La danse de Conrad Veidt
Un livre de témoignages sur l’un des groupes les plus fascinants du Rock français, et ses avatars.
Le piano nostalgique, les paroles en Allemand et en Français, les secousses de la section rythmique, le son des guitares malingres, rien dans ce titre n’évoquait le Rock en France pendant cet hiver 1979. S’il fallait trouver des traces, des influences de Marquis de Sade, on pensait plutôt à Television ou au Bowie berlinois. Surtout, il y avait la voix, ample et déchirée, et son phrasé à part. Écoutez le découpage des syllabes et des mots de Philippe Pascal : « Con – Raaaad – Veidt – Danse ! » Ça vous agrippe et ne vous lâche plus !
Marquis de Sade – Conrad Veidt – Dantzig Twist (1979)
Donc, on a suivi le chanteur charismatique et son collectif mené par le guitariste iconoclaste Frank Darcel, leurs deux albums, le cinglant et expressionniste Dantzig Twist (1979) ainsi que le chic et tragique Rue de Siam (1981). Ou ce 45t, Rythmiques, entendu la nuit sur RTL, devenu depuis obsessionnel. Et les références arty que le groupe dévoilait en parallèle de nos trouvailles : Klimt, Egon Schiele, Murnau, Fritz Lang… Mais sans jamais vivre Marquis de Sade en concert, malheureusement. Après l’éclatement en 1981, ce fut l’aventure Marc Seberg dès 1982 pour Philippe Pascal, un appel plus new wave et romantique vers l’autre et le voyage. De son côté, Frank Darcel lançait Octobre avec son funk glacé, ou plus tard Senso et Republik, à cela s’ajoutant ses productions, du fan et ami Étienne Daho notamment.
Marquis de Sade – Rythmiques (1980)
Avec Marc Seberg, Philippe Pascal et sa nouvelle équipe allèrent jusqu’au bout d’un Rock passionné, sans entraves et très marqué par les confrères anglais. De plus en plus écrites en Français, un tourment pour le chanteur / auteur – c’est l’une des révélations du livre -, les chansons atteignaient en concert une dimension unique, à la fois charnelle et spirituelle, une élévation baudelairienne, grâce à la présence scénique de leur créateur. Un charme rompu en 1991, après un triomphe à l’Olympia et l’annonce ce soir-là de la séparation de Marc Seberg. Comme Bowie version Ziggy. Ensuite, les années s’envolèrent et leurs espoirs passèrent… Jusqu’à une reformation inespérée de Marquis de Sade en 2017, pour le meilleur… Sans savoir que le pire était à venir.
Marc Seberg – Quelque Chose, Noir – Le Bout des Nerfs (1990)
Après le premier livre / catalogue d’exposition de Patrice Poch sur le sujet – Marquis de Sade 1979-2017 -, cette fois c’est Philippe Gonin qui raconte les Rennais au fil des ans et des actes, Marquis de Sade, Marc Seberg, Octobre entre autres.
L’auteur a recueilli de nombreux entretiens souvent inédits des acteurs et actrices de l’histoire – dont ceux des regrettés Philippe Pascal et Frank Darcel – qui enrichissent et vivifient sa narration et ses analyses. Dans sa quête d’exhaustivité, Philippe Gonin explore méthodiquement aussi bien les enregistrements ou les pochettes que les textes, le style des compositions, les concerts ou les rares vidéos. Les fanatiques et les apprentis y découvriront ainsi les arcanes de ces groupes, leurs réussites comme leurs failles, et parfois les clefs de telle ou telle chanson. Même si le mystère demeure, glissé là entre les gestes de Philippe Pascal et les boucles de guitares de Frank Darcel. Jusqu’à leurs disparitions, pour tous les deux énigmatiques.
Bruno Polaroïd / Illustration par POUP
Marquis de Sade 1977 – 2019 par Philippe Gonin – Le mot et le reste – 256 pages – 22 Euros – Disponible depuis le 24 Octobre 2025.
