Souvent reconnu pour ses tubes marquants et ses allures de dandy, Marvin Gaye fut le prince d’une soul fièvreuse durant les années 70. La richesse de son répertoire dépasse pourtant largement le cadre de la « musique de chambre ». De ses premiers pas chez Motown au chef d’oeuvre What’s Going On, cet artiste torturé, au sens propre comme au figuré, a marqué de son empreinte l’histoire de la soul music.
Marvin Gaye, ses origines :
Marvin Gaye naît Marvin Pentz Gay Jr né le 2 avril 1939 à Washington D.C. Comme de nombreux soul men de sa génération, il est fils de pasteur. Ce qui n’empêche pas ce dernier de le battre régulièrement au domicile familiale…
L’église et la musique comme refuge
Paradoxalement, ces mauvais traitements le poussent à se réfugier à l’église, où il va découvrir sa raison d’être. Il s’initie au chant, au piano et à la batterie. Au milieu des années 50, il intègre plusieurs groupes de rythm & blues, et enregistre même quelques titres en solo. C’est alors qu’il fait la rencontre de Anna Gordy, sœur de Berry Gordy, futur patron de la maison Motown.
Premiers pas au sein de la Motown
Marvin l’épouse et signe un contrat en 1961 au sein du label. Il y exerce d’abord comme batteur, avant de sortir son premier album « The Soulful Moods of Marvin Gaye »…
Marvin Gaye – Love for sale
Très vite, il devient un des principaux compositeurs de la Motown avec Smokey Robinson, et le trio Holland-Dozier-Holland. En 1962, il co-écrit Beechwood 4-5789, un titre sur lequel il tient la batterie pour les Marvelettes.
La même année, il publie son deuxième album. Très influencé par Sam Cooke, il va jusqu’à ajouter un « e » à la fin de son nom comme son idole l’avait fait avant lui. C’est le début de sa période soul avec des titres comme « Stubborn Kind of Fellow », ou » Hitch Hike »…
Marvin Gaye – Hitch Hike
En 1963, il publie ce titre qui ne tardera pas à être repris et popularisé par les Rolling Stones sur leur tout premier album. Un titre que le jeune David Bowie (alors David Jones) affectionne au point de quitter son groupe les Konrads, ces derniers refusant de le jouer.
Marvin Gaye – Can I get a Witness
https://www.youtube.com/watch?v=r4nld32mRKs
Malgré son indéniable talent, Berry Gordy ne semble pas lui accorder une totale confiance en tant qu’interprète. C’est pourquoi, il participe à la Motortown Revue, tournée de concerts du label, où il se produit en duo avec Mary Wells. En 1965, Marvin Gaye rencontre enfin son premier succès en solo.
Marvin Gaye – How sweet it is (to be loved by you)
Son grain de voix, sensuel et langoureux, commence à se faire connaître. L’année 1967 sera celle de la consécration. Il cumule les tubes en duo avec sa nouvelle partenaire et amie, Tammi Terrell, dont le célèbre « Ain’t no mountain high enough », et termine l’enregistrement de son nouvel album « In The Groove ».
Marvin trouve son style
Sortie en 1968, c’est l’opus de la révélation, Marvin Gaye ne cherche plus à ressembler à Sam Cooke, ou Otis Redding. Dès l’entame, on peut mesurer l’ampleur de sa métamorphose artistique…
Marvin Gaye – You
Sa voix s’affirme et devient ce cri groovy, doucement susurré. Un chant passionné et contagieux qui va embraser les ondes et les clubs des 70’s…
Marvin Gaye – It’s love I need
Quatorze ans avant la déferlante « Sexual Healing », à travers l’album « In The Groove » , il affirme déjà son style et pose son empreinte sur la soul-music, une empreinte en forme de cœur pour « Love-Singer ».
Démontrant des facultés vocales impressionnantes, il livre au passage une oeuvre majeure qui va le propulser sur le devant de la scène. Cette reprise magistrale d’un titre signé Barrett Strong et Norman Whitfield est d’abord interprétée par Smokey Robinson & The Miracles, puis par Gladys and the Pips. Pourtant, elle devient un de ses plus grands tubes, et reste à jamais associée au nom de Marvin Gaye…
Marvin Gayes – I Heard it through the Grapevine
En 1969, il enchaîne avec un opus portant ses initiales « M.P.G » en guise de titre, d’où émergent quelques perles méconnues…
Marvin Gaye – It’s a Bitter Pill to Swallow
Ou encore ce titre évoquant ses envies d’ailleurs. Marvin commence à se sentir étouffé par l’école Motown, son code de bonne tenue, et sa moralité exacerbée. Il rêve de quitter Detroit et le Michigan pour ce qui figure à l’époque comme étant l’El Dorado de la musique. La Californie !
