TAINTED LOVE, un tube et une histoire d’amour en deux temps

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De Gloria Jones à Soft Cell, et plus encore…

Bien avant que le groupe Soft Cell n’en fasse un tube international en 1981, le titre Tainted Love avait connu une première vie aux couleurs soul durant les sixties, avec la chanteuse Gloria Jones

Tainted Love

En plus de son talent de musicienne et d’interprète, Gloria Jones doit certainement posséder un mental en acier. En effet, malgré plusieurs albums solo, ainsi que de prestigieuses collaborations (Neil Young, T.Rex, Pink Floyd), elle reste tristement célèbre pour deux choses. Avoir été la compagne de Marc Bolan, et celle qui tenait le volant au moment de son tragique accident. Et avoir joué de malchance avec le titre Tainted Love, popularisé vingt ans plus tard par le groupe Soft Cell.

Gloria Jones - Tainted Love
Gloria Jones

La pépite ignorée de Gloria Jones

Ed Cobb, membre de The Four Preps, quartet pop célèbre aux Etats-Unis durant les années 50, est l’auteur et le producteur de cette version originelle.

“Sometimes I feel I’ve got to
Parfois j’ai l’impression que je dois

Run away, I’ve got to
M’enfuir, que je dois

Get away
M’échapper

From the pain you drive into the heart of me”
De la souffrance que tu as introduite dans mon coeur

Publiée en 1964 sur son propre label pour Gloria Jones, cette histoire d’amour toxique ne fait pas grand bruit. Il faut dire que Ed Cobb a eu la mauvaise idée de la reléguer en face B du single My Bad Boy’s Comin’ Home, un titre au potentiel moins commercial.

Tainted Love

L’instrumental de Tainted Love, une ritournelle au tempo marqué et au thème hypnotique, est augmentée d’une mélodie sacrément accrocheuse. Tout cela servi par une excellente chanteuse, en pleine éclosion, et une production dans le style Motown. Le titre possède déjà un fort potentiel…

Gloria Jones – Tainted Love (1964)

Il faut attendre le début des années 70, après que des DJ anglais aient racheté à bas prix tous les invendus de cette période dorée des sixties. Leur clientèle aime se trémousser sur le beat marqué des anciennes productions. Plus communément appelée Northern Soul, ce courant très populaire dans le nord de l’Angleterre permet à des titres comme Tainted Love de connaître une seconde jeunesse plus gratifiante. Le single commence alors à être repris.

J’aurais aimé vous en dire plus à propos de Ruth Swann, interprète de la version à venir, mais les 70’s sont une période encore riche en One Hit Wonders. Il est parfois difficile de trouver des informations sur ces artistes, certains ayant disparu de la circulation. D’après ce que j’ai pu trouver, l’histoire est belle…

Jill Saward

Les producteurs de cette version ne connaissaient que le prénom de la chanteuse (Ruth). Il l’ont appelée Swann parce qu’elle vivait près d’un pub de Wigan, nommé “The Swan”. Au final, après une recherche approfondie, j’ai découvert qu’il s’agirait en réalité d’un des nombreux pseudonymes empruntés par Jill Saward, chanteuse du groupe de funk-jazz Shakatak.

Ruth Swan – Tainted Love (1975)

La malheureuse Gloria Jones, voyant son single fleurir sur le sol anglais, décide d’en enregistrer une nouvelle version. Figurant sur son album solo Vixen produit par Marc Bolan, elle jouit d’une teinte plus moderne mais possède encore le charme percutant des sixties. Seulement la mode du disco, ses basses gonflées à l’extrême, et ses wah wah incessantes, vont rapidement donner à sa version un côté daté. Une nouvelle fois, le single de Gloria ne parvient pas à entrer dans les charts…

Gloria Jones – Tainted Love (1976)

La vague Northern Soul ayant exhumé le titre au Royaume-Uni, malgré la tornade punk et les débuts de la cold-wave, la jeunesse britannique garde en mémoire certains titres entendus dans les clubs.

