Rory Gallagher, les débuts lumineux du prince de la six-cordes

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Cette histoire est celle d’une fine lame, un incontestable guitar hero.

Il est peut-être ce que la planète rock a produit de plus pur. Un cœur aussi grand que l’était son talent, et un ego de la taille d’un petit pois. Rory Gallagher, les débuts d’un spécimen rare…

Une vocation précoce

Né le 2 mars 1948, Rory Gallagher grandit dans la ville de Cork (Irlande) où il apprend la guitare très jeune, au son du rockabilly de Eddie Cochran et Elvis Presley. Il joue ses premiers concerts à 10 ans, et remporte son premier concours deux ans plus tard. Sa scolarité dans le publique régie par l’Église s’avère chaotique. Refusant de se couper les cheveux et cumulant les retards, il récolte quelques plaies infectées suite aux châtiments corporels en vigueur. Rory laisse tomber l’école pour devenir musicien professionnel, il n’a alors que 15 ans. En plus de la guitare, il pratique déjà l’harmonica, le saxophone et la mandoline.

Young Rory
Rory à 12 ans

Mais l’histoire de Rory Gallagher, c’est aussi celle d’une guitare. En 1963, Rory jette son dévolu sur une Fender Stratocaster de 1961 aperçue dans une vitrine de Belfast. A cette époque il souhaite ressembler à Buddy Holly et achète cette guitare pour à peine cent livres, sans savoir qu’elle est la première Strat importée en Irlande. Il en extrait ce laid-back rugueux et chaleureux qui va devenir sa marque de fabrique. Par la suite, il arborera cet instrument sur les scènes du monde entier comme un prolongement de son corps. Celle-ci étant, comme sa chemise à carreaux de bûcheron canadien, éternellement associée à son image.

Rory Gallagher 1969
Rory et sa célèbre Fender

Il démarre dans un show band (troupe de musicien irlandais) le Fontana, puis fonde le groupe Taste, alors qu’il n’a que 18 ans. Le nom provient du goût (taste) pour le blues qui unit ses trois fondateurs, Gallagher, Kitteringham, et Damery.

Rory Taste
Taste (1969)

Le trio publie un premier album en 1969 sobrement intitulé « Taste », avec une version puissante de Catfish Blues (Robert Petway), où on sent déjà poindre le talent du futur rival de Jimi Hendrix

Taste – Catfish

Un deuxième album plus abouti, « On the Boards », déboule dans les bacs l’année suivante. Son talent de compositeur s’affirme sur des œuvres à la matrice résolument blues, voir country-blues…

Taste – Railway and Gun

Rory Gallagher commence alors à développer un jeu incendiaire. Certains titres sont même fortement influencés par les sonorités du hard rock naissant…

Taste – What’s Going On

Ou le jazz fusion émergeant… Rory s’aventure ici dans un territoire quasiment inexploré pour un rocker. Il manie le saxophone avec une étonnante dextérité sur un titre qui doit ses influences aux Doors, à John Coltrane, et Miles Davis (album « Bitches Brew »)…

Taste – On the Boards

A Belfast, Taste s’impose très vite grâce à son guitar-hero comme une référence du blues-rock, marquant les esprits lors des premières parties de Jethro Tull et John Mayall, ainsi que celle du concert d’adieu du groupe Cream. Le groupe sort trois albums et un live enregistré à l’Isle of Wight, avant de se séparer.

Rory se lance alors dans une carrière solo. Il joue et s’aguerrit dans les clubs londoniens aux côtés des plus grands bluesmen. Il recrute Gerry Mc Avoy (bassiste) et Wilgar Campbell (batteur), tous deux membres du groupe Deep Joy. Le batteur souffre d’une phobie aiguë de l’avion l’empêchant d’assurer les tournées. Il cède sa place à Rod de’Ath après la sortie de « Live in Europe ». Vingt-cinq ans plus tard, ce même mal causera de manière indirecte la disparition prématurée de Rory Gallagher.