Marvin Gayes – I got to get to California
En 1970, il aurait sans doute mérité une pause, ne serait-ce que pour laisser sa verve créatrice se régénérer, et son talent explorer de nouveaux horizons. Mais le show-biz n’attend pas. Il empile dix nouveaux titres pour un nouvel opus, « That’s the way love is », jouissant d’une production moyenne et d’un son souvent trop lissée par les violons et les xylophones. On retiendra néanmoins le titre éponyme…
Marvin Gaye – That’s The way Love Is
Ainsi que ce titre soul-funk inspiré par le jazz fusion émergeant, et fortement teinté de psychédélique…
Marvin Gaye – Cloud Nine
En réalité, cette inspiration quelque peu émoussée, n’est pas seulement due à la lassitude des tournées à répétition et aux longues séances studios. Marvin est miné par des problèmes extérieurs. Bien qu’il soit devenu adulte (30 ans passés) les coups portés par son père n’ont pas cessé…
L’inspiration dans la souffrance
A chaque rencontre, ou réunion familiale, l’emprise de ce dernier et les traumatismes de l’enfance refont surface. Evidemment, Marvin rend maintenant coup pour coup. Marvin Gay Senior sombre dans l’alcool et est destitué de sa fonction de pasteur. Bien que l’artiste entretienne financièrement sa famille, l’argent réclamée fréquemment par son père est une nouvelle source de conflit entre les deux hommes. Les tensions s’amplifient encore d’avantage lorsque Marvin Gaye apprend l’existence d’un demi-frère (Antwaun) issu d’une relation illégitime.
Le décès de Tammi Terrell, atteinte d’une tumeur au cerveau, vient s’ajouter aux tourments qui l’assaillent. Marvin sombre alors dans une profonde dépression, et s’il marque enfin une pause dans sa carrière, celle-ci est traversée par un blizzard de cocaïne, ainsi que des averses de rhum et de whisky…
L’album « What’s Going On »
Il va pourtant y puiser l’inspiration, pour écrire ce qui est considéré encore aujourd’hui, comme son chef d’oeuvre, « What’s Going On » publié en mai 1971.
Marvin Gaye – What’s Going On
Une oeuvre où il exprime son inquiétude concernant l’avenir de la planète ainsi que celui de la communauté noire.
« Le lot des grands artistes est de souffrir pour les gens. »
Marvin Gaye
Pour la première fois, il laisse transparaître ses angoisses existentielles. Marvin explore des thèmes sociétales aussi controversés que la guerre du Vietnam, le racisme, l’exclusion, la religion, ou l’écologie. Au sommet de son art, il empile des compositions majeures. Comme ce titre scindé en deux, façon « A Day in the Life » des Beatles. D’ailleurs, par son statut d’album référence, on peut considérer What’s Going On comme le Sergent Pepper’s de la soul.
Marvin Gaye – God is love/ Mercy Mercy me
Il semble même s’émanciper complètement du carcan Motown, avec des instrumentaux riches en influences.
Marvin Gaye – Right on
Enfin, ce titre somptueusement aérien clôturant l’album. A ce stade, si ce n’est pas déjà fait, installez-vous confortablement, Marvin Gaye se charge du reste…
Marvin Gaye – Inner City Blues (Make me Wanna Holler)
Une atmosphère et des textes jugés trop subversifs par Berry Gordy. Mais Marvin s’est endurci, il tient tête au pape de la soul, et obtient même de lui, que chaque musicien soit crédité sur la pochette de l’album. Ce qui n’est que très rarement le cas au sein de la maison Motown. « What’s Going On » faisant date, Gordy étendra par la suite cette pratique à tous ses artistes.
Au coeur des années 70, Marvin Gaye devient la figure de proue d’un nouvel élan de la soul music qui verra des artistes comme Isaac Hayes ou Stevie Wonder prendre leur indépendance.
Serge Debono
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