L’histoire d’un succès tardif et d’un compositeur ignoré
La notoriété grandissante de Days of Pearly Spencer, titre publié durant l’ébouriffante année 1967, surpasse largement celle de son auteur et interprète, l’irlandais David McWilliams. Car les Américains ne sont pas les seuls à avoir vu leurs talents réussir ailleurs, faute de reconnaissance sur leurs terres. Les britanniques, eux aussi, ont parfois manqué de flair. Même si le cas de David McWilliams est un peu complexe…
Une perle sous les diamants
Et si j’en parle comme d’un talent sous-côté, c’est que l’album abritant le merveilleux single Days of Pearly Spencer, une seconde compilation nommée Volume 2, brille par son intégrité, de brillantes mélodies, et de fines harmonies. Produit par Mike Leander (As Tears Go By, She’s Leaving Home), il a tout du bel ouvrage. A mi-chemin entre Donovan et Jonathan Richman, avec un soupçon de Sixto Rodriguez.
D’ailleurs, en 1967, malgré l’ombre gigantesque générée par l’arrivée de Jimi Hendrix, le dernier opus des Beatles (Sgt Pepper’s) et le premier de Pink Floyd (The Piper at the Gate of Dawn), l’album de David McWilliams bénéficie d’une promotion coûteuse pour l’époque (vingt mille livres), et parvient à se faire une petite place au soleil, en glanant la 23ème place dans les charts anglais.
David McWilliams – Time of Trouble
Etrangement, le single extrait de l’album, avec ses violons tournoyants, sa mélodie obsédante, et son refrain ingénieux enregistré dans une cabine téléphonique, reste ignoré….
David McWilliams – Days of Pearly Spencer (1967)
Il ne parvient même pas à attirer l’attention de ses compatriotes irlandais. La faute à quelques planètes mal alignées…
Une histoire d’étiquette
En plus d’une concurrence féroce sur la scène internationale (entre la british invasion et la vague californienne), les circonstances ne sont pas favorables à David McWilliams. Tout d’abord, le talent du compositeur n’émerge pas à Dublin. Né à Belfast, il grandit dans la ville difficile et férocement protestante de Ballymena. Cette dernière est réputée pour ses fréquentes censures. D’après David McWilliams, le texte de Days of Pearly Spencer évoque le destin d’un sans-domicile qu’il a rencontré à Ballymena.
Si le single est doté d’une mélodie susceptible de toucher un large public, on qualifie généralement le style de David McWilliams (et son deuxième album) de pop baroque. Une étiquette contestable, et qui a pour effet de marginaliser inutilement son œuvre. En toute fin d’année 1967, le mélange d’arrangements satinés, de mélodies sombres, et de textes hallucinés et désenchantés, cause d’ailleurs une autre grande désillusion de l’autre côté de l’Atlantique. Le groupe Love. Tout aussi accessible, l’œuvre de David McWilliams est victime de la même incompréhension circonstancielle. Pas assez Flower Power, sans doute.
Enfin, on parle d’une époque où “popularité” et “rentabilité” sont deux choses différentes…
Radio Caroline
Par bonheur, le single de David McWilliams est entendu par le directeur musical Phil Solomon. Après avoir produit Them, fleuron du rock irlandais, ce dernier a travaillé avec les Beatles. Et surtout, il est codirecteur de la radio pirate Radio Caroline. Durant l’année 1967, Days of Pearly Spencer devient l’un des titres les plus diffusés sur leur antenne.
Seulement, la BBC ne voit pas ça d’un bon œil. Radio Caroline contourne les lois en émettant sur un bateau en pleine mer, et leur impose une sévère concurrence, par conséquent, lorsque la direction de la BBC apprend que Solomon est mêlé au projet, elle refuse de diffuser le titre. Impactant ainsi lourdement les ventes chez les disquaires. Days of Pearly Spencer est donc déjà connue des jeunes anglais à cette époque, mais ne rapporte que très peu à son auteur.