En 1971, il enregistre deux albums successifs avec son trio, intitulés « Rory Gallagher » et « Deuce ». Du premier émergent déjà quelques perles, comme cet adieu désespéré, blues lancinant et vibrant…

Rory Gallagher – For the Last Time

Le seul titre extrait de l’album a déjà l’étoffe d’un tube et confirme la richesse de sa palette de compositeur. Certains y voient même un faux air de Stairway to Heaven sur le final…

Rory Gallagher – I Fall Apart

Ses proches et collaborateurs soulignent fréquemment sa bonhomie et son humilité. Dans cette période où les artifices et l’extravagance se banalisent (glam et hard-rock), sa simplicité et son profil d’anti-star font figure d’OVNI. Doté d’une nature à la fois subtile et reservée, Rory arbore sur scène comme au quotidien, un sourire inamovible. Allié à ses talents de musicien, ce dernier va conquerir un public en quête d’authenticité…

Rory Gallagher – Just a Smile

Qu’il se produise devant des milliers de personnes ou lors de London Sessions aux côtés de ses héros Muddy Waters, Chuck Berry et Albert King, le virtuose gaélique ne fait pas de manière. Lorsqu’il ferme les yeux et tire des joyaux de son amante, le public comprend que Rory ne triche pas. A l’instar de Jimi Hendrix, il n’est pas en quête de célébrité. Son humilité le pousse à explorer l’univers plus noble de l’art. D’ailleurs, peu de temps avant sa disparition, quand un journaliste demandait au Divin Gaucher de Seattle, ce que l’on ressent lorsqu’on est considéré comme le plus grand guitariste de la planète, ce dernier refilait sagement le bébé à l’irlandais :

« Je ne sais pas, demandez donc ça à Rory Gallagher. » JH

Deuce, une première satisfaction

Déçu par son premier opus, Rory déclare être parvenu à restituer l’atmosphère de ses concerts sur le suivant. Bénéficiant d’une production rendant enfin justice à ses œuvres, il prend soin de ne pas déshumaniser sa musique. En studio, il réussit l’exploit de coucher sur bandes ce feu incandescent faisant la force de ses prestations scéniques…

Rory Gallagher – Should I’ve learn my lesson

L’album « Deuce » est d’une rare intensité, et Rory Gallagher, toujours à l’écoute de ses contemporains, explore la palette de son qui s’offre à lui en studio. Quelques riffs marquant commencent à apparaître sur ses compositions…

Rory Gallagher – Persuasion

Si l’irlandais impressionne avec ses solos et son jeu incendiaire, son attachement à la chaleur des instruments acoustiques est évident. Il livre même un titre aux accents espagnols très prononcés…

Rory Gallagher – I’m not Awake Yet

Rory Gallagher se qualifie lui-même de rockeur-folkeux justifiant ce choix par sa quête de liberté artistique. Le folk perdure sous la forme d’un ou deux titres glissés sur la majorité de ses albums, comme cette ballade irlandaise de sa composition…

Rory Gallagher – Don’t Know Where I’m Going

En 1973, le claviériste Lou Martin vient compléter le quartet sur l’album Blue Print. Ce dernier continue de porter très haut l’étendard du blues, avec notamment ce titre aux sonorités music-hall qu’affectionne le guitariste irlandais…

Rory Gallagher – Banker’s Blues

Mais aussi quelques ballades pop, dans un registre très personnel, qui en disent long sur les possibilités qui lui sont offertes.

Rory Gallagher – Daughter of the Everglades

Aux prémices des années 70, le monde du rock pleure les disparitions successives de Jimi Hendrix et Duane Allman, mais s’enthousiasme déjà pour ce nouveau guitar hero venu d’Irlande. Pourtant, le meilleur de Rory Gallagher reste encore à venir…

Serge Debono

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