MAGAZINE, la trilogie fabuleuse : The Correct Use Of Soap

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Magazine : McGeoch, Devoto, Formula, Adamson, Doyle (Photo : Ebet Roberts)

Que peut ressentir Howard Devoto, le leader / chanteur de Magazine en 1980 ? Une certaine fierté ? Il a été l’un des premiers acteurs du Punk anglais à comprendre que la déflagration initiale ne suffisait pas. Il fallait ouvrir d’autres horizons, ce qu’il a fait, pratiquement avant tout le monde – à l’exception sans doute de Wire -, avec les singles et le premier album Real Life (Lire notre première partie.), engendrant ce qu’on va appeler la New Wave et plus tard le Post-Punk.

Ou ressent-il de l’amertume, voire un sentiment d’ingratitude ? Car dès le second opus de Magazine, le superbe Secondhand Daylight (Voir notre deuxième épisode), la critique, versatile, n’a pas suivi et encore moins les ventes… Alors que les collègues, entre autres les Stranglers avec The Raven, les Banshees avec Join Hands ou même ses anciens potes des Buzzcocks, avec leur chef-d’œuvre A Different Kind Of Tension – tous sortis en 1979 -, ont capté aussi l’attention des esthètes et des acheteurs. Et puis, il y a les p’tits nouveaux, surtout ces gars-là, de Manchester également, qu’a produit son ami Martin Hannett, avec ce disque à la pochette noire, ce son plus radical encore que Magazine, et cette voix… Unknown Pleasures de Joy Division ! « D’ailleurs, et si l’on demandait à Martin de produire notre prochain LP ? » se dit sans doute Devoto.

Martin et Laura

C’est donc Hannett qui officie à la console pour le troisième recueil, The Correct Use Of Soap, un titre encore énigmatique – le bon usage du savon – qui a dû beaucoup amuser le chanteur. Martin, il le connaît depuis les Buzzcocks, quand celui-ci a travaillé sur leur EP Spiral Scratch en 77, sous le nom de Martin Zero. Ce n’est pas le seul clin d’œil à Joy Division. La pochette de ce Magazine délaisse les dessins torturés pour un minimalisme chic à la Peter Saville de Factory, sans photos et avec un minimum d’infos, sous la direction de Malcom Garrett.
Le recueil présente 10 titres dont une reprise. Tous sont attribués au groupe cette fois. L’équipe reste la même que pour l’opus précédent : Barry Adamson à la basse (Ovation Magnum Mk1) et aux chœurs, John Doyle à la batterie, Dave Formula aux claviers, et l’autre mentor du gang, le génial John McGeoch aux guitares, saxophone et chœurs également. On remarque une arrivée féminine aux seconds chants, Laura Teresa, l’amoureuse de Devoto à l’époque.

La tentation américaine

Bonne idée, l’album s’ouvre sur Because You’re Frightened, sans doute le meilleur morceau. McGeoch y triomphe avec ses rayons de guitare Yamaha SG1000, secondé par les sirènes au synthé de Formula et la belle section rythmique… Sauf qu’on a du mal à suivre la 4 cordes rampante d’Adamson, sabré par l’équalisation de Martin Hannett. Ben oui, c’est là où ça coince, le mix manque de graves. Et l’on regrette tout de suite la richesse sonore de Secondhand Delight. Notons que la remasterisation de 2007 corrigera ce défaut. Heureusement, Devoto sort sa panoplie d’effets vocaux et surtout d’humour à froid. En single, cette création aurait pu être un phare de la New Wave. La maison de disques Virgin ne le verra pas…

Magazine – Because You’re Frightened – The Correct Use Of Soap (1980)

Model Worker s’affiche plus guilleret, avec son piano évoquant Joe Jackson carrément. Il y a un parti pris d’optimisation du discours, bien loin des noirceurs des deux premiers opus. Une orientation confirmée par la troisième plage, I’m The Party où les arrangements – toujours impressionnants – citent même des gimmicks de la Soul Sixties, avec panachages de saxo et sucreries par les vocalises de Laura Teresa.
Heureusement, You Never Knew Me, nous ramène à du grand Magazine, lorgnant quand même de plus en plus vers une sorte de Roxy Music déviant. Chacun retrouve la grande forme, Formula développe une belle partie de piano, les ornementations de Barry Adamson redeviennent plus audibles tandis que Devoto roucoule avec sa Belle.

You Never Knew Me

La tentation américaine est une autre clé de lecture. Devoto a été impressionné – telle une pellicule – par les tournées aux States et le groupe penche ici vers des textures plus funky ou sous influences de la Nouvelle Vague Américaine. Ainsi Philadelphia arbore un riff black de McGeoch, avant que Doyle et Adamson n’emportent tout le mode sur un tempo rapide. Le solo final de la 6 cordes est encore une merveille, mais bizarrement, rappelle les délires de Phil Manzanera dans le club de Bryan Ferry. Quant au beau parleur, il se réfère à Raskolnikov du Crime Et Châtiment de Fiodor Dostoïevski. Ça vous étonne ?