La gloire pour Soft Cell

C’est le DJ Ian Dewhirst qui se charge de faire écouter le single de Gloria Jones au chanteur Marc Almond. Ce dernier sort d’une école d’art où il a fait la connaissance de Dave Ball (claviers). Les deux jeunes musiciens ont grandi au son des émissions de John Peel, et se passionnent pour l’oeuvre de David Bowie et Marc Bolan. Marc Almond doit d’ailleurs l’orthographe de son prénom (de scène) au leader de T.Rex. Mais ils ont aussi en commun, un goût immodéré pour les productions sixties de la Motown et Atlantic Records.

Soft Cell - Tainted Love
Soft Cell

Malgré toutes ces chaleureuses influences, Ball et Almond font partie de la génération Cold Wave. Leur toile de fond est électronique, et leur ligne directrice lorgne sur la musique expérimentale. Après un premier single financé par la mère de Dave Ball en 1980, ils signent l’année suivante pour le label Some Bizarre sous le nom Soft Cell, géré par le producteur Stevo. Il leur adjoint la présence du producteur Mike Thorne (John Cale, Nina Hagen, Bronski Beat).

Ce dernier réalise avec surprise que ce combo minimaliste, chant et synthétiseur, souhaite effectuer une reprise du titre Tainted Love. Thorne ne connaît que la version de Gloria Jones enregistrée en 1976, et n’est pas vraiment emballé par l’idée. Pourtant, lorsqu’il entend la sublime voix de Marc Almond (enregistrée en une seule prise !), et les sonorités froides et mystérieuses de Dave Ball, il a le sentiment d’écouter un truc novateur. Le single s’écoule à un million d’exemplaires en Angleterre en l’espace de six mois, et reste classé au billboard (USA) durant 43 semaines. En voici une version longue publiée à l’époque, et contenant une cover des Supremes (Where Did Our Love Go)…

Soft Cell – Tainted Love (1981)

Si la New Wave et le Rock Fm occupent une large place durant la première partie des 80’s, en cherchant un peu, les adeptes de vieux rock pouvaient trouver leur bonheur. La popularité des Stray Cats s’ajoutant à la pugnacité de certaines maisons de disques (comme Rockhouse Records), des artistes fans de Gene Vincent comme le chanteur et contrebassiste Dave Phillips ont pu vivre de leur saillies rockabilly.

Première cover du genre, parfaitement exécutée, elle brille par son inévitable énergie, et un anachronisme jouissif…

Dave Phillips & The Hot Rod Gang – Tainted Love (1982)

Coil est un groupe totalement inclassable. Ils ont publié une multitude de disques, tous plus expérimentaux les uns que les autres. Durant les 80’s, leur musique visuelle et subversive faite de paysages électroniques, et parfois jouée sur des instruments traditionnels ou obsolètes, propose des voyages intérieurs et des points de vue imprenables. Évidemment, leur reprise de Tainted Love n’a rien de dansant, et privilégie l’atmosphère au beat. A noter qu’il s’agit du premier single dont les recettes ont été reversées à la Fondation de lutte contre le SIDA.

Coil – Tainted Love (1985)

Le groupe Inspiral Carpets, issu de la scène Madchester, est le premier à proposer une version rock (hors rockabilly) de Tainted Love. Plus pesante et dépouillée…

Inspiral Carpets – Tainted Love (1992)

Comme je vous le disais plus haut, l’émule Stray Cats des années 80 a permis au rockabilly de perdurer et de générer de nouveaux apôtres. The Clash a exercé la même influence sur le futur du punk rock. Ces deux genres voués à l’extinction ont eu le bonheur de voir éclore des groupes comme The Living End. Cela fait bientôt trente ans que ces australiens embrasent les scènes du monde entier. Leur version brûlante et frénétique constitue une adaptation rock de haut vol. Plus encore en live..

The Living End – Tainted Love (1998)

Une version acoustique, et sans fioritures, enregistrée dans le Jo Whiley Show sur la radio BBC 1. Juste deux guitares, et le talent d’interprète de l’écossaise Sharleen Spiteri

Texas – Tainted Love (1999)

My Ruin est une formation de metal-alternatif originaire de Los Angeles. Si le groupe Atrocity (death metal allemand) délivre déjà en 1997 une version du titre à tendance trash, celle des californiens possède un genre de sensualité gothique qui ne peut laisser indifférent. Tout cela en conservant le mystère insufflé au préalable par Soft Cell…

My Ruin – Tainted Love (1999)

