lizzy, le titre The Boys are Back in Town leur permet en 1976, de porter l’album vers le succès, et de sauver le groupe. A l’origine, les membres l’avaient écarté de leur sélection. Pourtant, sous ses dehors gentiment bad boy, l’origine de ce titre lui donne tout son crédit.
Les “Boys” en question seraient ceux du Quality Street Gang. Un gang loué pour son élégance, et ayant fait fureur dans la région de Manchester durant les années 60. Phil Lynott n’a jamais confirmé cette référence, néanmoins, il évoque sur l’album suivant “Jimmy The Weed”, un membre du célèbre gang. Enfin, sa mère, Philomena Lynott, a affirmé après sa mort, avoir été la tenancière du Clifton Grange Hotel, un établissement où le Quality Street Gang effectuait ses réunions au début des sixties…
Thin Lizzy – The Boys are Back in Town
Cowboy Song, comme son titre l’indique, démarre comme une ballade acoustique. Récit d’aventures et romances d’un cowboy parcourant les Etats-Unis, le folk laisse vite place au hard rock. Le tempo augmente, la basse de Lynott bondit. Quant aux riffs et harmonies de la paire Gorham-Robertson, ils emportent le tout vers les cieux, donnant une dimension héroïque au périple du personnage. Cerise sur le gâteau, Robertson délivre un solo d’anthologie.
Cowboy Song
Evidemment, l’Irlande n’est pas oubliée. Phil Lynott est très attaché à ses origines, et se souvient que c’est déjà par le biais du folklore qu’il a obtenu son premier tube. Le titre Emerald avec ses triolets et son rythme puisé dans la musique traditionnelle, est une oeuvre majeure de Thin Lizzy, et du courant hard. Un duel de guitare titanesque, aux sonorités gaéliques, véritable peinture sonore illustrant l’épopée sanglante et ancestrale narrée par Phil Lynott.
“Du haut du vallon sont descendus les hommes en marche
Avec leurs boucliers et leurs épées
Pour mener le combat…”
Emerald
La pochette est signée de l’illustrateur Jim Fitzpatrick, lequel se chargera également du visuel de l’album Johnny The Fox, publié en octobre de la même année. Deux albums consacrés aux blousons noirs, aux loubards, aux seconds couteaux, dans lesquels on peut imaginer que Walter Hill a puisé un peu d’inspiration pour son film The Warriors.
Porté par le succès des singles Jailbreak, Boys are Back in Town et Cowboy Song, l’album Jailbreak permet enfin à Thin Lizzy d’être reconnu, et d’asseoir sa crédibilité auprès des producteurs. Une tournée de grande envergure est prévue. Le groupe partage l’affiche avec Rainbow. Seulement, Phil Lynott contracte une hépatite l’obligeant à écourter la série de concerts.
Quand l’album Jailbreak paraît en mars 1976, la sophistication de ses arrangements n’est pas vraiment faîte pour plaire au jeune public, alors tourné vers le minimalisme acéré du punk rock. L’impression d’immédiateté qui s’en dégage parvient à toucher l’Angleterre, et à conquérir les Etats-Unis, ou encore la Suède. Le public ne s’y trompe pas. Sous le satin et les dorures, bat le cœur rock de Thin Lizzy.
Serge Debono