Philadelphia

Une guitare acoustique traficotée et la voix réverbérée – des obsessions chez Martin Hannett – introduisent la seconde face. Roulements de tambour, longue descente de synthé, et le thème de I Want To Burn Again se dévoile. A nouveau, Magazine revisite Funky Town. On retrouve la basse d’Adamson dans des arrangements classieux. Un morceau presque Poppy, trop ?…

I Want To Burn Again

Si on n’avait pas encore compris, le gang en rajoute avec la reprise de Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) de Sly And The Family Stone. L’ombre du Bowie période Young Americans rode dans les sillons alors que McGeoch lance des notes à la Robert Fripp. Il y a kekchose de dissonant entre les intentions plus chaleureuses du quintet et l’habillage assez glacial de Hannett.

Heureusement, Sweetheart Contract fait grimper le tensiomètre du côté des Talking Heads pendant que Devoto chantonne un contrat amoureux à la manière de Colin Newman de Wire. Mentions spéciales pour la basse avec chorus et les nappes synthétiques de Formula.

Sweetheart Contract

Hélas, dans Stuck, le gang revient à sa dernière touquette. Le quintet sonne carrément Jazz-Rock, multipliant les accords complexes et les acrobaties. Le thème d’ailleurs s’épuise, sans réelle conclusion.
Heureusement, dès l’intro du dernier titre, A Song From Under The Floorboards, chacun pousse un ouf de soulagement. C’est l’autre incontournable de l’album. L’omniprésent  McGeoch cisaille des arpèges qui vous marquent définitivement les neurones. La section rythmique Doyle / Adamson fricotent avec les ondes de Formula. Mais lors de la seconde partie, le refrain casse la sombre ambiance pour une ultime pirouette. Le collectif en fait peut-être trop. Le riff impérial du guitariste suffisait largement. Un dernier paradoxe de cet album : à force de vouloir complexifier leur musique, les gars en oublient les principes d’écriture qu’ils ont eux-même inventés dans The Light Pours Out Of Me ou Shot By Both Sides, surtout l’immédiateté. Déjà une autre époque.

A Song From Under The Floorboards

 

A sa sortie en Mai 1980, The Correct Use Of Soap reçoit des critiques élogieuses des spécialistes. On félicite Devoto et Magazine pour le choix d’une approche plus lumineuse que dans les deux recueils précédents, la production sèche de Martin Hannett et le design élégant. Pourtant, les ventes suivent à peine d’autant plus que Virgin passe à côté du tube du disque, le décapant Because You’re Frightened, privilégiant en single le très beau mais moins percutant Songs From The Floorbooards puis bizarrement la citation de Sly And The Family Stone. Les quelques fans suivant encore  le groupe depuis ses débuts – dont votre auteur – sont eux quelque peu déconcertés par l’orientation Soul / Funk du projet.
Mais surtout, au même moment, l’architecte sonore John McGeoch, déjà dans le combo parallèle Visage (Avec Formula et Adamson), traîne en compagnie de Siouxsie et ses Banshees. La belle brune cherche justement un guitariste différent, original, pas un énième Clapton. Tiens donc… Grisé par les compliments et les œillades de Susan, désappointé par les échecs, le Johnny Guitar craque pour sa proposition tout en souhaitant au départ rester dans Magazine. Devoto refuse tout net et souhaite néanmoins du succès à son ex complice. John joue pour la dernière fois avec Magazine le 8 Juin 1980. On embauche un remplaçant en urgence pour la tournée de promo, Robin Simon d’Ultravox, qui pousse le mimétisme jusqu’à adopter la guitare mythique de McGeoch – donnée paraît-il par le mentor – et le même matos (Voir et écouter Le live Play et le concert au Rockpalast). Las, Magazine se séparera un an plus tard, après la parution d’un album sans étincelles, Magic Murder And The Weather en Juin 1981.

Épilogue

Magazine se reformera exceptionnellement en 2009, avec un album de retour No Thyself en 2011. Au générique de celui-ci, Devoto, Formula, Doyle mais pas Adamson, trop occupé par ses musiques de films (!!!) et surtout sans le grand John McGeoch, décédé le 4 Mars 2004. Puissent ces trois articles participer même modestement à la redécouverte de ce groupe fascinant et de sa fabuleuse trilogie.

Magazine – “Play” Live in Melbourne (1980)

 

Ps : A lire : – le seul livre en France sur Magazine : Le Renoncement de Howard Devoto par Benjamin Fogel / Le Mot et le reste.

Et bien sûr : The Light Pours Out Of Me : The Authorised Biography Of John McGeoch par Rory Sullivan-Burke / Omnibus Press

Bruno Polaroïd

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