Après la version de Soft Cell, celle de Marilyn Manson est la plus lucrative. Elle m’évoque une anecdote personnelle. Ma nièce se souvient encore de mes yeux écarquillés, lorsqu’un soir où je lui faisais écouter la version originale de Gloria Jones, elle me dit : “ Ah mais c’est le morceau de Marilyn Manson !”. La jeunesse…

Il faut dire que le vampire fait bien les choses. Surtout quand il s’agit d’une cover. Il respecte l’œuvre originale avec un beat marqué, ainsi que sa reprise la plus populaire, avec ses sonorités électros. Sans excès de sophistication. Le reste lui appartient…

Marilyn Manson – Tainted Love (2001)

Contrairement à ce que pourrait laisser penser son nom, Prozac + est un groupe qui n’a rien de dépressif. Ce quatuor italien de punk rock possède une énergie et une maîtrise peu commune.

Comme Manson l’a fait sur sa reprise du titre Sweet Dreams, le combo transalpin parvient à créer un riff de guitare porteur, très inspiré de celui joué aux claviers par Dave Ball (Soft Cell)…

Prozac + (2002)

On reste en Italie, même si le leader et compositeur du groupe Andy McFarlane est écossais. The Hormonauts surfent habilement, et avec un certain humour, entre rockabilly, punk et country. Un groupe vivifiant et 100% vintage…

The Hormonauts (2003)

Sa voix et son sens de l’interprétation n’ont pas toujours trouvé leur équivalent dans les compositions. Pourtant Paul Young a connu quelques moments de grâce durant les années 80. Vingt ans plus tard, suivant l’exemple d’un certain Paul Anka, le soul-singer tente de se réinventer en crooner jazzy. Avec quelques belles réussites…

Paul Young (2006)

Après ce Tainted Love très new-yorkais, en voici un aux résonances caribéennes. Une version reggae acoustique d’une grande pureté, qui remet en lumière la qualité mélodique de cette composition.

Grandmagneto (2007)

A priori, il y a peu de lien entre la new wave des années 80 et le jazz manouche. Lorsque les canadiens de The Lost Fingers (hommage à Django Reinhardt) décident de livrer un opus complet reprenant les tubes mainstream de l’époque (Billie Jean, Pump up the Jam, Touch Me… et Tainted Love), on comprend que la beauté se niche parfois dans le paradoxe. Ou alors que nos a priori ne demande qu’à être bouleversés. Un bon conseil, écoutez l’album Lost in the 80’s. Dans le meilleur des cas, vous reverrez votre jugement sur certains titres. Et si le jazz manouche n’est pas votre tasse de thé, The Lost Fingers, musiciens chevronnés à l’humour musical, ont tout de même une chance de vous dérider…

The Lost Fingers (2008)

Cette version entre électro et trip hop ne manque pas de personnalité. Tout comme la voix de la chanteuse. Les Américains de My Brightest Diamond et leur univers baroque parviennent à susciter l’émotion, tout en plongeant l’auditeur dans une douce rêverie.

My Brightest Diamond (2008)

De toute évidence, les attraits du titre Tainted Love exercent un pouvoir de fascination sur les amateurs de rockabilly. Cette fois, c’est la divine irlandaise Imelda May. Elle opère un voyage temporel stimulant qui nous laisse pantois, avec des effluves de Wanda Jackson…

Imelda May (2010)

Après toutes ces années, et toutes ces covers, difficile de reprendre Tainted Love sans risquer une comparaison défavorable. La compositrice et productrice Hannah Peel réussit pourtant cette prouesse en 2010. Tout en douceur et en subtilité. Le célèbre motif du titre est alors décliné dans un instrumental obsédant, façon boîte à musiques…

Hannah Peel (2010)

En conclusion, j’aimerais dédier cette modeste chronique à la première interprète de Tainted Love. Au moment où j’écris ces lignes, Gloria Richetta Jones est encore de ce monde. Elle a composé pour Gladys Knight, Diana Ross et les Supremes, The Jackson Five, Marvin Gaye, et tant d’autres. Elle a prêté sa voix aux plus grands, et au final, après tant d’années, elle a quand même obtenu une forme de reconnaissance, loin de chez elle. En Angleterre, on lui confère le titre de Queen of Northern Soul. Alors vive la reine !

Serge Debono

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