Le son du rock’n’roll
Jailhouse Rock de Elvis Presley. Si en 1954, les excellentes reprises de That’s All Right Mama et Blue Moon of Kentucky (en Face B) ont éclairé le long chemin du rock’n’roll, le premier véritable tube international du King n’est sorti que trois ans plus tard. Composé en 1957, pour le film du même nom, Jailhouse Rock a fait danser la planète…
A cette époque, après avoir écrit Hound Dog pour Big Mama Thornton, ainsi que de nombreux titres pour les Coasters, le duo de compositeurs Jake Leiber et Mike Stoller alimentent le répertoire grandissant de la première star du rock. Jailhouse Rock constitue leur premier coup de maître avec le King.
Jailhouse Rock, un tube… et un film !
Le film (Le Rock du Bagne en VF) raconte l’histoire de Vince Everett. Agé de 19 ans, il se retrouve condamné à 14 mois de prison pour homicide involontaire. Grâce à son compagnon de cellule, il apprend la guitare et se découvre un talent de chanteur. Dès sa sortie, il est auditionné et démarre une carrière à succès.
Si le film n’est pas un chef d’oeuvre, il brille par sa fraîcheur et restitue plutôt bien l’insouciance et la liberté véhiculée par le rock’n’roll de cette époque. De plus, Elvis livre ici l’une de ses meilleures prestations cinématographiques.
Enfin et surtout, la partie musicale est excellente. Que ce soit l’interprète de country Mickey Shaughnessy (le compagnon de cellule) ou Elvis et son groupe (Scotty Moore, Bill Black et DJ Fontana) tout coule merveilleusement, compensant ainsi un scénario trop prévisible. One More Day, Don’t Leave Me Now, Young and Beautiful, et surtout trois titres signés par Leiber et Stoller : Treat Me Nice, I Want to Be Free, et l’incontournable… Jailhouse Rock !
La scène dans laquelle figure le titre Jailhouse Rock est la première tournée. La chorégraphie est une idée d’Elvis. Sa conception et sa réalisation vont grandement nourrir la légende du King. Dans son costume stylisé de bagnard, le jeune rocker incarne la cool attitude et l’image d’une nouvelle génération. Un rebelle à gueule d’amour. Sensuel, nonchalant, et très attachant. Le pendant musical de James Dean.
Un titre 100% rebelle
La qualité du titre n’y est pas étrangère. Les deux accords introductifs s’intercalant dans le phrasé, possèdent le son et la cadence qui fait la popularité du rock. L’interprétation d’Elvis est tout simplement magistrale. Tout sauf lisse, elle délivre une sauvagerie contagieuse seulement cadrée par le boogie. Enfin le texte passant en revue les différents occupants d’une prison, contient quelques allusions et références culottées, voire subversives.
Pour commencer, le fait que ce titre entraînant incite à rocker avec une bande de prisonniers n’a rien d’anodin en 1957.
De plus, certains personnages cités dans la chanson sont de pures inventions, d’autres ont bien existé, sous une forme, ou une autre. Shifty Henry était un musicien de blues de Los Angeles, et non un assassin comme dit dans les paroles. Sad Sack était un personnage de bande dessinée, un soldat loser durant la seconde guerre mondiale.
Enfin, et c’est sans doute le passage le plus osé, lorsque le détenu 47 dit au numéro 3 : « Tu es le prisonnier le plus mignon que j’ai jamais vu ». Là, on évoque carrément les relations homosexuelles en milieu carcéral. D’ailleurs, à l’époque, certains critiques s’étonnent que le titre ait échappé à la censure.
Jailhouse Rock s’écoule à plus de quatre millions d’exemplaires (contre 20 000 pour That’s All Right Mama). Elvis s’installe non seulement en haut du billboard, mais également au sommet du classement R&B, et des charts anglais. Le succès du single garantit celui du film. Tout semble rouler pour le nouveau roi…
Seulement, durant les jours qui précèdent l’avant-première, l’actrice Judy Tyler, avec qui il fait équipe dans le film, se tue avec son mari dans un accident de voiture. Dévasté, Elvis refuse de faire la promotion du film.
Elvis Presley – Jailhouse Rock (1957)
En 1958, du haut de ses 16 ans, Frankie Lymon est l’une des grandes voix de cette période. Avec les Teenagers, ils forment un genre de Jackson Five avant l’heure.