A contrario, le titre intègre les 15 premières places des charts en Belgique, en Italie, ou aux Pays-Bas. En France, c’est carrément le tube de l’année, un vrai triomphe. Au fil du temps, bien sûr, le single deviendra un standard international. Et certains artistes tel que David Bowie citeront David McWilliams comme une influence majeure.
En 1968, The Avengers font un carton chez eux, en Nouvelle Zélande, avec une reprise très fidèle. Un instrumental fourni en cuivre agrémenté de sonorités psychées…
The Avengers – Days of Pearly Spencer (1968)
La même année, en Italie la chanteuse Caterina Caselli en offre une version un peu proprette au texte très remanié. Celle des Grass Roots, groupe de Los Angeles ayant connu bien des moutures, ne possède rien de vraiment neuf. On peut tout de même apprécier le guitar-picking, et une déclinaison de la partie violon…
The Grass Roots – Days of Pearly Spencer (1969)
On a coutume d’appeler psychédélique la frange hypnotique de la new wave des années 80. Si cela s’applique aux Psychedelic Furs et à quelques albums de The Cure, le terme me semble souvent inapproprié. En tout cas, les chalonnais de Vietnam Veterans faisaient partie des plus intéressants. Pas de quoi balancer l’originale à la poubelle, mais ils ont le mérite de réactualiser ce standard avec un certain respect…
The Vietnam Veterans – Days of Pearly Spencer (1988)
En 1992, si la version originelle a fini par entrer dans les têtes, notamment grâce à son crédit glané sur les îles britanniques, Marc Almond lui permet de connaître un véritable succès commercial. On est loin de ses grandes créations minimalistes avec son complice Dave Ball (Soft Cell), mais quand on aime la voix de Marc Almond et le titre Days of Pearly Spencer, ça fonctionne…
Marc Almond – Days of Pearly Spencer (1992)
Il fallait bien ramener un jour ce titre dans son foyer. Ici décliné en ballade irlandaise par Maple, la magie opère à nouveau…
Maple (2011)
Celle de Rodolphe Burger (ex Kat Onoma), version sobre et épurée, utilisée pour le film Louise Wimmer, possède des allures majestueuses, façon Johnny Cash reprenant Personal Jesus…
Rodolphe Burger (2012)
La version western des Guitaraculas vaut le temps d’écoute également. Voix caverneuse et rythmique à dos de cheval, la diligence est en partance…
The Guitaraculas (2017)
Vous avez dû vous en rendre compte, le gratin de la profession ne s’est pas rué sur ce magnifique titre. Et il m’a fallu dénicher quelques reprises par des artistes méconnus.
Comme je le disais plus haut, David Bowie avait confié toute l’admiration qu’il portait aux oeuvres de David McWilliams. Cette démo fut enregistrée, puis égarée par sa maison de disques. L’instrumental est assez pauvre, et la production dance gâche un peu le mystère. Mais la voix du Thin White Duke amène quelque chose de différent…
David Bowie (1991)
Malgré cette reconnaissance tardive, les 14 opus délivrés par David McWilliams restent copieusement ignorés. En Irlande, il semblerait que ses positions politiques favorables à une réunification du pays, n’y soient pas totalement étrangères.
David McWilliams – Lord Offaly
En 1987, sur son album Working for the Government, il cède à la tentation de ré-enregistrer Days of Pearly Spencer. Une version ralentie et une production synthétique, dont le titre ne sort pas grandi. Cependant, il y a de bonnes chances pour qu’elle ait décomplexé Marc Almond, en l’incitant à livrer sa propre interprétation (1992). Permettant à cette composition de perdurer, et d’être unanimement reconnue.
En ce qui concerne l’album entourant la version d’origine, et son auteur, la disparition de David McWilliams le 8 janvier 2002, n’a hélas rien changé. Ainsi va le rock, ainsi va la pop.
Serge Debono