« Je me suis levé tôt, comme un homme condamné à la naïveté du chant des oiseaux. » Nick Drake
Nick Drake est un parfait poète maudit. Plus encore que Jim Morrison ou Tim Buckley. Car ce grand échalas aux doigts de fée et à la plume inspirée, n’est jamais sorti du mutisme qui caractérise ces écorchés.
Une lassitude précoce
Dés sa plus tendre enfance dans le Warwickshire (Angleterre), il est décrit par son entourage, comme un être distant et insondable. Nick se désintéresse de tout et semble déjà gagné par une lassitude précoce. Heureusement, il a hérité de ses parents, tous deux compositeurs, une certaine prédisposition pour la musique. Très vite il se révèle doué pour le piano et la clarinette.
Malgré des facilités évidentes dans le domaine scolaire et la chance de bénéficier des meilleurs écoles, Nick s’en désintéresse, consacrant au fil des ans, la plus grande partie de son temps à la musique. Il obtient une bourse d’étude à 17 ans mais préfère s’acheter une guitare sèche. Il écoute Bob Dylan et Phil Ochs, et se familiarise aux techniques du picking et de l’open tuning. Une nouvelle fois, il s’avère être très doué. En compagnie de son seul ami, Nick décide d’aller passer six mois à Aix-en-Provence, dans le sud de la France, où il découvre les joies ( pour Nick le mot est fort !) du LSD et du Cannabis, effectuant notamment de fréquents voyages jusqu’au Maroc…
Nick Drake – The Thoughts of Mary Jane
Rencontre avec Joe Boyd et premier album
A son retour, il entre à l’université de Cambridge, un peu à reculons… Il a bien du mal à s’intégrer dans un établissement qui privilégie le sport aux arts, et se réfugie chaque soir dans sa chambre, avec sa guitare et son joint. C’est alors que par le plus grand des hasards, il fait la connaissance de Joe Boyd. Ce jeune producteur vient de monter à Londres un club underground appelé l’UFO. Il a révélé Hocus Pocus (qui reprendra plus tard le nom du Club), Soft Machine, Procol Harum, mit en scène les Pink Floyd, et enregistré leur tout premier single. Nick Drake n’a que 20 ans quand Island Records lui fait signer son premier contrat. Joe Boyd fonde de grands espoirs sur lui…
Nick Drake – Time Has Told Me
En s’inspirant de la réussite de Leonard Cohen, et des techniques d’enregistrement de Georges Martin (Beatles), il tente de mettre en forme la musique épurée et mélancolique du jeune poète. Nick rechigne à empiler les prises, et ne semble pas en accord avec le perfectionnisme de son producteur.
Bien qu’il soit difficile d’en être certain, le résultat final de son premier album « Five Leaves Left » ( avertissement sur les paquets de feuilles à rouler « à cinq feuilles de la fin ») semble le satisfaire. Pourtant, c’est ici que les problèmes commencent…
Sortir un disque à la fin des sixties n’était pas une garantie de succès. Peu de promotion en dehors des radios et télés où la concurrence est rude à la fin des années 60. Pour les autres, reste le bouche à oreille, qui lui, prend sa source dans les salles de concert…
Nick Drake – Cello Song
Cauchemar en scène
Au cours de l’année 69, Nick doit assurer la promotion de son premier album. Sans surprises, il s’avère être un piètre show-man, mais le mal est bien plus profond. Sur scène, Nick vit un véritable calvaire, passant de longues minutes à accorder sa guitare devant un public décontenancé par sa nervosité.
Les séances d’interview où il se montre fermé et évasif, sont tout aussi calamiteuses. Malgré de subtiles compositions aux harmonies léchées, malgré sa voix angélique et feutrée, son premier album est un échec.
Bryter Layter, l’album de la maturité
Boyd, toujours convaincu de son talent, et soucieux de préserver ce qui fonctionne encore, s’efforce de l’entraîner en studio et le pousse encore à composer. Nick enchaîne avec un deuxième album, Bryter Layter en 1970.
Nick Drake – Hazey Hane
Accompagné du groupe de folk-rock britannique Fairport Convention, avec le bassiste Dave Pegg (Jethro Tull) et le batteur Dave Mattacks, il va se livrer à un travail plus fouillé sur le plan instrumental et même venir tutoyer la soul sur des titres comme Hazey Jane II. Mais Nick Drake a une prédilection pour le folk gothique et mélancolique, où surgissent souvent violons, saxophones et flûtes…
Nick Drake – At the Chime of a city Clock
Même si son attitude au quotidien ne semble pas s’en ressentir, de toute évidence, ce deuxième opus témoigne d’un épanouissement sur le plan musical. On sent le jeune artiste plus à l’aise avec ses envies et désireux d’explorer d’autres horizons. Il s’offre même une belle incursion dans le jazz, où on retrouve la célèbre choriste P.P Arnold (Small Faces, Humble Pie, Peter Gabriel )…
Nick Drake – Poor Boy
Une œuvre riche et soignée dont la première écoute en appelle forcément une deuxième, tant l’ensemble accroche l’oreille sans pour autant qu’un titre s’en détache. En définitive, Bryter Layter est une grande réussite, l’œuvre mature d’un artiste prenant son envol. Un album aux harmonies somptueuses, ce qui ne l’empêchera pas d’être tout aussi ignoré que le premier…
« Je ne peux pas penser à des mots, je ne ressens aucune émotion sur rien. Je ne veux pas rire ou pleurer, je suis anesthésié-mort à l’intérieur. »
Dépression et Lune Rose
Il commence alors à souffrir d’insomnie. Il s’isole de plus en plus, et ne tarde pas à sombrer dans une profonde dépression. Chez Island, personne ne songe à réaliser le troisième opus prévu dans son contrat, tant Nick semble écœuré par l’entreprise.
Contre toute attente, en octobre 1971, il retourne en studio pour deux séances nocturnes de deux heures, accouchant sans le savoir de son dernier album. « Pink Moon » est aussi son morceau le plus célèbre…
Nick Drake – Pink Moon
Pink Moon est un chef d’œuvre ultime et intimiste. Hormis un overdub de piano pour le titre éponyme, l’espace n’est occupé que par le chant doux, mélancolique, et la guitare élégante du poète. Comme un baroud d’honneur, Nick donne sa pleine mesure sur onze titres, pour un total de 28 minutes ! Un album éclair, et brut, mais sans doute le plus fidèle et représentatif de son talent. Une poésie simple mais qui vise juste, enveloppée dans un cocon d’harmonies duveteuses dont la pureté ne peut qu’émouvoir. Cet opus n’obtiendra pas, lui non plus, la reconnaissance qu’il méritait.
Le poète s’éclipse derrière sa lune rose
En proie à une léthargie dévorante, Nick se réfugie chez ses parents. Dés lors, il entame une vie d’ermite, rythmée seulement par la marijuana, et les doses d’antidépresseurs qu’il ingurgite. Le 25 novembre 1974, il est retrouvé mort, suite à une prise massive d’amitriptyline. Il avait 26 ans.
En bon poète maudit, Nick Drake s’éclipse donc derrière sa lune rose, avant même d’avoir entrevu les lumières de la gloire. Heureusement, son œuvre longtemps restée dans la confidentialité des initiés, finira par ressurgir. Et même si l’impitoyable producteur Chris Blackwell (Island) refusera durant de longues années de rééditer ses trois albums, les hommages posthumes se succéderont au fil du temps : Paul Weller, Kate Bush, The Cure, REM…
Serge Debono