Nous sommes d’accord que tenter de rivaliser avec le King sur ce titre, est plus que périlleux. Pourtant, Frankie Lymon et son grain juvénile, s’en tirent remarquablement, en délivrant un vrai numéro de rockabilly… avec un soupçon de Jackie Wilson.
Frankie Lymon & The Teenagers – Jailhouse Rock (1958)
Le Killer était un performer compulsif. Il suffisait qu’il entende un morceau sonnant agréablement à l’oreille, pour qu’il ait envie de l’enregistrer. Jailhouse Rock sans guitare ? Ce n’est pas un problème pour Jerry Lee Lewis…
Jerry Lee Lewis – Jailhouse Rock (1958)
En 1960, de l’autre côté de l’atlantique, le titre déchaîne les passions. En Italie, le grand Adriano Celentano, pionnier européen du genre, prend tout le monde de vitesse. L’Urlatore reste dans les clous, même si son accent milanais ajoute un certain charme…
Adriano Celentano – Jailhouse Rock (1960)
https://www.youtube.com/watch?v=e5Fss42HHx4
Certains racontent qu’à la fin des 60’s, le King était dépassé, un has-been reflet d’une époque révolue. Si le courant psyché aimait, en apparence, s’affranchir du rock primal, ses acteurs n’en demeuraient pas moins des aficionados depuis leur tendre adolescence. Au point que tous étaient rivés à leur écran de télé le jour de la diffusion du Come Back Special d’Elvis (1968). Rod Stewart était de ceux-là, et il ne s’en cachait pas. En témoigne cette version blues-rock au sein du Jeff Beck Group, moins chaloupée que l’originale, mais tout aussi sauvage…
Jeff Beck Group – Jailhouse Rock (1969)
Cette histoire de taulards trouvant un exutoire dans le rock est un thème qui plaît à de nombreux rockers, mais aussi aux bluesmen. Albert King était fan d’Elvis Presley. En 1970, âgé de 47 ans, le brillant guitariste lui consacre un album complet en reprenant ses standards. Le rock avait beaucoup emprunté au blues, voilà que ce dernier lui rend l’appareil…
Albert King – Jailhouse Rock (1970)
La boucle est bouclée, et la popularité de Jailhouse Rock perdure. Pas étonnant de voir le morceau figurer dans la setlist de concert de ces mordus de blues qu’étaient Fleetwood Mac (première mouture).
Fleetwood Mac – Jailhouse Rock (Live – 1971)
Le groupe Queen en offre également une bonne reprise sur sa tournée 1974. L’année suivante, c’est au tour de ZZ Top. Mais la belle surprise vient de John Mellencamp (alors nommé John Cougar). Sur son tout premier opus, Chestnut Street Incident (1976), il propose une version au tempo remanié, dotée de subtiles sonorités de l’ouest, et relevée par une interprétation sobre et envoûtante.
John Cougar (1976)
The Residents, collectif expérimental san-franciscain, ne s’est jamais interdit quoi que ce soit. Spécialistes de la déconstruction d’une oeuvre légendaire, ils éclatent le puzzle carré de Jailhouse Rock, pour en faire une frise robotique…
The Residents (1983)
Si cette reprise date en réalité de 2006, elle n’aurait pas fait tâche dans le paysage électronique des 80’s. Telex est un groupe de pop synthétique belge. Ils délivrent une version aux sonorités plus enjouée que celle des Residents, flirtant avec les bandes-son new wave des séries TV de l’époque.
Telex (2006)
En 1987, encore boosté par les flammes de l’enfer, le rock de Motley Crüe éclipse celui de Van Halen et Aerosmith. Notamment grâce à une énergie hallucinante, et un Vince Neil au sommet de sa forme…
Motley Crue (Live – 1987)
Le Jailhouse Rock d’Elvis ayant connu le succès par le biais du cinéma, je termine par une reprise ayant nourri le répertoire d’un célèbre film musical. Si à l’époque du King, le thème de la prison était un sujet délicat, dix ans plus tard, Johnny Cash, peut-être influencé par son collègue de chez Sun Records, donnait son célèbre concert à la prison de Folsom.
Enfin, en 1980, les Blues Brothers adressaient un clin d’oeil ostensible à ces deux artistes. Dans le film, ils sont épaulés par des guest-stars de renom, James Brown, Aretha Franklin, ou encore Ray Charles.
The Blues Brothers (1980)
Serge Debono