La part des Anges.
En 2017, la réunion inattendue, après 19 ans de brouille, des deux Frangins Reid de The Jesus And Mary Chain – Jim micro / massacres de premiers rangs et William le guitariste aux Mille Larsens -, nous avait rassurés. Damage And Joy, l’album de retour des deux boudeurs écossais s’était avéré plus que convaincant dans sa volonté de dresser un inventaire stylistique du duo Sauveur du Rock Anglais (Voir notre article : The JAMC : l’album Darklands). Une note positive confirmée par des concerts toujours aussi bruyants mais scéniquement plus sages.
Comme en 1984
Sept ans plus tard, ils relancent le tourniquet sonique avec ce 8e opus, Glasgow Eyes. Cette fois, cette « Collection de chansons » – son sous-titre – a été mise en boîte aux Castle of Doom Studios, repère du collectif Mogwai. Les deux frérots ont tenu à travailleur sans autre coproducteur, alors que Youth avait participé et servi d’intermédiaire diplomatique pour Damage And Joy. Ils ont aussi écarté les autres musiciens, hormis les nanas Fay Fife – Revillos / Rezillos – et Rachel Conti qui ont chantonné sur deux titres ainsi que James & Majorie Mason qui ont clapé dans les mains, plus le programmateur / pianiste Tony Doogan. Donc plus de batteur. Jim a précisé que comme en 1984, il y a 40 ans, ils étaient entrés en studio en se disant qu’ils verraient bien ce qui se passerait…
Venal Joy ouvre le recueil dans une vibration de synthé et de sons distordus suivie d’une rythmique de sprint électronique. Le duo revisite à la fois son héritage de Suicide – l’autre fameuse paire avec Alan Vega et Martin Rev – et son histoire. Boîte à rythmes, séquenceurs, riff de Gibson 335, c’est une orientation majeure du disque, dans la lignée de leurs anciennes faces B les plus synthétiques, voire du LP Automatic en 1989. D’où l’absence de tambourineur… Intro implacable !
The Jesus And Mary Chain – Venal Joy – Glasgow Eyes (2024)
American Born reste dans l’esprit avec plus de fuzz, également sur la voix de l’aîné William, mais aussi plus de kitcheries dans les sons de claviers. Par contre, Mediterranean X Film a une structure éclatée, et effectivement cinématographique, à tel point qu’on se demande où les Brothers veulent nous emmener. S’il s’agit de déconcerter, c’est réussi. Heureusement, le single JAMCOD remonte le niveau, nous offrant à nouveau cette synthèse unique d’une mécanique Electro Trash, des accords des Stooges et des lignes vocales à la Beach Boys. Même en racontant les mauvais souvenirs de leur séparation…
JAMCOD
Le thème suivant, Discotheque, tente une autre réinvention satirique. Une descente d’accords sans distorsion, du bidouillage à la Bontempi, des pauses et même du vocoder.
Discotheque
Plus tordu, Pure Poor se rapproche d’une ivresse musicale où William joue les Bukowski de la guitare demi-caisse à grands coups de déchirures des amplis. Presqu’une habitude chez eux… Fin de la face A.
Le riff tapageur et plutôt racoleur à la Joan Jett de The Eagles And The Beatles introduit le verso avec des stridences de dentiste. Les deux gars honorent leurs idoles d’ado. Jovial et farceur sans être indispensable. William Reid enchaîne avec une pièce étonnante, Silver Strings, un simili thème New Wave au synthé cheap et des grattes en retrait. Pas mal cet essai. Ensuite déboule Chemical Animal. Là, on s’incline. C’est une grande chanson, une drug song enfin débarrassée des tics de claviers : les deux zigues à leur meilleur.
Chemical Animal
Autre voyage dans le temps pour Second Of June qui n’aurait pas dépareillé les confessions acoustiques du mésestimé Stoned & Dethroned en 1994. Le Jim y salue son grand frère, avec émotion, sans dérision.
Second Of June
Le LP se clôt par Girl 71 et le bien-nommé Hey Lou Reid (REID !). Le premier évoque les poperies de Damage And Joy avec Rachel Conti chantant à l’unisson. Le second promet beaucoup, une sorte d’hommage insolite au Velvet s’étalant sur six minutes et quelques. Construit en deux parties, il présente d’abord un thème mid tempo typique du VU à la voix sous-mixée avant de muter en cousin un peu dingo de The Ocean du vrai Reed. Mais la réalisation reste en deçà de l’intention et manque un peu de cette ampleur ou de cette folie sonore que la paire incarne pourtant depuis ses débuts. On pouvait espérer mieux pour conclure ce huitième épisode.
Hey Lou Reid
Contrairement donc à d’autres qui proclament à tout-va qu’on tient là avec Glasgow Eyes, le meilleur disque de The Jesus And Mary Chain depuis plus de trente ans – z’ont pas dû écouter beaucoup d’albums des frangins -, on conclura que ce cru 2024 a du fût, encore de belles dorures et surprend par des effluves inédites même si la part des Anges lui a échappé.
Bruno Polaroïd / Illustration par POUP
The Jesus And Mary Chain – Glasgow Eyes / Fuzz Club Records – Disponible depuis le 22 Mars 2024